La question du Sahara marocain arrive à un tournant décisif. À la fin du mois d'octobre, le Conseil de sécurité des Nations unies doit se prononcer sur une nouvelle résolution qui pourrait marquer une étape majeure. Dans un précédent article, nous avons envisagé la possibilité de substituer une formule de conférence internationale avec co-parrains au cadre onusien des tables-rondes sous le mandat du Conseil de sécurité. A ce stade, la situation se présente comme suit : Depuis décembre 2020, un changement de paradigme s'est imposé. Les Etats-Unis, sous l'administration du président Donald Trump, ont officiellement reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara et considéré que l'autonomie représentait le seul cadre réaliste d'une solution politique. Loin de s'en tenir à une simple déclaration, Washington a entrepris d'agir dans ce sens. En témoignent les déclarations du secrétaire d'Etat Marco Rubio et les messages répétés adressés par le président américain au roi Mohammed VI, notamment à l'occasion de la fête du Trône du 30 juillet 2025, réitérant la constance de la position américaine. Engagement américain clair À la suite de ces signaux politiques, le président Trump a mandaté son conseiller spécial pour les affaires africaines, Masaad Boulos, d'une mission régionale. Ce dernier s'est rendu à Alger, sans qu'aucun communiqué officiel n'ait été publié, mais n'a pas fait étape à Rabat. Certains ont cru savoir que le Maroc aurait refusé de le recevoir, pour marquer la mauvaise humeur de Rabat pour des raisons demeurées obscures. L'explication la plus simple serait que cette omission était délibérée, les consultations avec le Maroc étant jugées superflues, tant les positions sont déjà alignées. Dans le même esprit, le Congrès américain a été saisi d'une initiative d'importance : le sénateur républicain Joe Wilson et son collègue démocrate James Panetta ont présenté le projet de loi 4119 visant à inscrire le polisario sur la liste des organisations terroristes étrangères (FTO). Sur le plan européen, le Royaume-Uni a franchi un pas significatif en soutenant le plan d'autonomie. Une année auparavant, la France s'est rangée aux côtés du Maroc tout en affirmant qu'il était «temps d'avancer.» Paris et Londres devraient donc, en toute logique, appuyer toute initiative américaine allant dans ce sens. Les Etats-Unis exhortent les parties à engager des discussions, mais ne précisent pas dans quel cadre. Le 8 avril 2025, Marco Rubio a réitéré la position des Etats-Unis et réaffirmé l'appel du président Trump pour que les parties s'engagent dans des discussions «en utilisant la proposition d'autonomie du Maroc comme seul cadre», mais il n'a pas mentionné l'ONU ni exprimé un soutien au travail de l'Envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU (EPSG), Staffan de Mistura. Deux jours plus tard, le même EPSG a précisément été reçu par la Sous-secrétaire d'Etat aux Affaires politiques Lisa Kenna, qui lui a rappelé les déclarations de Rubio. Le tweet de Kenna ne contient pas un mot de soutien ou d'encouragement. Les Etats-Unis veulent activer une solution rapide. Pour eux, le Sahara doit rester marocain, le processus est secondaire. Les termes de la future négociation étant déjà balisés, les questions essentielles sont les suivantes : sur quoi, précisément, portera la discussion ? Et avec qui ? Alger et polisario disqualifiés Dans cette perspective, Alger serait bien avisé d'accepter de prendre part aux négociations et d'encourager le polisario à y siéger à ses côtés. Ce choix représente, pour l'Algérie, la seule issue honorable qui lui permette de «sauver la face.» Il s'agirait d'une véritable «paix des braves», sans vainqueur ni vaincu, en écho à l'appel réitéré du roi Mohammed VI et à sa main tendue. Le souverain, soucieux de la stabilité régionale, a toujours veillé à ne pas humilier le régime algérien, conscient qu'une telle humiliation pourrait fragiliser le pouvoir en place et provoquer des troubles internes graves. Une déstabilisation de l'Algérie, avec ses répercussions inévitables – au premier rang desquelles un afflux massif de réfugiés vers la frontière marocaine – ne serait dans l'intérêt de personne, et encore moins du Maroc. Mais, connaissant la mentalité des dirigeants algériens, il y a de fortes chances que l'Algérie refuse de prendre part à la conférence, en s'abritant derrière son improbable statut de pays «observateur» tout en dénonçant le cadre proposé dont elle rejetterait d'emblée la légitimité. En même temps, Alger forcerait le polisario à refuser de s'asseoir à la table de négociation. Alger, en persistant à se déclarer extérieur au conflit, s'exposerait en réalité à un risque majeur : Les co-parrains pourraient exercer des pressions directes, en soulignant la responsabilité du pays hôte face à la présence armée du polisario sur son territoire, et en agitant la menace d'une éventuelle désignation de ce dernier comme organisation terroriste étrangère, mesure dont l'impact économique et diplomatique serait désastreux pour l'Algérie. En tant que pays hébergeant une organisation terroriste, l'Algérie s'exposerait à une batterie de lourdes sanctions. Son statut serait celui d'Etat voyou. La pression diplomatique, politique, financière et logistique serait considérable. Dans un tel schéma, l'Algérie ne saurait plus être considérée comme un interlocuteur légitime, et il n'y aurait plus aucune raison de faire pression sur Alger pour l'obliger à siéger à la table de négociation. Une telle hypothèse ouvrirait la voie à une recomposition des rapports de force. Rebus sic stantibus Depuis toujours, le Maroc revendique d'avoir en face de lui le véritable protagoniste du conflit, à savoir l'Algérie. La diplomatie marocaine a fait de cette condition un