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Le mariole du pavillon B
Publié dans La Gazette du Maroc le 23 - 01 - 2006


Prison centrale de kénitra
Ahmed C. est un bonhomme étrange. On pourrait difficilement croire qu'il est écroué dans le couloir de la mort pour un double meurtre mâtiné de dissimulations de cadavres et pyromanie. Ahmed est un personnage quelconque qui passe inaperçu dans ce pavillon et qui fait plus office de commis des condamnés qu'un criminel avec dossier, registre et toute la paperasse qui s'en suit. Il ne nie pas son crime et trouve même un malin plaisir à vous révéler les détails de ce qu'il a fait avec une aisance pour le moins déconcertante. La trentaine bien tassée, trapu et le regard malin, Ahmed C. est décrit par ses compères comme un loufoque, un type à ne pas prendre au sérieux parce qu'il a choisi de faire semblant que tout ceci n'est qu'une partie de bras de fer drôle avec le destin. Aujourd'hui, il revient sur son passé avec le détachement de celui qui n'a plus rien à voir avec ce qu'il était. Il dit même avoir troqué son image d'hier avec un nouveau visage qu'il est en train de se façonner. Parole de détenu, il fera tout pour effacer de son cerveau un jour noir de l'été.
Inutile de revenir sur l'enfance et l'adolescence d'un personnage de son rang. Inutile de vouloir faire de la psychanalyse autour d'une figure aussi complexe et insaisissable. Inutile de chercher à savoir quels étaient ses rêves, ses aspirations, ses cauchemars, ses bonheurs, ses illusions. Ahmed C. dit avoir traîné ses guenilles depuis qu'il était tout petit entre la violence qui lui a été réservée et celle qu'il a infligée aux autres. Sa vie vacille entre deux pôles, les coups reçus et les coups donnés. Entre les deux, un vide immense qui bouffait son homme et faisait grandir ses frustrations et sa volonté d'en finir avec tout ce qui pouvait lui rappeler l'humain en lui.
On ne saura jamais quand il a commis son premier délit, mais il se souvient avoir eu des démêlés avec la justice à un âge très précoce. «Sans gravité, mais j'ai fait un séjour au commissariat et on a fini par me lâcher». Si l'on en croit les registres de la police, c'était très tôt. Ahmed n'était pas de ceux qui se laissaient marcher sur les pieds.
Un début incertain
Il était très futé, bagarreur et bougrement musclé pour son âge. Cette silhouette trapue qui déambule dans le couloir nous en dit long sur les affres d'une enfance où il fallait tirer son épingle du jeu. Les coups ruisselaient et le visage était toujours commotionné à force d'échanger des coups de tête comme un taureau en furie. «J'ai dû me battre beaucoup quand j'étais môme. On me prenait pour un vaurien, alors j'ai fait ce que j'ai pu pour que les autres me prennent un peu au sérieux. Merde, ce n'est pas parce qu'on est petit de taille qu'on n'a pas le courage de porter des coups. Et croyez-moi, il ne fallait pas me tourner le dos, car pour donner des coups, je savais bien cibler et il doit y en avoir qui ne m'ont jamais oublié ». Quand Ahmed parle de sa petite taille, il laisse entrevoir un rictus horrible qui lui fait une tête impossible à décrire : un mélange de démon et de clown avec un zeste d'irréalité qui vous échappe et sur lequel vous êtes incapable de mettre un nom. Bref, Ahmed est un rancunier qui peut te faire la peau pour un rien. Et il dit avoir défiguré plus d'un juste pour un mauvais regard ou une moquerie « Se foutre de ma gueule, non, jamais je n'ai laissé personne s'en tirer sans payer. Il m'est arrivé d'attendre pendant des heures un type avec un caillou caché dans la main pour lui casser le crâne juste parce qu'il m'a traité de nain.» Et vu l'air sérieux qu'il prend en revenant sur ce passé lointain, il faut bien croire qu'avec Ahmed, il n'y a pas lieu de douter de la véracité de ce qu'il avance.
«Quand j'ai tué, je devais être fou de rage parce que je ne me suis souvenu des détails précis que des mois plus tard. Je vous le jure que j'ai oublié beaucoup de choses et quand les policiers me disaient comment j'ai tué, je ne savais pas quoi leur répondre. J'ai avoué, certes, mais je n'avais aucune idée sur comment les choses s'étaient déroulées. D'ailleurs, il y avait un policier qui ne m'avait pas cru et cela me mettait en rage. Parce que, je vous le jure, je leur disais la vérité, mais personne ne voulait me croire ».
