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Prison centrale de Kénitra : Cadavres à Mazagan
Publié dans La Gazette du Maroc le 31 - 07 - 2006

Pendant des années, plusieurs meurtres de femmes furent commis à El Jadida. Huit années passent avec deux détenus sous les verrous, pourtant des crimes similaires continuaient à secouer la région. Erreur judiciaire? Faux coupables ? Deux innocents jetés en prison ? Où est la vérité ? On tombe alors par hasard un jour, le 4 juin 2001, sur Belahrach Mohamed. Il était sur les lieux d'un crime avec un cadavre sanglant gisant à même le sol. Encore une femme. Encore une prostituée. Il avoue tout et finit par innocenter les deux autres individus qui avaient déjà purgé huit ans de prison. Ceci, pour le volet clos du dossier, mais selon des sources judiciaires, il peut y avoir d'autres meurtres non-résolus et qui « pourraient mener à la piste Belahrech ». Un nouveau rebondissement doublé d'un nouveau procès ? Pourquoi pas. Toujours est-il que cinq ans plus tard, l'affaire du serial Killer d'El Jadida peut révéler d'autres secrets.
Belahrach Mohamed est né le 8 août 1956. Un demi-siècle déjà. Et il vient de fêter son anniversaire à la prison centrale de Kénitra dans le pavillon B du couloir de la mort. Il peut aussi s'enorgueillir d'être né en août 1956, l'année de l'indépendance du pays. Et il ne manque pas de le rappeler. Avec toujours cette teinte de timidité feinte qui en dit long sur la fierté d'un homme à qui il ne reste plus que le symbole national pour se rattacher à un soupçon de vie. Et peut-être l'ouverture d'un nouveau chapitre dans le long et lourd dossier de sa vie. Il est aujourd'hui question d'autres meurtres dans la zone d'El Jadida, encore non-résolus. On ne sait pas qui, mais ion étudie le type de fonctionnement de l'assassin pour le comparer à celui de Mohamed Belahrech pour un éventuel lien. Si c'est le cas, la liste sera plus longue, et le nombre des cadavres d'El Jadida devra être revu à la hausse.
La chair de ta chair
Il grandit à El Jadida, boulevard Bouchrit, un coin très connu des Doukkali, haut en couleurs, très animé avec la proximité de toutes les ruelles chaudes. Mohamed a fait ses premières armes là dans ce coin de rue entre un épicier qu'il a connu gamin et des voisins qui ne disent pas grand-chose sur l'enfant Belahrach. Smaïl, le père, est un homme très simple, un père comme des millions de Marocains qui n'ont de cesse que de servir ce qu'ils peuvent à leur progéniture. Rien à signaler n'était sa discrétion. On retient de lui un homme ni grand ni petit qui rase les murs et ne cherche pas trop à se faire remarquer. La mère, Khadija, est morte à l'âge de 60 ans. Elle aimait son fils et ne pensait jamais qu'une telle chose était possible. Comment ce tas de chair qui est sorti un beau matin de son ventre pouvait armer un bras et donner le coup qui tue à d'autres femmes, d'autres mères ? Elle n'a jamais trouvé la réponse. Le chagrin l'a précipitée très vite vers la tombe sans avoir à panser sa plaie, son cœur qui saignait sur un ratage, une vie gâchée. Mais Mohamed n'est pas pour autant banni ni oublié. Sa sœur est toujours là. Fatima, la sœur qui prend tout sur elle-même et qui vient rendre visite à son frère. Elle a 54 ans, mariée, des enfants, mais voudrait que cette histoire reste là où elle est en ce moment, derrière les deux portes blindées de la Prison centrale de Kénitra. Elle en a assez de vivre avec l'idée obsédante d'un frère écroué pour un tel crime. C'est une femme et elle ne pourra jamais s'empêcher de penser que c'est là une chose impossible à contenir ni à imaginer. Et puis il y a le frère, le plus jeune, Saïd, celui qui veut oublier, tourner la page, celui qui ne peut plus jamais penser à ce jour où le monde a découvert qui était derrière l'histoire des meurtres des prostituées d'El Jadida.