préalable. Mais l'Algérie prétend ne pas être une «partie prenante» au litige. Elle abrite, arme et finance le polisario, mais refuse de participer aux négociations, préférant se poser en simple «voisin», parfois «concerné», parfois «inquiet», mais toujours actif, virulent et hargneux. Cette duplicité, entretenue depuis des décennies, a nourri l'ambiguïté d'un processus onusien qui tourne en rond. Au Maroc, certains crient victoire chaque fois qu'Alger laisse paraître son implication dans la question du Sahara, ou qu'un événement en apporte la preuve. C'est le cas en ce moment après que l'envoyé personnel du secrétaire général, S. De Mistura, a déclaré qu'il s'efforçait d'apaiser les tensions afin d'éviter un conflit entre l'Algérie et le Maroc. L'entretien a été réalisé le 24 novembre 2024 à l'occasion de la dixième édition des Rome MED – Mediterranean Dialogues, organisée par l'Ispi et le ministère italien des affaires étrangères, mais n'a été diffusé que récemment. Pourquoi l'institut italien a-t-il attendu plusieurs mois avant de publier la vidéo et pourquoi maintenant, voilà des questions intéressantes. Mais au fond, qu'importe ? Chacun sait qu'Alger est la partie principale. Il est vain et stérile de s'épuiser dans ce jeu du «voyez, on vous l'avait bien dit !» C'est tomber dans le piège algérien que de vouloir constamment démontrer que le polisario n'est qu'une marionnette dont Alger tire les ficelles. Le plus étonnant est que ce récit dure depuis cinquante ans, sans que ni le Conseil de sécurité ni aucune grande puissance ne rappellent l'Algérie à l'ordre. En vérité, tout le monde préfère fermer les yeux. Croire que la solution passe exclusivement par Alger, c'est se tromper de porte. Les seules cartes dont dispose Alger sont les camps de Tindouf et les milices qu'il manipule à sa guise. Mais si le polisario est mis hors-la-loi, ce levier sera neutralisé. Dès lors, pourquoi continuer à vouloir coûte que coûte amener Alger à la table des négociations, au risque d'entretenir l'impasse ? N'est-il pas temps, au contraire, de prendre le régime algérien au mot : puisqu'il nie toute implication politique, qu'il soit officiellement écarté. À quoi bon lui accorder un rôle qu'il s'évertue à contester ? Dans l'éventualité de pourparlers, le seul souci du régime algérien sera de sauver la face, et d'essayer de grignoter le maximum d'avantages, comme un couloir vers l'Atlantique, alors qu'il a perdu sur tous les fronts. Le Maroc aurait l'occasion de retourner la contradiction algérienne : couper court à une ambiguïté qui a trop longtemps gelé le dossier, et avancer vers une solution où chacun assume enfin ses responsabilités. Cette mise à l'écart ne serait pas un obstacle à un règlement. Au contraire, ce serait un recadrage cohérent ouvrant de larges perspectives pour parvenir à une solution sérieuse et durable. Le schéma qui a été suivi jusqu'à présent en serait bouleversé car toutes les cartes seraient rebattues. C'est un cas parfait de rebus sic stantibus.1 Le plan d'autonomie marocain, largement salué par la communauté internationale, ne peut être discuté qu'avec des interlocuteurs qui agissent dans le cadre du droit. Le temps de l'ambiguïté est révolu Alger écarté, le polisario fragilisé par la menace de la désignation FTO, le front Alger-Tindouf serait brisé. Se pose alors la question de savoir si le polisario peut prétendre représenter à lui seul la population du territoire. Ses dirigeants ont-ils été élus de manière démocratique ? Et peuvent-ils encore avoir voix au chapitre alors que pèse sur eux la menace d'être désignés organisation terroriste ? Il serait alors temps d'ouvrir la voie à l'entrée en scène d'acteurs alternatifs plus crédibles. Le groupe minoritaire hébergé en Algérie n'a pas à imposer sa volonté à la majorité qui vit dans les provinces du sud. Déclarer le polisario terroriste, ce n'est pas seulement sanctionner un groupe armé dépourvu de légitimité, c'est aussi mettre fin à une supercherie : celle qui veut faire du polisario le «représentant» de la population du Sahara marocain. Dans ce contexte, le Maroc dispose d'une marge de manœuvre nouvelle. Plutôt que de se limiter à un tête-à-tête stérile avec l'Algérie ou son polisario, il peut choisir d'élargir son dialogue à de véritables représentants de la population : élus régionaux, personnalités locales, ou encore mouvements civils qui ont exprimé leur volonté de s'engager sur la voie de la paix. C'est à travers ce type de démarche inclusive que le Royaume peut donner plus de légitimité à son plan d'autonomie et démontrer, aux yeux de la communauté internationale, qu'il incarne l'avenir, alors que ses adversaires restent prisonniers d'une rhétorique figée. En définitive, l'échéance d'octobre 2025 pourrait consacrer un tournant historique. C'est l'occasion pour le Maroc de clarifier ses priorités et anticiper les débats. L'heure est à la consolidation patiente mais ferme d'un consensus international autour d'une option viable, juste et durable : l'autonomie dans le cadre de la souveraineté nationale. L'histoire offre une occasion unique : écarter les éléments de blocage, sceller une issue pacifique garantissant le droit à l'autodétermination, sortir d'un différend gelé et construire une paix solide, inclusive et tournée vers l'avenir. Plusieurs fois, le Maroc a tendu la main au régime algérien. Il est temps que d'autres la saisissent. ⸻ 1. La formule rebus sic stantibus signifie littéralement «les choses restant ce qu'elles sont» ou «tant que les circonstances restent les mêmes». En droit international, c'est une clause implicite qui permet à un Etat de se retirer d'un traité ou de le renégocier lorsqu'un changement fondamental et imprévu des circonstances s'est produit, affectant le consentement initial. ↩︎