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Contrefaçon : Au cœur d'un reseau invisible
Publié dans Challenge le 26 - 05 - 2007

Il ne faut pas se voiler la face. La contrefaçon prospère au Maroc. Le législateur a durci la loi, mais les réseaux n'arrivent pas à être démantelés. Invisible ou intouchable, personne ne sait. Ce qui est sûr, c'est qu'ils sont là et ils sévissent, portant des coups durs à l'économie.
L'avocate casablancaise que nous avions sollicitée pour défendre les intérêts de nos deux marques a aussitôt rendu le tablier, suite à des menaces qu'elle a reçues de la part de réseaux de contrefacteurs ». Le témoignage est d'Abdelillah Hamza, responsable de la communication chez Sacmar Industrie, distributeur de la marque Puma et New Balance. Voilà qui en dit long sur un secteur dont on entend souvent parler, mais sans vraiment le connaître. Mettons d'emblée les points sur les i : la contrefaçon est l'acte de reproduire, à des fins commerciales, une marque sans en être le propriétaire légal. Nous ne sommes pas dans la contrebande qui, elle, concerne la commercialisation d'une vraie marque après l'avoir importée illégalement, et qui n'a donc pas été soumise aux droits du commerce extérieur ni à la taxe sur la valeur ajoutée. Il arrive souvent que la contrebande s'allie à la contrefaçon. C'est le cas quand un importateur indélicat inonde le marché avec une imitation de marque importée depuis un pays étranger. Dans ce cas comme dans l'autre, la production et la commercialisation ne peuvent se faire que s'il y a une base logistique, un minimum d'organisation et de coordination, des fabricants et des commerçants… En bref, il faut des complicités à plus d'un niveau pour que ça marche. Certaines histoires qui nous ont été rapportées parlent même d'impunité. Il s'agit de barons épinglés par là, mais relaxés par ci, d'hommes hors-la-loi qui se permettent de menacer avocats, journalistes, ou même policiers. Ces histoires révèlent toutes l'existence de réseaux étanches, hermétiques et pratiquement impénétrables. Cela est d'autant plus vrai que deux huissiers travaillant pour le compte de la maison Puma, très réputés pour ce genre de mission, ont fini par abdiquer face à l'étendue du fléau. «Car, rien que pour notre marque Puma, le manque à gagner de l'entreprise représente trois fois le chiffre d'affaires annuel. Chaque fois qu'on nous signale un réseau, les têtes restent toujours introuvables, comme dernièrement, lorsque nous sommes descendus sur le terrain avec la gendarmerie», déplore Abdelillah Hamza. Déduction logique : la contrefaçon est organisée en de véritables réseaux. Les autorités n'ont jamais pu remonter la filière. Ceux pris la main dans le sac, lors des rares opérations menées par les services de contrôle ou de police, ne sont que les pions de la structure. Les barons, eux, n'ont jamais été sérieusement inquiétés. Comment ces seigneurs de la contrefaçon sont-ils organisés ? Qui en sont les fournisseurs ? Si certaines marchandises contrefaites viennent des pays asiatiques, d'autres ne sont-elles pas fabriquées au Maroc? Autant de questions dont la réponse n'est sans doute pas à la portée du premier venu. Car, très vite, on se rend à l'évidence : enquêter sur ce fléau n'est pas chose aisée, car les voix se perdent dès qu'il s'agit des sources d'approvisionnement. Les commerçants ne sont pas enclins à révéler les noms et les adresses de leurs fournisseurs. Leurs réponses sont souvent les mêmes. Des réponses, ou plutôt des questions, signe d'une méfiance à peine voilée. Nous avons vécu cela : «dans quel domaine travaillez-vous? Qui sont vos associés ? Pourquoi voulez-vous avoir des contacts ?». Ensuite, on est éconduit de façon très cordiale. «Il faut revenir demain, le propriétaire du magasin n'est pas là pour le moment ». Nous ne sommes pas les premiers à tourner en rond. Selon un membre du Service de la répression des fraudes de Casablanca, sous tutelle du ministère de l'Agriculture, lorsqu'on met la main sur l'intermédiaire du grossiste, deux éventualités se présentent «Quand il nous communique le nom de son fournisseur, ce dernier reste introuvable. Et quand bien même il serait accessible, lui-même nous déclare qu'il achète auprès d'une troisième personne dont il ignore l'identité. On n'a jamais pu remonter leur filière. Ce sont des réseaux organisés et qui savent baliser leur chemin. Aussi bien en amont qu'en aval, ces organisations sont bien implantées», dit-il.
