Trois ans après l'entrée en vigueur de la loi encadrant le cannabis médical et industriel, le Maroc compte désormais 5 000 cultivateurs autorisés, contre seulement 430 en 2023, et une superficie légale de 5 800 hectares, selon l'Agence nationale de régulation des activités relatives au cannabis (Anrac). La production issue de ce troisième cycle légal doit débuter ce mois-ci, après avoir atteint plus de 4 000 tonnes en 2024, soit une progression de 1 280 % par rapport à l'année inaugurale, écrit Asharq Business dans un long rapport. D'une économie de l'ombre à une filière réglementée Héritage pluriséculaire du Rif septentrional, la culture du cannabis s'était muée au cours du XXe siècle en pilier d'une économie parallèle, alimentant les filières clandestines vers l'Europe. Le cadre instauré en 2022 a bouleversé cette réalité en orientant l'activité vers des usages médicaux, pharmaceutiques et industriels, avec obligation pour les cultivateurs d'adhérer à des coopératives agréées. Mohammed El Guerrouj, directeur général de l'Anrac, a détaillé récemment à Tanger: «Le Maroc autorise neuf types d'activités allant de l'importation des semences à la commercialisation des produits, avec un dispositif de contrôle rigoureux. C'est la singularité de notre modèle, appuyé sur des drones de surveillance et des puces électroniques pour le suivi des récoltes», rapportait Asharq Business. Les coopératives comme vecteur de formalisation Parmi les pionniers, Aziz Makhlouf, ancien cadre de l'automobile et de l'agroalimentaire, a fondé la coopérative Biocannat à Bab Berred. Elle regroupe 200 cultivateurs et a acheté l'intégralité de leurs récoltes pour un volume de 200 tonnes en 2024. «Je suis le fils d'un ancien cultivateur de cannabis, et lorsque les autorités ont choisi la voie de la légalité, j'ai voulu contribuer au développement de ma région», a-t-il confié à Asharq Business. Biocannat a exporté l'an dernier 350 kilogrammes de résine légale, générant près de trois millions de dirhams (333 000 dollars). Sur le seul premier semestre 2025, elle a commercialisé 20 000 produits dérivés, totalisant deux millions de dirhams (222 000 dollars) de chiffre d'affaires. «Cette plante est exceptionnelle, elle peut donner plus de deux cents produits, des médicaments aux fibres textiles en passant par les huiles, les compléments alimentaires et les matériaux de construction», souligne M. Makhlouf, cité par Asharq Business. À Chefchaouen, le fondateur de la coopérative Al-Badil Al-Asil, confirme l'adhésion progressive des cultivateurs: «Avant le cadre légal, nous vivions dans la crainte permanente, obligés de planter en cachette et de vendre à des intermédiaires clandestins. Aujourd'hui nous cultivons à découvert, avec la garantie d'écouler notre récolte», a-t-il expliqué à Asharq Business. Un secteur en quête de parts de marché européennes Selon l'Anrac, le rendement moyen atteint deux tonnes à l'hectare. L'agence estime que les exportations médicales de cannabis pourraient générer entre 4 et 6 milliards de dollars (40 à 60 milliards de dirhams) annuels d'ici 2028, si le Maroc parvient à capter 10 à 15 % des marchés européens prioritaires – Espagne, Pays-Bas, Allemagne et Royaume-Uni – évalués à 25 milliards de dollars, auxquels pourraient s'ajouter ultérieurement la France et l'Italie, portant l'ensemble à 42 milliards. Pour protéger sa filière naissante, le Maroc a imposé en 2024 des droits de douane de 200 % sur les importations de produits dérivés. Le pays entend également développer localement des unités de transformation afin de créer de la valeur ajoutée et de l'emploi dans les zones montagneuses concernées. Un avenir prometteur mais des fragilités persistantes Si le cannabis légal améliore déjà la condition des cultivateurs en leur assurant revenus et sécurité juridique, des défis subsistent. La concurrence des réseaux illicites continue d'exercer une pression, notamment en cas de prix trop bas offerts aux agriculteurs par les circuits officiels. De plus, la filière devra investir dans la recherche et l'innovation pour accroître la valeur de ses produits et surmonter les barrières réglementaires des marchés internationaux. Malgré ces obstacles, la légalisation progressive du cannabis a déjà transformé la vie de milliers de familles rurales, qui cultivent désormais «au grand jour», sous contrôle strict de l'Etat, et aspirent à une insertion durable dans une économie mondiale de plus en plus friande de produits issus de cette plante, comme l'a observé Asharq Business.