En janvier 1999, un jeune homme de 25 ans est arrêté pour la deuxième fois de sa vie et jugé pour un meurtre qui lui vaut sa vie. Oubella Brahim, un quadragénaire, est trouvé mort, victime de plusieurs coups de couteau dans le ventre et le cou. Un crime horrible et deux suspects : Daâssis Ali et un autre homme, dont on tait le nom parce que la justice l'a innocenté. À cette époque, Daâssis est déjà écroué pour une peine de deux ans, à cause d'un vol qu'il dit ne pas avoir commis non plus. Les éléments de l'enquête de la police de Kénitra où il avait élu domicile, convergent vers Ali, qui endosse le crime. Aujourd'hui, il clame son innocence et affirme qu'il a été victime de cet homme, qui a dû faire jouer ses grands moyens pour se tirer d'affaire. Voici son histoire. N'est pas innocent qui veut. Surtout devant la justice. Et Daâssis Ali aura beau gesticuler, il n'y a rien à faire, tant que de nouvelles preuves ne sont pas apportées, pour une éventuelle réouverture du dossier de cette affaire de meurtre, qui remonte à 1999. Pourtant, ce type semble sûr de ses moyens, du moins psychologiques, pour tenir le choc d'une telle condamnation, surtout s'il est innocent comme il le dit. «Je ne sais pas comment, mais je sais que je vais sortir d'ici. J'ai gardé la foi malgré tout ce que j'ai enduré. Et n'allez pas croire que c'est facile ou que je suis plus fort que les autres qui vivent ici. Non, j'ai tout mis entre les mains de Dieu et je vais me battre.» Se battre, voudrait dire réussir à réunir de nouvelles preuves. Mais comment ? Daâssis n'a pas encore d'idée sur la question, mais la foi fera son devoir de salvatrice à un moment ou un autre. C'est ce qu'il pense. On a beau lui répéter que là, la foi ne peut strictement rien pour lui, Daâssis, est déterminé à mettre son destin sur les épaules de la justice divine et attendre que la grâce lui vienne du ciel. C'est un choix qui sied à son homme qui trouve dans ce subterfuge, une façon comme une autre de ne pas sombrer. À chacun son lot, ici-bas. À chacun ses moyens et ses arrangements avec l'inéluctable. «Qu'est-ce que j'ai d'autre, ici ? Rien du tout, Oualou. Je prie pour moi et comme je sais que je n'ai jamais tué Oubella Brahim, je dors tranquille et je vis ma condamnation comme une épreuve que Dieu m'a ordonnée de vivre ». Aït Abbou, Aït Aziz ou Ali, Khémisset… Nous sommes en l'an de grâce 1974. Daâssis Ali voit le jour dans une famille très nombreuse. Le père, la mère et neuf (9) frères et sœurs. «Une famille tranquille et modeste. La vie dans un douar est toujours tranquille. Il y a de temps à autre des problèmes, mais jamais des choses graves. Mon père travaillait la terre, et ma mère à la maison. Je n'ai pas été bien loin à l'école, mais j'ai toujours été un enfant très docile. Mon père m'a toujours dit que j'étais le plus gentil de ses fils. Et cela me faisait plaisir. Et comme nous étions nombreux à la maison, nous trouvions toujours de quoi nous occuper. C'est vrai dans le bled, il n'y a pas grand-chose à faire, mais entre frères et sœurs, on s'amusait beaucoup. Aujourd'hui, ce sont ces moments qui me manquent. Cette vie d'enfance où tout était simple et sans problème. Oui, j'ai perdu tout ça, bien avant d'être condamné. J'ai tout perdu le jour où j'ai quitté mon douar pour aller vivre à Kénitra.» C'est là, un des rares instants où Daâssis Ali perd ses moyens. Il est affligé, une pointe de larmes au creux de l'œil. «C'est très dur de vivre loin de toute ma famille. Ils sont tous malheureux à cause de ce qui m'arrive. Je les plains et ils me plaignent à leur tour, parce qu'ils savent que je suis incapable de tuer, même pas une mouche. Pourtant, il ne suffit pas seulement que ma famille me croie innocent.» Daâssis Ali lâche les vannes, quand il évoque la mort de son père (mort en mars 2006). Les larmes trouvent une sortie et avec elles, tout un pan de la vie du jeune Ali, qui ne sait plus où donner de la tête. Malgré la foi, la force du mental, une croyance à toutes épreuves, la mort du père, le pilier de la famille ébranle les assises d'un jeune homme qui semble avoir scellé son propre sort dans l'attente de l'impossible. « C'était le jour le plus difficile de ma vie. J'étais ici, dans ce trou, lorsqu'on est venu m'annoncer froidement que mon père était mort. J'ai encaissé avec beaucoup de calme. Mais quelques minutes plus tard, j'ai été secoué par une rage et une colère, dont je ne me savais pas capable. J'ai maudit ma vie, celles des autres, la justice qui m'a envoyé ici, et j'ai pleuré la mort de mon père. Mais je n'ai pas pu faire mon deuil. Je n'ai pas dit adieu à mon père avant sa mort, je ne l'ai même pas vu, et cela me tue, me torture tous les jours. C'est plus dur que d'être jeté en prison pour un crime que je n'ai pas commis ». Un vol à Bir Rami près du jardin des orangers Avant de se voir condamné pour un meurtre, Daâssis Ali s'est fait écrouer en 1997 pour le