Les circuits apparents
et rarement inquiétés
Commençons par la chaîne casablancaise. Le point de départ de la première chaîne de ce circuit, pour certains produits, dont les bouteilles d'eau de Javel et de shampooing, est la décharge publique de Médiouna. Non loin de là, un dépôt très vaste, meublé d'amas d'ordures en tout genre qui occupent le terrain : des bouteilles en plastique, en verre, du métal, des objets en aluminium entre autres. À l'entrée, une cabane est occupée par un gardien dont la mission principale est de filtrer les visiteurs. Pour accéder à la fabrique improvisée, il faut chercher une astuce, notamment se présenter comme acheteur éventuel d'ordures. Le gardien floué, un spectacle inédit s'offre au profane. Des femmes, hommes et enfants s'affairent avec des gestes rodés, immergés dans une odeur suffocante de plastique brûlé, seul combustible utilisé pour chauffer l'eau. Les femmes et les enfants lavent les bouteilles et bidons de plastique avec une solution dans des bassins bien en vue. Les bouteilles lavées sont livrées par la suite aux «contrefacteurs industriels», conditionneurs dans le jargon du circuit. Elles serviront pour la vente de l'eau de Javel et des shampooings. Suivra par la suite l'étape de l'étiquetage et du collage des bouteilles. L'opération est souvent réalisée dans les zones périphériques et rurales pour éviter les rafles. Les conditionneurs louent ainsi un garage sans contrat pour ne laisser aucune trace. Souvent, plusieurs conditionneurs travaillent pour la même personne : le cerveau de l'organisation ou son intermédiaire attitré.
Concernant les détergents, la matière première provient de l'importation légale. Les détergents importés en vrac (des sacs de 10 à 20 kg) de la Turquie et de la Syrie, passent par le circuit légal. Ce n'est qu'une fois les frontières franchies que l'opération bascule dans l'informel. Une bonne partie de ces détergents bon marché est revendue par la suite à des contrefacteurs. Les étiquettes sont ensuite achetées à Derb Ghallef à Casablanca ou fournies par des imprimeries. Il en est de même pour le conditionnement. Les étiquettes et les conditionnements utilisés pour la contrefaçon sont parfaitement imités, au point qu'il est extrêmement difficile, pour un simple consommateur, de relever la différence avec le vrai emballage. Une telle qualité ne peut être que le produit d'imprimeries performantes, qui, pour de telles quantités, ne peuvent fonctionner sans soulever de soupçons. Encore la théorie des complicités !!
Shampooings, détergents, eau de Javel et bien d'autres produits sont les marques phares de ce commerce illicite. Rien que pour les détergents, les chiffres sont spectaculaires. Le manque à gagner des industriels au niveau national, à en croire les statistiques des fabricants légaux, dépasse les 900 millions de DH pour un seul produit, toutes marques confondues. Les seuls détergents épargnés sont ceux des machines à laver qui enregistrent une faible rotation. Ce sont en fait les produits à «packaging» (emballage) qui sont contrefaits au Maroc. Un véritable réseau de récupération des emballages, spécialement dans les décharges publiques, fonctionne sous la houlette de contrefacteurs des quatre coins du Maroc. Il s'agit d'une machine industrielle traditionnelle certes, mais dangereusement bien organisée. Il n'est pas encore prouvé que ces réseaux aient des ramifications à l'étranger, mais ce n'est pas impossible.
Les marges des contrefacteurs sont énormes. Pour l'eau de Javel, les bouteilles sont achetées entre 0,50 et 1 DH l'unité. Il suffit d'y rajouter de l'eau avec du concentré de javel et le tour est joué. Les détaillants, quant à eux, fournissent les cartons d'emballage entre 3 et 5 DH l'unité. Pour le shampooing, un litre acheté en contrebande à 10 DH permet le remplissage de 10 flacons d'une contenance de 20 cl, vendus parfois au consommateur au même prix que le produit original. Les grossistes bénéficient toutefois d'une réduction, atteignant parfois 30 % par exemple pour l'eau de Javel.