L'enfant voit et juge le monde
Mohamed grandit dans une famille simple. Il ouvre les yeux sur des voisins plongés dans les affaires de la vie et un entourage propice à l'indiscrétion. Très jeune, Mohamed découvre qu'il y a des femmes qui reçoivent pour deux dirhams cinquante. Une misère pour mélanger son corps à celle d'une autre et entrevoir les portes du plaisir. Trois piécettes moisies pour posséder le corps d'une femme et en faire ce qu'on voulait. À l'école, il était là, juste un élève parmi tant d'autres. Sans ambitions, sans volonté aucune de faire long feu sur les bancs de classe. L'école, un passe-temps qui finit par lui prendre la tête. Il redouble en CM1 et en CM2 et quitte l'école pour aller passer quelque temps libre dans la rue. Et les femmes, celles à deux pièces et demi, étaient là pour soulager le corps chauffé à blanc d'un gamin qui aimait le son que produisait la bouche d'une femme quand elle mettait les pièces dans un bol et te disait «Marhba bik.» Mohamed grandit. Il sent son corps se raidir. C'est l'âge où l'enfant se dit homme et où l'homme qui voit le jour veut se le prouver. La chimie fait jeu et l'alchimie peut accoucher d'une pierre philosophale comme d'un métal vulgaire. Le jeune homme doit traverser tant de cercles entre sa volonté d'être et les esquisses de tant de ratages pour trouver une voie. Encore faut-il que la sente où l'on met un pied puisse déboucher sur une quelconque clairière où l'individu a la chance de poser pied. Mohamed ne savait pas encore que le corps est aussi un ennemi. Le corps, cet autre soi, cette image parallèle que l'on ne possède pas tout à fait et qui, souvent, vit de sa propre vie.
Comment aborder un homme
Deux choix à faire : d'abord se ranger de son côté. Ensuite, comprendre sa position, être de son avis sur la question. C'est ce que Mohamed Belahrach nous demande gentiment avant de nous hasarder sur le chemin ardu de sa vie.
Ce qui frappe dans ce genre de rencontre, ce sont des signes, des détails, des points imperceptibles qui, rassemblés, donnent une image plus compacte du personnage. Mohamed a beau biaiser, feindre, jouer, louvoyer, il a des constantes dans le geste, la mimique, la moue, les tics et autres parades faciales. Longtemps je garderai l'image de cet homme au regard vide martelant son innocence comme une litanie lors d'un rite le jour du jugement dernier. Innocent. Si cela ne tenait qu'à cela, j'étais prêt à lui témoigner ma prédisposition à le croire. Après tout, je ne suis pas juge, je ne suis pas son avocat, mais un simple gratte-papier qui cherche à savoir qui était l'homme sous le visage et le dossier d'un serial killer. «Je n'attends rien. Je sais que je suis ici pour la vie. Je tiens juste à ce que nous soyons clairs. Il est important pour moi que la personne qui me parle de ma vie ait confiance en ce que je dis et, surtout, croit en la véracité de ce que je raconte». Il insiste, Mohamed. Il a raison, c'est son histoire, pas celle que je vais raconter qui sera certainement une autre version sur les pages d'une vie qu'il est le seul à connaître. Son histoire intime, celle qui grandit à chaque instant dans son imaginaire, qu'il repasse des millions de fois dans sa tête pour scruter ses détails, changer ce qu'il y avait à changer et finir par trouver un arrangement avec soi. C'est cela son histoire : un arrangement pour que les jours continuent à passer, sinon, la porte de l'enfer va grincer et le passage d'un cercle à l'autre sera difficile, peut-être même impossible. Et lui, Mohamed, a besoin de communiquer entre les cercles, de se balader entre les étages du feu, avec cette idée constante : «tout cela est un drame, et je suis innocent.» C'est cette phrase qui le tient en vie, qui brave la mort, celle qui ne viendra jamais dans le long et froid couloir de la Prison centrale de Kénitra, mais celle intérieure, insidieuse, celle qui s'immisce dans les entrailles, les broie, les tord, leur suce toute énergie, tout courage de tenir tête à l'inéluctable. Innocent, je vous dis, même si j'ai tué, même si toutes les preuves sont contre moi, même si j'ai avoué. Innocent, parce que je le sais. C'est tout. Et il ne faut pas aller chercher au-delà de cette affirmation, monsieur le journaliste, parce que c'est moi qui ai décidé de ce que sera ma version des faits depuis le jour où un juge en soutane m'a envoyé derrière l'ombre de la vie. Alors nous allons nous en tenir à cela et que les choses soient encore une fois claires.