vol de quelques tuyaux, de la base militaire de Kénitra. Arrivé dans la ville depuis peu, il habitait pas très loin de Jardat Allimoune (le jardin des orangers), un coin connu des Kénitris où l'on va prendre l'air et passer un moment au calme. Mais pour Ali, les choses n'allaient pas être de tout repos ce matin de janvier 1997. On vient lui passer les menottes et on l'accuse de vol. «Je ne savais rien sur ce vol, mais les policiers étaient convaincus que c'était moi le voleur. J'en ai pris pour deux ans, sans que je me rende compte de ce qui m'attendait. J'ai accepté ma peine et j'ai fermé ma gueule. Mais les choses ont pris une autre tournure après ». Et là aussi, rien à faire, Ali se dit innocent. La police le charge. Qui a raison, qui a tort ? Toujours aussi difficile de savoir. Reste que durant les deux ans, Ali a pris le temps de bien revoir sa vie depuis son départ du bled. Kénitra ou Kénitrou ne lui convenait pas du tout. «Je n'ai jamais eu un moment de répit. Mon Dieu quelle ville de Nahs (poisse) ! Je suis pris pour un vol et ensuite, pour un meurtre!» Ali n'ironise pas. Il prend la juste mesure du basculement des aiguilles de son horloge vitale. Kénitra, fin de partie. Kénitra, terminus. Kénitra, direct au trou. «J'ai purgé les deux ans comme j'ai pu. Un jour, la police débarque pour m'interroger sur une autre affaire. C'est là que j'ai découvert qu'un type nommé Oubella Brahim a été tué à coups de couteaux et que je suis le suspect numéro 1 ». Ali est loin de se douter que soupçons ou pas, innocent ou coupable, son sort était bel et bien plié. Il fallait juste attendre, comme un spectateur, le déroulement du film intégral de son destin. «Al Moumen Moussab» (Le croyant et ses épreuves ) Que s'est-il passé au juste en janvier 1999 ? Nous sommes loin de janvier 1997. Très loin de janvier 1974, date de naissance de Daâssis Ali. Trois janvier de grande importance dans la vie d'un homme. Et ce dernier janvier de 1999, Ali doit répondre d'un meurtre dont il est accusé, selon les investigations de la police de Kénitra. «Je n'avais rien à dire. Je les voyais faire. Je me suis défendu au début, mais les policiers ne voulaient rien entendre. J'étais coupable et il fallait que j'aille au trou ». Oubella Brahim, qui possédait une épicerie dans la ville, a été visité par un troisième larron qui lui a demandé de l'accompagner pour affaire. Il part avec lui et ne revient jamais. La famille d'Oubella Brahim atteste de cette vérité, qui pourrait plaider pour Ali. Mais rien n'y fait. Il y a eu aussi des témoins devant l'épicerie, qui ont vu Brahim partir avec un type. Ils l'ont décrit. Il a été arrêté, interrogé et libéré. « J'étais en prison quand la police interrogeait cet homme. Je ne savais rien de cette affaire. D'ailleurs, je n'ai jamais vu ni rencontré Oubella Brahim. Je n'ai jamais acheté quoi que se soit dans son épicerie. Comment, ont-ils pu faire le lien entre moi et ce crime ? Je ne le sais pas. Les inspecteurs de police m'ont dit que j'ai tué pour voler cet homme. Pourtant je n'avais rien, ni argent ni rien d'autre. Je vivais très modestement à Kénitra et tout le monde peut en témoigner. Si j'avais tué pour voler ce marchand, j'aurais eu des sous, mais il n'en était rien». Ce qui est important à signaler dans ce dossier, c'est que Daâssis Ali a déjà été condamné pour vol. Ensuite, devant le crime d'Oubella Brahim, dont le mobile était le vol aussi, Ali n'avait pas de marge de manœuvre pour se tirer d'affaire. «J'ai déjà accepté les deux ans pour ce vol à la base, mais être jugé pour meurtre, non. C'est injuste. Le type qui a été arrêté avant moi, ce bonhomme qui est venu chercher Oubella dans son épicerie, est le véritable assassin. Il a payé pour s'en sortir. Oui, il a soudoyé tout le monde. Je prends la responsabilité de ce que je dis : il y a eu corruption et je suis la victime des pots de vin. Rien de pire ne peut m'arriver. Alors, comme j'ai dit au départ, je suis prêt à me battre pour prouver mon innocence. Comment expliquer alors que la police a d'abord pris ce type pour l'interroger ? les inspecteurs avaient des doutes, mais comme les choses ont été arrangées avec l'argent, ils se sont rabattus sur moi, qui étais déjà en prison pour vol. C'était plus facile de me faire endosser ce crime. Et le véritable criminel est toujours libre.» Daâssis Ali sait ce qu'il dit et il souligne en rouge qu'il assume ses accusations. «Je n'ai peur de personne. Je dis ce que je pense. C'est la stricte vérité. Un homme a été tué, c'est triste, mais je ne suis pas le tueur. J'ai écrit, et je vais encore écrire, jusqu'à ce qu'on veuille bien m'écouter. Je suis victime d'une machination. L'assassin a payé pour être libre et on m'a fait endosser ce crime. C'est la vérité que je jure devant Dieu. Et je garde la foi. Je vais rester ici, en attendant que la bonté de Dieu fasse éclater la vérité au grand jour. Oui, je garde la foi.» Amen.