Rappelons que pour les shampooings, les produits de substitution proviennent souvent d'Espagne, car ils coûtent moins cher. Pour ACE de Procter & Gamble par exemple, le marché de la contrefaçon est estimé à 20 %. Pour la petite histoire, l'entreprise a réalisé en novembre 2000 un investissement de 12 millions de DH pour fabriquer un bouchon de sécurité garantissant l'origine de la marque. En moins d'un mois, ce bouchon a été imité par les contrefacteurs qui ont fait preuve d'une grande capacité d'adaptation et d'ingéniosité.
Autre fief des contrefacteurs à Casablanca, Derb Milla qui hante le sommeil des sociétés de peinture. Le phénomène est tel qu'il ne s'agit plus d'un simple concurrent qui grignote le chiffre d'affaires des grands fabricants. Il va même jusqu'à menacer leur notoriété auprès d'une clientèle qui a cru au sérieux de marques historiques devenues des références (Astral, Chimicolor, Sadvel...). Dans ce marché réputé pour son souk de la peinture, les contrefacteurs vendent pêle-mêle toutes les marques de peinture au tiers de leur prix. Un pot de 30 kilos, coûtant normalement 500 DH, s'acquiert à 200 voire 150 DH. Détrompez-vous, les prix ne sont pas bradés. Car, «le contenu n'est qu'un mélange de peintures de mauvaise qualité. De la camelote», dénonce un professionnel. Résultat : certains industriels enregistrent ces dernières années des pertes en chiffres d'affaires allant de 2 à 5%. «Ils nettoient avec des produits appropriés les pots déjà utilisés et portant l'étiquette des marques connues. Ils les remplissent ensuite avec les mélanges qu'ils concoctent eux-mêmes », raconte un peintre rencontré à Derb Milla. Certains peintres se sont associés à ce nouveau commerce, se jouant de la bonne foi de leurs clients. Ces derniers découvrent l'escroquerie quand, après peu de temps, la peinture appliquée noircit ou se pèle carrément. Difficile d'aborder ces commerçants qui pensent avoir trouvé le filon. Deux industriels ont déposé récemment une plainte contre eux.
Du côté du quartier industriel d'Ain Sebaâ, une usine s'est curieusement spécialisée dans les baskets de marque Adidas et Puma. Grâce à un guide qui travaille à la commission, se trouvant donc en liaison avec des producteurs de contrefaçon et de grands distributeurs à Derb Korea et à Derb Ghallef, nous avons pu nous introduire au cœur de la fabrique d'espadrilles contrefaites. L'usine tient au rez-de-chaussée d'un grand immeuble. Pas moins d'une quarantaine de personnes y travaillent. Les ouvriers ont tous la main et travaillent à la chaîne. Du vrai taylorisme. Dans une première rangée, une dizaine d'employés découpent les peaux et les similicuirs. Tandis que d'autres y impriment, à l'aide de tampons, les marques et logotypes. Une troisième chaîne se charge de coudre avant de passer les talons et les parties supérieures des chaussures à une quatrième. C'est cette dernière qui est chargée de sortir le produit fini. A part une finition parfois hâtive, il est impossible de faire la différence avec les vraies chaussures de la célèbre marque aux trois bandes. Un responsable rassure. «Le cuir, le similicuir et le faux daim sont tous de premier choix. D'ailleurs, c'est aussi le cas de toute la garniture ». Combien de chaussures sortent de cette usine ? «Nous ne travaillons que sur des commandes fermes», explique le responsable. L'entreprise est cependant capable de produire jusqu'à 1000 chaussures par semaine. Ce qui n'est pas négligeable. Les clients de l'usine sont en général des grossistes qui viennent de tout le Maroc. Les chaussures sont vendues à 65 dirhams la paire. Elles sont revendues à pas moins de 140 DH au consommateur final. Des exemples à l'image de cette usine se trouvent un peu partout au Maroc, avec une concentration remarquée dans certaines villes comme Fès (quartiers de Jnanate, Bab Ftouh, Sidi Boujida, Ouled Tayeb et Hay El Massira) et Tizinit (boulevard Youssoufia), plaques tournantes de ce commerce illicite. Toutes les deux fournissent respectivement les zones Nord-Est et Sud du pays : Oujda, Taza, Agadir, Inzgane, Goulmime...
