Les eaux du bassin du Sebou, artère vitale du nord du Maroc, révèlent un état de dégradation inquiétant. Une étude scientifique vient de montrer que «les nappes souterraines et le fleuve présentent des concentrations de nitrates et de sels dépassant massivement les seuils fixés par l'OMS et la réglementation marocaine». Les chercheurs mettent en garde contre une contamination diffuse, d'origine agricole, industrielle et domestique, qui menace la potabilité des eaux et fragilise l'irrigation. La persistance de valeurs extrêmes en été comme en hiver traduit un déséquilibre hydrique durable. Une équipe de chercheurs marocains a procédé à une étude approfondie de la qualité des eaux superficielles et souterraines du bassin du Sebou, au nord du royaume. Selon leurs observations, «les eaux du Sebou sont fortement chargées en substances minérales tant en été qu'en hiver». Ce travail, intitulé Seasonal study of pollution and water degradation in the Sebou River basin – Gharb region, Morocco, a été publié dans la revue Edelweiss Applied Science and Technology (vol. 9, no 10, 2025, pp. 471-484, DOI : 10.55214/2576-8484.v9i10.10459). Les auteurs en sont Hamid Slimane, Driss Belghiti, El Mehdi Al Ibrahimi, Essamri Azzouz et Ebn Touhami. Les chercheurs rappellent que «le bassin du Sebou, couvrant près de 34 000 km2, constitue l'une des principales ressources hydriques du Maroc». Ce fleuve, qui prend sa source dans le Moyen Atlas sous le nom d'Oued Guigou, s'écoule sur environ 600 kilomètres avant de rejoindre l'Atlantique. Son débit annuel est estimé à 6,6 milliards de mètres cubes. Les auteurs précisent que «ce bassin joue un rôle socio-économique crucial, car il approvisionne l'agriculture, l'industrie et les populations urbaines de la région du Gharb». Mais la croissance démographique rapide, l'intensification agricole et l'industrialisation ont engendré une pollution croissante, avec des conséquences pour la santé et les écosystèmes. L'étude souligne que «des niveaux élevés de nitrates, d'ammonium, de chlorures et de sulfates sont observés depuis plusieurs années», provenant à la fois de processus géochimiques naturels – dissolution des substrats calcaires et karstiques – et de sources anthropiques comme les rejets domestiques et industriels. Jusqu'à présent, aucune étude exhaustive n'avait quantifié les variations saisonnières de ces polluants dans la partie supérieure du Sebou. Méthodologie et zone d'étude Le texte décrit en détail le cadre géographique : «le bassin du Sebou, d'une superficie voisine de 40 000 km2, abrite environ 6,2 millions d'habitants (recensement de 2004), dont 49 % en zones urbaines et 51 % en zones rurales». L'économie y repose largement sur l'agriculture et l'industrie. Les précipitations moyennes atteignent 600 mm par an, avec des extrêmes allant de 300 mm dans certaines vallées à 1000 mm dans le Rif. La région compte près de 1 750 000 hectares cultivables, dont 375 000 irrigables et près de 270 000 déjà irrigués. De grandes unités industrielles y sont implantées : sucreries, huileries, tanneries, cimenteries, usines textiles ou papeteries. Pour mesurer la qualité des eaux, deux campagnes de prélèvements ont été réalisées, en août et décembre 2021. «Dix échantillons d'eaux de surface et dix échantillons d'eaux souterraines ont été collectés», précise le rapport, dans le Bas-Sebou, aux environs de Magran, Sidi Allal Tazi et Souk Tlet. Les échantillons ont été conservés à 4 °C puis analysés en laboratoire. Douze paramètres physico-chimiques ont été étudiés : pH, conductivité électrique (CE), calcium, magnésium, sodium, potassium, chlorures, sulfates, ammonium, nitrates, carbonates et bicarbonates. Les analyses ont été menées dans les laboratoires de la faculté des sciences de l'université Ibn Tofaïl, à l'aide d'équipements spécialisés : spectrophotomètres, photomètres à flamme, burettes numériques, distillateurs azotés, pH-mètres et conductimètres. Les auteurs soulignent que «ces campagnes saisonnières ont été conçues pour relier la variabilité des résultats aux changements hydrologiques et climatiques». Paramètres physico-chimiques fondamentaux Les valeurs de pH observées montrent une stabilité générale : «dans les eaux souterraines, le pH varie entre 8,09 et 8,42 en hiver et entre 7,90 et 8,66 en été». La variation saisonnière reste limitée, mais les chercheurs notent une légère tendance à l'acidité en période sèche, attribuée à la production de CO2 dans les sols et à l'évaporation accrue. Pour