Le Maroc accueillera en décembre la 93e Assemblée générale d'Interpol, au terme de laquelle sera présenté le rapport d'évaluation de la phase pilote des avis argentés, un outil inédit consacré au repérage et au suivi des avoirs criminels. Interpol souligne que «le groupe d'experts sur la traque et la récupération des avoirs doit remettre à Rabat ses conclusions sur l'expérimentation en cours». Selon des sources informées, «ce rapport ne sera probablement pas rendu public, mais l'attrait financier lié à une confiscation plus rapide des biens criminels devrait conduire à une appréciation très favorable». Un dispositif longtemps attendu Interpol avait diffusé le 10 janvier son premier avis argenté, à la demande de l'Italie, dans une enquête portant sur des biens attribués à un responsable de la criminalité organisée. «Aucune précision n'a été rendue publique et, à l'instar des autres avis de couleurs, la confidentialité demeure la règle», rappelle l'organisation. Cette innovation n'est pas apparue soudainement : «la lutte contre la criminalité financière figure parmi les priorités officielles d'Interpol depuis le milieu des années 2000». L'idée d'un avis spécifique aux avoirs financiers remonte à 2015, date à laquelle «l'Assemblée générale avait décidé de créer un tel instrument». Son adoption effective n'a eu lieu qu'en 2022, à Vienne, lors de la 91e session qui célébrait le centenaire de l'organisation. «Interpol avait alors approuvé une période pilote pouvant durer deux ans», précise-t-on. Une coopération rapide et des incitations financières Ces avis ont pour objet «de localiser, d'identifier, de recueillir des informations ou de suivre discrètement des avoirs». Dans leur phase expérimentale, ils se limitent à des mesures non contraignantes, reposant sur l'échange d'informations et la coopération bilatérale ultérieure. Selon les analystes, «la portée de la criminalité financière est devenue de plus en plus transnationale, et la mondialisation bancaire a facilité la circulation des fonds illicites à travers de multiples juridictions». On rappelle que «l'essentiel des avoirs du dictateur nigérian Sani Abacha s'était retrouvé dans des banques britanniques, tandis que la Riggs Bank à Washington détenait des millions de dollars liés à Augusto Pinochet et à Teodoro Obiang». Les enquêtes montrent la lenteur des procédures classiques : «lorsque la justice américaine avait ordonné en 2014 la confiscation de 500 millions de dollars, il avait fallu attendre 2020 pour rapatrier 311 millions au Nigeria, puis deux années supplémentaires pour récupérer 20,6 millions». D'où l'intérêt des avis argentés : «Alors que les demandes d'entraide judiciaire doivent être adressées pays par pays, les avis sont immédiatement diffusés aux bureaux centraux nationaux des 196 Etats membres». Cette diffusion «permet d'obtenir rapidement des informations qui comblent les lacunes des enquêtes nationales». La réciprocité, principe fondateur d'Interpol, demeure au cœur du dispositif. Mais, particularité nouvelle, «un intérêt financier direct s'ajoute : lorsque des biens confisqués sont inférieurs ou égaux à 10 000 euros, ils reviennent intégralement à l'Etat requis ; au-delà, la moitié lui est acquise». Ce mécanisme, déjà prévu dans l'Accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, «est appelé à s'appliquer à d'autres accords bilatéraux». Les experts notent que «le Royaume-Uni, en tant que place financière majeure, sera particulièrement attentif à ces avis, car il pourrait tirer avantage des confiscations réalisées après que d'autres Etats ont accompli l'essentiel du travail d'enquête». Le rapport attendu à Rabat devrait donc consacrer, selon les observateurs, «la simplicité et la rapidité de ce nouvel instrument, appelé à être largement utilisé dans la traque internationale des avoirs criminels».