Les multinationales sur
le pied de guerre
Aujourd'hui, si le phénomène n'atteint pas encore les proportions des pays du Sud-Est asiatique, le Maroc traîne toujours l'image d'une économie où prospère la contrefaçon. Celle-ci touche des produits de consommation de masse, la lessive, le thé, les cosmétiques, les logiciels, le textile-habillement, la chaussure de sport, la maroquinerie de grande marque… Mais beaucoup de firmes sont confrontées simultanément à la contrebande et à la contrefaçon. Il s'agit de la concurrence des produits contrefaits entrés illégalement, voire par la voie «normale» au Maroc.
Mais depuis cinq ans, les services anti-fraudes des multinationales sont partis à l'assaut de la contrefaçon. Il faut dire que les tribunaux (malgré parfois la lenteur des procédures) ont montré qu'ils étaient déterminés à sévir contre les réseaux de la contrefaçon. Des centaines de procès ont été intentés aux vendeurs de produits contrefaits. Chanel, Cartier, Yves Saint-Laurent, Lacoste, Ralph Lauren, Quick Silver, Nike, Louis Vuitton, Polo Lauren …toutes ces marques sont passées par là. Rien qu'en 2003, 41 décisions judiciaires ont été rendues par les diverses juridictions du pays. La plupart de ces décisions se rapportent, selon l'OMPIC, à des litiges opposant des marques à des commerçants, hormis quelques exceptions concernant les autres titres de la propriété industrielle. Encouragés par une législation marocaine de plus en plus contraignante pour les contrefacteurs, ces services s'activent alors de plus en plus. Ils s'attachent des avocats locaux qui les représentent et remportent pratiquement tous leurs procès (voir encadré). Avec des équipes et des moyens colossaux, les multinationales emploient des détectives en interne pour épingler les contrefacteurs. Les deux commerçants de Souk El Bahja à Marrakech, Mohamed El Aamelaoui et Jamal El Aamri l'ont appris à leurs dépens. Ils ont été piégés par des «acheteurs étrangers», accompagnés d'un huissier de Lacoste. Depuis lors, les multinationales implantées dans le pays tentent d'unir leurs forces pour «forcer» la main aux pouvoirs publics. C'est ainsi qu'en septembre 2003, au terme d'une réunion secrète, elles ont décidé de coordonner leur action contre la contrefaçon. L'union faisant la force, ce lobby a voulu sensibiliser les pouvoirs publics et les consommateurs aux dégâts économiques liés au phénomène de la contrefaçon. Si l'initiative est venue des filiales de sociétés américaines qui souffrent de l'économie de la contrefaçon et des réseaux de contrebande, elles ont été rejointes par des sociétés européennes. C'est dans le cadre d'une structure souple et informelle, la «Brand Protect Group», où figurent la plupart des majors de l'industrie mondiale (Procter & Gamble, Unilever, Nike et l'ex-Good Year), que s'inscrira cette action. Chaque société avait été priée de présenter un état détaillé et chiffré du manque à gagner dû à la contrefaçon, dont la synthèse devait être présentée au gouvernement quelques semaines après. Le timing du lancement de cette initiative n'était pas fortuit. Même si ses promoteurs s'en défendent encore, l'idée était de mettre à profit la fenêtre d'opportunité offerte par les négociations de l'accord de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis, sachant l'importance cruciale que Washington accorde à la protection de la propriété intellectuelle, vecteur de la promotion de l'investissement. Indirectement, les multinationales américaines espéraient pousser les autorités marocaines à durcir la lutte contre le commerce de produits de contrefaçon. Mais ces sociétés ne se faisaient guère d'illusion. S'il n'est pas possible d'endiguer complètement le phénomène, une action musclée des pouvoirs publics peut, au moins, en limiter l'expansion. Malheureusement, ces filiales, à défaut d'engagement total de certaines d'entre elles, ont abandonné ce projet, du moins jusqu'à l'année dernière avec l'entrée en vigueur, en février 2006, d'une nouvelle mesure contenue dans la loi 31-05 qui les a poussées à mener une nouvelle tentative.