les eaux de surface, le pH oscille entre 8,06 et 8,65, ce qui demeure dans les limites fixées par la réglementation marocaine (8,5). La conductivité électrique, indicateur de salinité, présente des variations beaucoup plus marquées. «Dans les eaux de surface, elle atteint de 520 à 16 320 μS/cm». Les valeurs maximales sont relevées en été, à cause de la concentration des sels minéraux due au faible débit et à l'évaporation. En hiver, les pluies provoquent un effet de dilution, ramenant la CE à des niveaux proches de 520 μS/cm. Les eaux souterraines révèlent des écarts encore plus impressionnants : de 202 μS/cm à 22 210 μS/cm, avec les valeurs les plus élevées en été. Les chercheurs notent que «la minéralisation des eaux suit les variations pluviométriques : les pluies diluent, tandis que l'aridité concentre les sels dissous». Pollution azotée et contamination minérale Les concentrations en ammonium restent généralement faibles dans les eaux superficielles (0,06–15,44 mg/L), mais une station atteint 15,44 mg/L, bien au-delà de la norme marocaine fixée à 8 mg/L pour l'irrigation. Les eaux souterraines présentent des niveaux de 0,11–2,54 mg/L : «près de 40 % des puits dépassent le seuil de 0,5 mg/L recommandé par l'OMS». Les auteurs concluent que ces eaux ne peuvent plus être consommées sans traitement. Les nitrates atteignent des niveaux alarmants. Dans les eaux de surface, les concentrations vont de 0,47 à 830,88 mg/L. Dans les nappes, elles s'élèvent de 38,44 à 884,10 mg/L. «Presque tous les points de prélèvement dépassent la valeur maximale admissible de 50 mg/L selon les normes marocaines et celles de l'OMS». Les chercheurs attribuent cette contamination à l'usage massif d'engrais azotés et au lessivage hivernal des sols nus. Les sulfates, en revanche, demeurent dans des limites acceptables. «Dans les eaux superficielles, 90 % des échantillons respectent la norme nationale de 250 mg/L». En souterrain, toutes les stations se situent en deçà du seuil OMS de 500 mg/L. Les chlorures affichent des niveaux de 150 à 868 mg/L en surface et de 120 à 476 mg/L en souterrain. Environ 25 % des stations de surface et 41 % des puits dépassent les limites imposées. Quant au sodium, les résultats sont préoccupants : «les eaux de surface présentent des teneurs allant de 47 à 1870 mg/L et les eaux souterraines de 73 à 2553 mg/L». Tous les échantillons dépassent de très loin la valeur guide de 20 mg/L fixée par l'OMS. Ions secondaires et minéraux dissous Les teneurs en potassium restent relativement faibles, comprises entre 2,84 et 12,78 mg/L en surface et entre 1,98 et 17,68 mg/L en souterrain. «Seule une station souterraine dépasse la valeur de 15 mg/L», indiquent les auteurs. Le calcium présente des valeurs de 97,8 à 916,7 mg/L dans les eaux de surface et de 143 à 318 mg/L dans les nappes. La majorité des puits (80 %) reste conforme à la plage recommandée par l'OMS (70–200 mg/L). Le magnésium varie de 15,6 à 109,7 mg/L en surface et de 21,3 à 400 mg/L en profondeur. «Près de 90 % des puits respectent les recommandations de l'OMS, fixées entre 50 et 150 mg/L». Les bicarbonates oscillent de 76 à 363 mg/L en surface et de 15 à 258 mg/L en souterrain. Toutes les stations respectent les normes marocaines (518 mg/L) et les recommandations de l'OMS (400 mg/L). Les carbonates, enfin, restent négligeables, de 0 à 21 mg/L en surface et de 0 à 45 mg/L en profondeur. Là encore, tous les échantillons demeurent dans les limites admises. Les auteurs résument leurs résultats en affirmant que «le sous-bassin supérieur du Sebou, dont la minéralisation dépend des taux de sels dissous, est affecté par une combinaison de pollutions naturelles et anthropiques». Les sources naturelles incluent la dissolution des substrats calcaires et les processus karstiques, tandis que les pollutions anthropiques proviennent des pratiques agricoles, des rejets industriels et des effluents urbains. Ils précisent que «les eaux de surface présentent une forte charge minérale mais restent, dans l'ensemble, conformes aux normes marocaines d'irrigation». En revanche, les eaux souterraines montrent une contamination préoccupante : nitrates et ammonium dépassent régulièrement les seuils de l'OMS, rendant ces ressources impropres à la consommation sans traitement. Enfin, les auteurs concluent que «les concentrations élevées d'ions mettent en évidence la nécessité d'une meilleure protection des nappes et d'une gestion plus rigoureuse des rejets domestiques et agricoles».