Et Dieu créa le sexe
Nous sommes en 1971. Mohamed a quinze ans, la fleur de l'âge, le temps de la floraison des sens, les yeux qui pétillent, la tête qui bouillonne, les veines qui battent le feu à demeure. Mohamed découvre qu'il a deux choses à faire sur cette terre, il se sent investi de deux grandes missions : rendre les femmes folles de leurs corps et boire pour regarder droit dans les yeux de Dionysos la pureté des orgies de la vie. Mohamed est un jouisseur. A quinze ans, le corps dicte ses lois et la tête ne fait que suivre. La logique, les interdits, les gens… foutaises. On croit à la force et le diktat du sang qui brûle dans les veines. Le reste des élucubrations de l'esprit qui n'avaient aucune prise sur le magma qui préparait sa grande déflagration quelques années plus tard. Et Mohamed savait aussi que pour assurer, il fallait se débrouiller un soupçon de travail, une petite planque pour tuer le temps creux entre deux étreintes chez les mères maquerelles des quartiers chauds d'El Jadida. Après trois années à consommer le désir sans modération, il devient commerçant d'habits usités et neufs à Chariî Mohamed Toufani. Mohamed a 18 ans, l'âge mûr pour un adolescent prêt à en découdre avec le sexe : «je n'avais rien d'autre en tête. Les putes et l'alcool. J'ai fréquenté tous les bordels de la ville, j'y avais mes entrées, j'étais connu et apprécié. Toutes les tenancières des maisons closes savaient que j'aimais ça puisque j'étais un client très fidèle et surtout j'étais tout le temps fourré chez elles».
Les jours avaient donc ce rythme, toujours le même, comme un rite, une obsession : le magasin, l'épicerie pour l'alcool, la mère maquerelle et les femmes, bien enrobées, presque à poil, drapées dans leurs caftans bon marché, aiguisant les ardeurs d'hommes concupiscents. Sur le chemin du sacré, Mohamed ne lésine pas sur les moyens. Il bosse, il trime pour gagner son pécule et s'assurer le plaisir. Oui, ce fameux sentiment indescriptible que ressent un homme quand il prend une femme et croit posséder son âme en empoignant très fort son corps. Mohamed pensait qu'à chaque étreinte, les femmes étaient à lui de droit naturel, de décret éternel. «Oui, les femmes, je les ai adorées, aimées, jamais je n'ai pensé faire de mal à quiconque, ce qui m'importait était le plaisir, passer du bon temps, vivre quoi». Vivre ivre de femmes et d'alcool. C'était son credo, son mot d'ordre, son serment devant le seigneur pour apaiser toutes les femmes haletantes et amoureuses de la vigueur des hommes. «Je savais qu'un jour, j'allais devenir très dépendant de l'alcool. Mais je ne pouvais pas m'arrêter. Vous savez quand on va chez les putes, il faut boire, manger pour être dans le coup. Il ne s'agissait pas d'un client qui venait en coup de vent, sauter une fille et s'en aller. Non, moi j'aimais l'ambiance, la danse, les chants, la compagnie des femmes. C'était autre chose. Et pour cela, il fallait boire.»
Rue de la sardine
«J'ai connu une centaine de maisons, même plus que ça où j'allais souvent, presque trois fois par jour sans compter la nuit où l'on passait la soirée à faire la fête. Les filles savaient qui j'étais, elles me recevaient très bien. J'étais un très bon client» La vingtaine passée, il est l'homme le plus célèbre de Derb Al Barkaoui, le quartier des prostituées par excellence, le Pigalle d'El Jadida avec le faste et les paillettes en moins, mais la même eau de Cologne bon marché, le même Rêve d'or qui parfume l'air et donne la nausée, le tournis à des hommes aux idées capiteuses. «On n'a jamais pensé qu'il était capable de faire ça. Mais on ne peut jamais savoir ce qui se passe dans la tête des gens. Non, je n'ai jamais eu affaire à lui, mais d'autres filles l'ont connu, ont passé des nuits avec lui et d'autres hommes. Normal, un type comme les autres qui aimaient ça. Le jour où on a su que c'était lui, j'ai eu froid dans le dos. Dieu merci, je n'ai jamais couché avec lui. Rien qu'en y pensant, j'ai le cœur qui bat.». Les filles dites de joie vivent toujours avec le souvenir d'autres filles trouvées mortes. Cela fout les jetons et donne des crampes à l'estomac. Aujourd'hui, on se souvient du nom qu'on répète comme un leitmotiv pour se rassurer, mettre une signature sur une peur, l'affranchir, la démystifier. Mohamed savait à quoi il s'attendait dans des endroits comme ceux qu'il fréquentait à El Jadida ou à Azemmour : «les filles reçoivent des dizaines de mecs. Elles ne s'attachent jamais et quand ça arrive c'est très rare. Je savais à qui j'avais à faire : des femmes qui t'oublient une fois que tu remets ton froc. Et au suivant, qui, lui aussi, sera oublié et ainsi de suite. Dans ce monde, il n'y a pas de sentiments. Il faut avoir perdu la tête pour penser en sortir avec une belle amoureuse sous le bras».
