Dans un paysage mondial complexe marqué par des pratiques fiscales sophistiquées et l'adoption de nouvelles politiques pour contrer l'érosion de la base d'imposition et les transferts de bénéfices (BEPS), l'évaluation de la contribution des entreprises multinationales (EMN) aux recettes fiscales des pays d'accueil devient cruciale. Le Maroc, dans sa quête d'attraction des investissements étrangers, se trouve au cœur de cette évolution. La sixième édition du rapport "Corporate Tax Statistics" de l'OCDE (2024) offre ainsi une occasion d'approfondir l'analyse de la contribution des EMN établies au Maroc aux revenus de l'impôt sur les sociétés (IS). Ce rapport met en évidence que les recettes de l'IS représentent en moyenne 16,0 % des recettes fiscales totales et 3,2 % du PIB en 2021 dans les juridictions couvertes. Les taux d'imposition des sociétés se stabilisent, avec un taux moyen combiné de 21,1 % en 2024, et les taux d'imposition effectifs moyens continuent de diminuer légèrement, atteignant 20,2 % en 2023. Quel est le poids des recettes de l'IS au Maroc ? En analysant les données fournies par le rapport de l'OCDE, "il est évident que la contribution des recettes de l'IS au Maroc, représentant environ 15 % des recettes fiscales totales, est en dessous de la moyenne des pays africains, qui est de 18 %. Cependant, cette contribution reste significativement plus élevée que la moyenne des pays de l'OCDE, qui est de 10 %", indique à Hespress Fr le consultant et chercheur en fiscalité à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech, Rida Belahouaoui. Malgré cette performance relativement positive en comparaison avec les pays de l'OCDE, "il est notable que la part des recettes de l'IS au Maroc reste modeste par rapport à la TVA, qui dépasse les 34 % des recettes fiscales totales". Cette disparité "souligne une dépendance marquée du système fiscal marocain envers la TVA, indiquant une base fiscale des entreprises qui pourrait être sous-exploitée", estime Belahouaoui, soulignant que "ce faible ratio de l'IS pourrait être attribué à plusieurs facteurs, notamment les régimes d'incitation fiscale, les pratiques d'évasion fiscale ou encore la structure de l'économie marocaine". La contribution des recettes de l'impôt sur les sociétés au Maroc en pourcentage du PIB En examinant les recettes de l'IS en pourcentage du PIB, il apparaît que ces recettes représentent environ 4 % du PIB marocain. Ce chiffre est supérieur à la moyenne des pays africains, qui est d'environ moins de 3 %, et également au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE, qui dépasse les 3 %. Cette performance, d'après le chercheur en fiscalité "indique que bien que la contribution des recettes de l'IS au total des recettes fiscales soit modeste par rapport à d'autres sources comme la TVA, l'IS reste une source significative de revenus par rapport à la taille de l'économie marocaine". Les taux statutaires de l'impôt sur les sociétés au Maroc en 2024 En 2024, le Maroc se classe sixième parmi les pays de l'OCDE avec un taux d'imposition sur les sociétés de 32 %. "Ce taux est élevé par rapport à la moyenne de l'OCDE et se situe juste en dessous de ceux de Malte et de la Colombie, qui sont en tête du classement avec un taux de 35 %", fait observer le chercheur qui voit que "le taux statutaire élevé du Maroc reflète une stratégie fiscale visant à générer des recettes importantes à partir des entreprises opérant dans le pays". Toutefois, fait remarquer Belahouaoui, "un taux d'imposition élevé peut également avoir des implications sur l'attractivité du Maroc pour les investissements étrangers directs, surtout si les entreprises perçoivent ces taux comme un obstacle à la compétitivité". Cependant, poursuit le chercher, "il est important de noter que récemment, le Maroc a adopté une réforme progressive de la loi de finances, prévue de 2023 à 2026, visant à instaurer une flat tax. Cette réforme introduit un taux unifié de 20 % pour toutes les sociétés, avec un taux spécifique de 35 % applicable aux sociétés dont le bénéfice net est égal ou supérieur à 100 millions de dirhams. Cette approche vise à simplifier le système fiscal, à améliorer la prévisibilité pour les entreprises et à stimuler l'attractivité du pays pour les investissements". La contribution des EMN aux recettes totales de l'impôt sur les sociétés au Maroc en 2021 En 2021, les EMN ont contribué à hauteur de 22 % aux recettes totales de l'IS au Maroc. Cette contribution est divisée en deux catégories principales : les filiales locales détenues par des EMN nationales, qui représentent 9 %, et les filiales locales détenues par des EMN étrangères, qui représentent 13 %. Bien que cette contribution soit notable, "elle reste relativement faible compte tenu du potentiel économique des EMN", relève le consultant en fiscalité. "Avec seulement 22 % des recettes de l'IS provenant de ces entreprises, il y a une marge de progression pour maximiser leur impact fiscal. Les filiales locales détenues par des EMN étrangères, avec une contribution de 13 %, montrent une certaine dépendance envers les investissements étrangers, tandis que les EMN nationales contribuent à seulement 9 %, ce qui est assez modeste", affirme-t-il. Cette situation, de l'avis du chercheur, "pourrait refléter plusieurs défis, tels que des incitations fiscales trop généreuses, des pratiques d'évasion fiscale, ou des inefficacités dans la collecte de l'impôt. Il est également possible que le cadre réglementaire actuel ne soit pas suffisamment optimisé pour capter une part plus importante des bénéfices générés par ces entreprises". De ce fait, et pour améliorer cette situation, Belahouaoui recommande de "renforcer les mesures de lutte contre l'évasion fiscale, d'optimiser les incitations fiscales pour qu'elles soient plus ciblées et efficaces, et de créer un environnement plus favorable à la croissance des EMN nationales". En outre, ajoute-t-il, "une meilleure conformité fiscale et une administration fiscale plus efficace pourraient également contribuer à augmenter la part des recettes fiscales provenant des EMN". Et de conclure que bien que "les EMN contribuent de manière significative aux recettes de l'IS au Maroc, leur contribution pourrait être considérablement augmentée par des réformes fiscales et réglementaires visant à améliorer la collecte de l'impôt et à encourager une plus grande participation des EMN dans l'économie marocaine".