L'Hexagone également y a mis du sien. Le 5 décembre 2005, une délégation française comprenant la Douane, l'Unifab et plusieurs responsables anti-contrefaçon de groupes français implantés au Maroc (Bic, Labo Stagma qui produit Kenta, Louis Vuitton) et conduite par le ministre français délégué à l'Industrie, François Loos, a rencontré son homologue marocain, Salah Eddine Mezouar. Un comité franco-marocain est alors mis en place. Les deux parties ont décidé de mutualiser leurs expériences en matière d'information et de sensibilisation, et les Français se sont engagés à aider le Maroc à mettre en place une structure de concertation publique-privée sur le modèle du Comité national anti-contrefaçon (Cnac) français. Selon une source proche de l'Ompic, ce comité verra le jour cette année et aura pour tâche d'analyser et d'évaluer les dernières donnes de la contrefaçon. Cette entité à rôle consultatif seulement sensibilisera le grand public à ce phénomène.
L'option de saisie sans
justice est possible
Finalement, l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange avec les États-Unis va fortement « inciter » le Maroc (déjà membre de l'Organisation mondiale du Commerce) à mettre en place une législation anti-contrefaçon digne de ce nom.
Certes, depuis la loi n° 17-97 du 18 décembre 2004, le Royaume dispose d'une législation moderne en matière d'acquisition des droits de propriété industrielle. Les entreprises marocaines l'ont bien intégrée, puisque 80 % des 100 000 marques déposées l'ont été par des entreprises locales, en particulier des PME-PMI. Cependant, d'importantes lacunes subsistaient en matière de répression de la contrefaçon. Par exemple, la loi de 1916 ne donnait pas compétence aux douanes pour agir d'office. C'est pourquoi la nouvelle loi (n° 31-05, modifiant et complétant la loi n°17-97) vise à combler ces lacunes. Aux yeux du législateur, les nouvelles mesures permettront de lutter plus efficacement contre la contrefaçon et, plus largement, contre les activités informelles qui, au Maroc, atteignent 50 % de l'activité commerciale. Un manque à gagner substantiel pour le pays. Si, jusqu'alors, l'intervention douanière n'était possible que sur décision judiciaire, ce nouveau texte permet désormais à la Douane d'opérer aux frontières la saisie des marchandises contrefaites. La Douane, en raison du caractère transfrontalier de la contrefaçon, peut ainsi intervenir sur demande de saisie du propriétaire de la marque au Maroc ou du bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation, les marchandises soupçonnées être des contrefaçons portant atteinte aux droits du propriétaire. Suite à cette demande, l'Administration des douanes peut procéder à la suspension de la mise en libre circulation des marchandises jusqu'à ce que l'action en justice aboutisse. Elle peut aussi suspendre d'office la marchandise importée, exportée ou en transit qu'elle détermine ou soupçonne contrefaite.
L'institution de la saisie aux frontières, déjà appliquée par divers pays dont la France et les USA, permet ainsi au Maroc, selon l'OMPIC, de se mettre au niveau des législations étrangères.
Dès les premières semaines ayant suivi l'entrée en vigueur de la loi 31-05, plusieurs entreprises ont saisi d'emblée l'opportunité pour bloquer des marchandises d'importateurs via la Douane au niveau du port de Casablanca. C'est le cas par exemple de Lesieur Cristal et de Schneider Maroc. La première a réussi à faire suspendre au port de Casablanca en mai 2006, c'est-à-dire trois mois seulement après l'entrée en vigueur du nouveau texte, près de 38.400 paquets de savon, soit 19,2 tonnes, provenant de l'Empire du Milieu et importés par la société Talmiras Trader Limited. La filiale de l'ONA, qui s'est constituée par la suite partie civile, réclame aujourd'hui des dommages et intérêts d'un montant de 1 million de DH. «Il s'agit d'une usurpation reprenant non seulement la marque Taous et l'emballage du produit, dans toutes leurs caractéristiques, mais également la dénomination de Lesieur Cristal et son adresse », précise-t-on auprès de la filiale de l'ONA, société détentrice de la marque du savon de Marseille. Bloqué au port, le premier arrivage représentait une valeur marchande de 300.000 dirhams. Une action pénale est alors introduite le 3 juillet 2006 à l'encontre de la société Talmiras Trader. Quant à Schneider Maroc, elle est également parvenue grâce à la nouvelle loi à suspendre d'office la marchandise importée de Chine par la société de négoce «Interflash», puis celle d'un importateur chinois implanté à Casablanca, un certain Makinet. Selon le management de Schneider Maroc, l'implication de la Douane a été déterminante, notamment au niveau de la coordination. Reste à savoir comment les entreprises arrivent à être alertées d'une quelconque arrivée de marchandises suspectes au niveau du port? «Depuis que cette nouvelle loi a été mise en application, nous mettons à contribution toutes les filiales de notre maison-mère, particulièrement celles implantées à Shanghai, en Espagne et en Algérie, qui nous alertent sur tout départ de conteneurs de leur lieu d'implantation et à destination du Maroc. Parallèlement, la Douane nous avertit de l'arrivée de toute marchandise suspecte », souligne Fouad Aziz El Kohen, responsable marketing et communication de Schneider Maroc.