Et à la question directe s'il n'était pas tombé amoureux d'une fille dans un bordel après une étreinte langoureuse et épicée, il répond par la négation. Mais quelque chose dans son attitude avait changé, le regard s'était incliné et le visage légèrement obscurci. Etait-elle une belle Doukkalia, bien en chair, potelée et jeune à damner tous les saints ? Ou était-ce une patronne, toujours dans la fleur de l'âge qui a repéré le beau mâle qui allait lui garantir le bonheur et le plaisir ? Ou peut-être même les deux, avec Mohamed jouant sur plusieurs tableaux, mangeant à tous les râteliers et ne sachant plus comment s'en dépêtrer ? Mohamed nie tout : «jamais, j'avais des filles que je voyais souvent, mais jamais ce genre de choses. Non, impossible».
L'été meurtrier
Tout allait bien. Mohamed paye les dix dirhams de location de la chambre chez la patronne et s'arrange avec la fille sur un prix pour qu'elle se sente bien à l'aise et offre bien ses charmes. «Tout allait bien. C'était même plus qu'il ne fallait. Zahra était de bonne humeur et la fille que j'avais ramenée se sentait à l'aise et en sécurité. C'est là que la porte s'est ouverte et qu'un type nous a sauté dessus. Je ne savais pas qui c'était ni ce qu'il voulait. Il a surgi de nulle part comme un diable». Le diable en tête, sur la tête, Mohamed perd les pédales. Il voit noir, flou, ne sait plus ce qui se passe : «je ne savais rien de rien. J'étais scotché là à voir ce bonhomme gesticuler et insulter tout le monde. Il criait de toutes ses forces que sa femme était une pute et qu'il l'avait surprise chez la maquerelle. La porte restait ouverte, il n'y avait encore personne devant, les gens ayant l'habitude de ce genre de scène chez les patronnes dans le quartier. Le bonhomme sort un couteau et poignarde Zahra avant de frapper sa femme. La fille se sauve et le bonhomme la suit. Moi je suis resté planté là à regarder Zahra nageant dans son sang.» Mohamed soutient dur comme fer que c'est cela la stricte vérité. Il n'avait pas tué Zahra, n'avait aucune raison de le faire. Pourtant ce mystérieux mari jaloux s'est volatilisé, on ne l'a jamais retrouvé, personne ne l'avait vu courir dans le derb pas plus que les témoins n'avaient vu une femme le visage ensanglantée, la djellaba entre les mains en train de faire un jogging forcé. Devant la porte de Zahra, la foule s'est précipitée. On crie au meurtre : «si c'était moi, j'aurais pu me sauver. Mais j'étais certain de pouvoir sauver la femme et dire ce qui s'est passé à la police. Mais les choses se sont retournées contre moi». Mohamed est coincé, la police est là, les témoins sont là, le sang est là et personne d'autre en dehors de Mohamed avec un cadavre qui ne pourra plus l'innocenter.
On l'embarque. C'est là qu'il se donne un coup de couteau dans le ventre. Mohamed se mutile, se porte des coups, n'accepte pas le sort, la tournure du destin. «Le commissaire qui m'a interrogé était complètement ivre. Il voulait à tout prix en finir avec moi. Il avait le coupable et c'est tout». Impossible de vérifier si ce qu'il dit est vrai ou faux, ce qui est clair c'est que la police avait déjà été confrontéee à une série de meurtres de femmes dans des circonstances bizarres. On avait coffré en 1993 deux individus qui ont été condamnés à mort.
Les mystères des meurtres d'El Jadida étaient résolus d'après la police. Les prostituées et autres maquerelles poignardées ou frappées à mort avaient été victimes de deux types qui ne pouvaient donc faire aucun mal à personne. Affaire close. Non, dit Mohamed, puisqu'on y est, sortons le passif et les non-dits. Non, messieurs, les deux coupables que vous avez arrêtés, il y a huit ans ne le sont pas.
Ce sont des innocents. Ils n'avaient tué aucune femme pas plus qu'ils n'avaient poignardé Aïcha, une autre patronne ni Izza et sa fille qui ont été assassinées à El Kalaâ. Mohamed dégoupille tout ce qu'il sait, donne les détails, dit tout. Aveux complets. Sans retour. Sans appel. «Je leur ai dit que les deux mecs n'y étaient pour rien. J'ai tout fait pour qu'ils soient libérés. C'est déjà ça».


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