La finance islamique a réussi à se frayer un petit chemin dans l'environnement bancaire national depuis son lancement. A presque deux ans d'existence, la niche du « Halal » avance bien à petits pas, mais peine toujours à décoller. Selon les données de la banque centrale (BAM), 52.000 comptes ont été ouverts à hauteur d'octobre 2018. Un chiffre qui est loin des prévisions du secteur, mais qui reste positif dans l'ensemble. Avec 5 agréments accordés, à ce jour, par Bank Al-Maghrib, environ une centaine de banques ont vu le jour depuis l'annonce de la finance « halal » au sein du royaume. Cela dit, ce segment reste largement dominé par les fenêtres à capitaux étrangers, notamment des Emirats Arabes Unis et leurs compatriotes, experts dans ce segment. Pour ce qui est des services proposés, la banque centrale opère de façon rapprochée avec le conseil supérieur des oulémas (OMS), afin de proposer des services en accord avec « la charia ». Ainsi, le financement immobilier et automobile fait le principal de l'activité du secteur halal au Maroc. D'autres produits verront le jour au fur et à mesure qu'ils seront validés le CSO et BAM. Dans les détails, les financements immobiliers se sont établis à plus de 4 milliards de dirhams, alors que le financement automobile a totalisé un encours de 391 millions de dirhams. Dans ce sens, les transactions monétaires effectuées via la finance halal se sont établies à près de 4,7 milliards de dirhams, notamment dans des opérations de type Mourabaha, Takaful et Ijara. Une activité qui peine à s'en sortir S'il est vrai que le segment du halal est encore timide niveau clientèle, les émissions de crédits via cette niche est notable. Cette situation a d'ailleurs fait que plusieurs fenêtres ont dû faire recours à leurs sociétés mères pour se refinancer. C'est dans ce sens que BAM avait annoncé l'émission des premiers sukuk souverains du royaume, en octobre dernier, pour un total de 1 milliard de dirhams. Cette décision avait pour objectif de permettre aux organismes « halal » de «respirer» un peu. Cette opération de type « Ijara » avait été effectuée par le fonds FT Imperium Sukuk CI, pour une durée de 5 ans, durant lesquels l'Etat s'engage à couvrir la totalité de l'émission. Cela dit, selon un récent rapport de Thomson Reuters, la finance participative au Maroc est sur la bonne voie, non pas seulement localement, mais sur l'ensemble du continent. Le royaume présenterait ainsi un réel potentiel pour le développement de cette niche très sélective, mais cela serait quand même insuffisant par rapport aux prévisions pour le secteur. Dans ce sens, Hespress FR s'est entretenu avec Omar Kettani, professeur d'économie à l'Université Mohammed V de Rabat, afin de discuter du potentiel de ce secteur. Hespress FR : Le succès des banques participatives au Maroc est-il un phénomène de mode, ou bien le secteur a un réel potentiel de développement ? Omar Kettani : Tout d'abord, il faut parler de la performance dans cette niche. Celle-ci se mesure notamment par le degré de respect des principes islamiques. Or, il s'avère qu'il y'a une certaine tendance à dévier des principes de « la charia », ce qui fait qu'il y'a des accords internes dans les banques participatives quant au respect desdits principes. Par ailleurs, même si les contrats du secteur ont été vérifiés par les juristes consuls, afin de voir leur conformité, il s'avère que plusieurs pratiques sur le terrain ne sont pas en accord avec ceux-ci, que ce soit par les banques ou au niveau des « sukuk ». On peut dire que les normes de la finance islamique dévient de leur objectif dans un sens. Cela dit, il est à noter que les banques marocaines se sont lancées dans des projets importants en Afrique, ce qui fait qu'elles disposent de peu de liquidité, à un moment où l'acquisition de bien immobilier demande des sommes importantes. Cette situation fait que les banques ne peuvent pas répondre à toutes les demandes, ce qui les pousse à demander de l'argent à des sources un peu «suspectes». Comment voyez-vous l'évolution du secteur sur les années à venir ? Pour le moment, on est dans une situation observatoire. Il est à noter que la plupart des profils qui travaillent au sein des entités participatives sont issus du secteur traditionnel. Cela fait que l'on se retrouve parfois devant des agents qui disent qu'il n'y a pas de réelle différence avec les banques traditionnelles. Il faudrait donc former des cadres compétents dans la finance islamique, et non pas recruter des profils qui n'ont rien à voir avec le secteur. Dans le cas contraire, cela ne peut qu'impacter négativement cette niche. Par ailleurs, il faudrait respecter la pratique de « la charia », et non pas privilégier les résultats seulement. Dans ce sens, je peux dire qu'il y'a encore du chemin à faire dans ce secteur, surtout que les Marocains restent méfiants quant au segment du halal. Peut-on s'attendre, sur le long terme, à ce que la finance participative au Maroc puisse rivaliser avec celle de l'Arabie Saoudite ou la Malaisie ? La Malaisie est l'un des meilleurs exemples pour ce qui est de la finance islamique actuellement, du fait que le pays intègre une dimension sociale dans ce secteur. Pour ce qui est de l'Arabie Saoudite, il n'y a pas de doutes sur le potentiel des banques islamiques du pays pour ce qui est des assurances Takaful et les Waqfes non lucratifs. Ces assurances à caractère mutualiste, dont le capital de base est un don de bienfaisance (Waqfe). Le Maroc pourrait prendre exemple de ces performances, notamment en adoptant le même caractère social que ces deux pays dans le secteur halal. Du moment que l'on parle de finance islamique, on parle directement de l'ensemble des pratiques qui viennent avec les principes de la religion musulmane. Il faudrait donc investir dans l'économique dans un premier lieu, avant de passer au social.