En effet, généralement, la Douane peut soupçonner les marchandises contrefaites à travers les informations et les indices fournis par le propriétaire de la marque, ce qui permet aux agents douaniers aux frontières de distinguer entre le produit authentique et le produit contrefait. « Il importe de signaler qu'il s'agit de simples soupçons et qu'il revient au tribunal de statuer sur le caractère contrefait ou non du produit en question », tient à préciser Fadoua Kaab, directrice de la communication de l'Administration de la douane. Quoi qu'il en soit, à en croire Fadoua Kaab, « les saisies opérées par la douane depuis l'entrée en vigueur de la loi n°31-05 jusqu'à fin 2006 sont de l'ordre d'une dizaine de suspensions de marchandises, qui ont concerné aussi bien des marques nationales qu'internationales et différents secteurs d'activité (cosmétiques, chaussures, appareillage électrique, etc.) ». Comme dopées par la loi 31-05 et « voulant battre le fer pendant qu'il est chaud », cinq firmes multinationales vont tenter une nouvelle fois de mettre en place un groupe de réflexion pour cerner des moyens de lutter contre la contrefaçon. Constituée au départ de Procter & Gamble, Sacmar Industrie, Schneider, Bic et Nike, l'entité voit le jour en décembre dernier. Ses membres invitent depuis toute entreprise, petite ou grande, touchée par la contrefaçon, à se joindre à eux car l'union fait la force. C'est ainsi que récemment, ils ont été rejoints entre autres par Richbond, Ingelec et Nestlé. À ce jour, ces grandes marques, qui se sont constituées en think-tank, sont au nombre d'une douzaine et tiennent des réunions tous les mois. Initialement informel et dont l'objectif principal est d'alerter le consommateur sur les graves conséquences de la contrefaçon, le groupe est en train d'évoluer. Ses membres sont en train de réfléchir à l'opportunité de se constituer en association. En attendant, ils ont pris contact avec la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) afin de développer un partenariat. Le patronat est déjà partant et une deuxième rencontre est prévue.
En attendant, les entreprises touchées par la contrefaçon se défendent avec la loi comme seule arme, qui a beaucoup évolué entre temps en leur faveur. Encore faudrait-il que les réseaux invisibles soient démasqués. ◆
COSMÉTIQUES
Le «réseau Kenta» opère depuis
l'Espagne
A en croire Larbi Chaabane, chargé des accords d'exploitation et de négociations de Stagma, propriétaire de la marque Kenta, cette dernière est encore victime des contrefacteurs.
«Le Conseil juridique de notre maison-mère avec son correspond marocain s'y attèle», dit-il. Il faut dire que la fameuse pommade pour bébé Kenta ne pouvait pas échapper à la contrefaçon. Très utilisée au Maroc, le produit est depuis 1999 dans le collimateur des contrefacteurs. Mais, c'est en 2002 que les autorités ibériques ont saisi un stock de faux produits dermatologiques de la célèbre crème pour bébé Kenta, destinés essentiellement au Maroc. La pommade calmante utilisée par les mamans à titre préventif pour les érythèmes fessiers n'est pas distribuée en principe dans les épiceries. Pourtant, elle y était présente, et ce bien avant que le pot aux roses n'ait été découvert. Les contrefacteurs utilisaient les épiceries, le circuit de distribution le plus répandu au Maroc pour écouler leur marchandise. La pommade pour bébé, commercialisée «essentiellement» au Maroc, est fabriquée sous licence par les laboratoires Maphar Sanofi Maroc. Trois ans auront été nécessaires à la brigade de police judiciaire de Barcelone pour la propriété industrielle et intellectuelle pour démanteler le réseau et découvrir les locaux des entreprises contrefactrices LVC, LI, VT et E.M.A à Malaga, Igualada et Llodio. Depuis 2003, l'affaire ressurgit avec une autre saisie dans le nord du Maroc. Mais cette fois-ci, la contrefaçon est faite différemment: les tubes d'une autre pommade, Clair & Jolie, sont reconditionnés sous une fausse étiquette «Kenta». Pour entrer au Maroc, la contrefaçon suit des circuits informels. Les circuits de commercialisation identifiés sont les parfumeries, ou encore les vendeurs ambulants des souks de Tanger, Tétouan et des environs. Des réseaux très difficiles à remonter. L'affaire est en jugement auprès des tribunaux espagnols, car c'est à partir de l'Espagne que le contrefacteur opère.
