Un chercheur utilisant la science pour répondre à la propagande des uns et des autres, c'est le pari tenté et réussi par Mohamed Cherkaoui. Le Sahara, liens sociaux et enjeux stratégiques» est un livre qui fera date, c'est déjà une référence. Son auteur Mohamed Cherkaoui, a une crédibilité certaine, il est l'un des chercheurs reconnus mondialement et dont les travaux portent sur des thèmes universels, tels que la sociologie des systèmes d'enseignement, la stratification et la mobilité sociale. Dans le livre, il y a deux parties très distinctes, l'une analysant les positions en présence, les mettant en perspective en relation avec les enjeux des acteurs. Cette partie-là, riche, documentée, n'est pas la plus originale. Par contre, le professeur Cherkaoui présente des études exhaustives sur le terrain pour apprécier l'évolution sociale au Sahara dit occidental. Deux points précis concernent cette évolution : la scolarisation et le recul de la pauvreté. Le Troisième est d'une importance capitale, puisqu'il concerne le mariage, l'expression même de l'intégration. Efforts colossaux Sur la scolarisation, les conclusions sont sans appel : • réduction drastique du taux d'analphabétisme qui passe de 95 % à moins de 40 % en 30 ans. • La décrue est la plus importante enregistrée au Maroc • L'offre de places au Sahara, augmente plus rapidement que la scolarisation L'Etat a donc fait un effort considérable, en tous cas supérieur a celui effectué dans d'autres régions. La même constatation peut être faite pour l'indice du développement humain et social. La première conclusion que l'on peut tirer de l'examen des données est évidente : les régions sahariennes ont les taux de vulnérabilité et de pauvreté les plus bas du Maroc à l'exception de Rabat et Casablanca. Aousserd et Oued Dahab ont même les taux de vulnérabilité les moins élevés du Maroc, plus bas même que ceux de Casa et Rabat. L'indice de développement social et humain, indice composite prenant en considération la santé, l'analphabétisme, la pauvreté, entre autres, place les régions sahraouies en meilleure position que Casa et Rabat. Il est clair que ces résultats sont liés à la politique de l'Etat et aux investissements publics, créateurs de richesses et générateurs d'emplois. Le Maroc a donc réussi en trois décennies à transformer le Sahara et surtout à assurer aux sahraouis un niveau de vie incomparable avec celui du temps de la colonisation espagnole, cela est établi scientifiquement et ne fait pas partie d'une propagande nationaliste. Cela n'est pourtant pas suffisant pour répondre à la seule question qui vaille : les sahraouis ont-ils ce sentiment qui fonde les nations c'est-à-dire le désir de vivre ensemble ? Veulent-ils s'intégrer à cette mosaïque de tribus et régions appelée Maroc ? Le professeur Cherkaoui est allé chercher un critère indiscutable : les mariages. Au -delà des mots Une certaine ethnologie très coloniale nous présentait les Sahraouis comme une société fermée, hiérarchisée, vivant en vase clos dans son désert. Le mariage ne pouvait donc être qu'endogame, le préférentiel étant celui qui lie l'homme à la fille de son oncle paternel. Ce code, vieux comme le monde est-il toujours d'actualité ? Rigoureux jusqu'au bout, le professeur Cherkaoui a mené une enquête unique par son exhaustivité, puisqu'elle concerne tous les mariages contractés au Sahara entre 1960 et 2007. Pour éviter toute contestation éventuelle, il a éliminé les mariages contractés par le non natif du Sahara. Il a utilisé comme support les actes de mariage, 30.000 en tout. Les résultats sont surprenants et attestent de l'évolution de la société sahraouie. Le taux d'endogamie est passé de 97 % en 1960 à moins de 60% en 2007. Et encore cette étude exclut les sahraouis vivant dans les autres provinces et donc plus «exposés» au Mariage hétérogame. L'étude plus fine des chiffres, montre que les femmes sahraouies épousent plus de non sahraouis, qu'elles le font de manière plus accentuée quand les deux époux sont jeunes. Qu'est ce à dire ? Qu'à côté du mariage traditionnel, à l'intérieur de tribus annexes, avec une différence d'âge importante, se développe un mariage hétérogame, avec des âges rapprochés et où la similitude sociale prend le pas sur l'enclavement tribal. L'une des évolutions majeures du Sahara est le déclin du rural, l'urbanisation à outrance, qui produit ses effets. Laâyoune ou Dakhla produisent les mêmes rapports sociaux que les autres villes. Ce qu'il y a d'important dans l'étude du professeur Cherkaoui, c'est qu'elle démontre que les Sahraouis n'exercent aucune pression sociale particulière, visant le mariage avec les Marocains du Nord. L'on sait que c'est la première attitude des populations refusant l'intégration dans un ensemble donné. Il est donc clair que dans la vie quotidienne, les Sahraouis se sentent Marocains, commercent, investissent, se marient en Marocains. Cela vaut plus que tous les discours de propagande, ce sont des faits irréversibles attestant non seulement du désir d'intégration mais de l'évolution de celle-ci. «On peut toujours tenter d'ériger des murs et tracer des frontières artificielles, on ne réussira pas à briser la volonté de vivre ensemble», conclut l'auteur de cet ouvrage.