Schneider Maroc
Une quarantaine
d'affaires devant
les tribunaux
otivée certainement par les affaires de contrefaçon qu'elle remporte devant les tribunaux du Royaume, Schneider Maroc ne compte pas s'arrêter en si bon chemin dans sa croisade. Au cours de ces dernières années, la filiale marocaine du géant allemand a poursuivi en justice une quarantaine de contrefacteurs marocains et chinois pour divers produits, notamment les disjoncteurs et les contacteurs. Récemment, l'entreprise a gagné trois affaires. La première concernait la société Codelec, spécialisée dans le matériel électrique. Cette dernière avait dans un premier temps contesté le premier verdict, mais en seconde instance, la Cour suprême a confirmé la première décision. La deuxième affaire a opposé Schneider Maroc à une société implantée à Meknès, Elexar, tandis que la troisième la mettait face à un opérateur chinois.
SPORTWEAR
Puma et New Balance mijotent une nouvelle stratégie
Nous avons tout essayé pour démasquer les réseaux, en vain. Pour l'heure, nous sommes en train de finaliser une nouvelle stratégie». Hamza Abdelillah, responsable Communication de Sacmar Industrie, distributeur exclusif de Puma et de New Balance au Maroc, ne veut pas baisser les bras malgré tout. Même s'il ne veut pas s'étendre sur la nouvelle stratégie que Sacmar Industrie compte mettre en branle, il espère que cette fois-ci, les choses marcheront. Il y a de quoi car le manque à gagner de l'entreprise représente trois fois le chiffre d'affaires annuel.
Agents de la répression
des fraudes Des anti-fraudeurs
battus d'avance
ormis la Douane, qui intervient au niveau des frontières et des ports du pays, ce sont les agents de la Répression des fraudes, qui dépendent du ministère de l'Agriculture, qui se chargent de traquer, entre autres missions, la contrefaçon. Et même là, ils ne peuvent intervenir que lorsque la contrefaçon est doublée d'une qualité défectueuse menaçant la santé du consommateur. Dans d'autre cas, l'industriel doit se débrouiller tout seul pour mettre la main sur le contrefacteur. Il en est de même pour les services économiques des préfectures. «Nos agents ne sont pas habilités à intervenir dans de telles affaires», souligne Jemaa Bardach, responsable de la communication au ministère de l'Agriculture. Rappelons que l'essentiel des activités des services de la Répression des fraudes est consacré à la sensibilisation. Mais s'ils constatent des anomalies, ces contrôleurs procèdent à des prélèvements d'échantillons pour analyse. Un seul centre basé à Casablanca est habilité à effectuer ces analyses. Il reçoit les requêtes des différentes provinces. Une accumulation du travail ne faisant que ralentir l'enquête. Aujourd'hui, ils sont en tout et pour tout moins de 200 agents assermentés (la plupart ont fait des départs volontaires) qui doivent visiter, sur tout le pays, 1.600 unités agroalimentaires, plus de 800.000 points de vente et 950 souks ruraux, sans compter l'informel. Rappelons que les actions en justice des services de la Répression des fraudes ne sont engagées qu'après obtention des résultats d'analyse des produits saisis. Et même lorsque celles-ci aboutissent, le contrefacteur n'est pas inquiété pour autant. La réglementation en vigueur prévoit des sanctions pécuniaires qui ne dépassent pas 25.000 DH. La peine de prison (de six mois à cinq ans) n'est quant à elle prononcée que lorsque la contrefaçon est doublée d'une qualité défectueuse du produit!


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