Et la mort frappe
Ahmed semble encore aujourd'hui indécis devant l'incrédulité des gens quand il leur répétait qu'il ne savait pas comment, mais que meurtre il y a eu et qu'il en était l'auteur. Il a des souvenirs qui remontent aujourd'hui avec une telle précision qu'il est lui-même surpris de cette perte de mémoire inopinée. «J'avais décidé de passer à l'acte. Cela ne fait aucun doute, j'avais programmé tout cela. Mais il y a quelque chose qui m'a échappé. Et quand la police est venue me voir, j'ai dit que je l'avais fait ». Ahmed avoue son crime avec autant d'aisance que ceux qui enquêtaient avec lui étaient abasourdis. Aucune feinte, aucune volonté de dissimuler des faits, mais juste l'oubli de plusieurs détails. Selon Ahmed, quand il avait dit que c'était lui, peu importait de savoir comment : « mais eux insistaient. Merde, si je savais, j'aurais tout balancé d'un coup. Mais j'avais beau me forcer, que je ne savais rien ? À la fin, j'ai raconté des conneries pour en finir avec les questions. Et là encore, ils n'étaient pas satisfaits. Alors j'ai inventé tellement de choses que la tête m'en tournait. Mais bon, aujourd'hui, je sais tout et je suis clair avec moi-même ».
Le tueur loufoque
Tuer. Porter le coup fatal de sang-froid qui est, au moment du coup, très chaud pour ôter la vie. C'est un acte qui demande un courage sans faille et une force mentale à effriter les montagnes. Pourtant, quand on regarde ce bout d'homme trapu et court sur pattes, quand on fixe ce bonhomme bouffé par la rouille des jours, on se rend compte qu'Ahmed ne paye pas de mine. C'est même un personnage insignifiant qui pourrait passer en dehors des murs de la prison de Kénitra pour un mariole, un gringalet insipide qui fuit plus vite que son ombre. Nous avons du mal, beaucoup de mal, à réaliser que ce bonhomme frêle puisse terrasser des êtres humains, les tuer, leur planter un couteau dans le ventre, achever une, deux personnes avec autant de froideur et de calcul. «J'ai fixé l'homme et je lui ai tranché la gorge. Il est tombé raide et il pissait le sang. La femme s'est enfuie, mais pas très loin. Elle avait peur, elle ne savait pas où aller. Je l'ai suivie et je lui ai planté le couteau dans les reins, plusieurs coups et elle est tombée en bougeant légèrement. Je ne me souviens plus de son visage à elle, mais lui je crois qu'il était un peu brun avec un œil qui louchait. » À voir cette silhouette franchir la porte de la petite pièce, désormais lieu de rencontres entre les locataires à vie du couloir de la mort et nous, nous sommes surpris de toute la dureté qu'il y a dans chaque geste, chaque regard, chaque muscle. Cinquante kilos à tout casser, le corps bien caché sous des habits sans couleur et une mine à la fois grise et fermée. Il y avait dans cet accoutrement quelque chose de presque prévisible. On aurait dit quelqu'un qui voulait noyer son corps dans une masse de tissus plus large que son être, pour faire disparaître la gêne, le malaise, ce sentiment bizarre qui le rend fuyant vis-à-vis de lui-même et des autres. Il ne faut pas être grand observateur de la nature humaine pour se rendre très vite compte qu'Ahmed est un homme qui ne se sent pas bien dans ses souliers malgré ses airs de je m'en foutiste bien aguerri. En lui subsiste une forte décision de rester inébranlable dans l'âme. Il donne l'impression de ceux qui ont répété souvent des rôles à endosser et qui ont cette peur, ce trac, de ne pas y arriver. Ce qui marque le plus chez lui est ce regard en biais, la tête légèrement penchée sur la gauche. Ajoutez à cela un visage aux pommettes saillantes, des joues creuses et vous avez l'œil le plus noir qui puisse un jour vous fixer droit dans les paupières. Ahmed tient aussi à établir à sa manière les règles du jeu. On va parler, je vais vous débiter ce que vous voulez, mais à une seule condition : «faites semblant que vous m'avez cru. Me croire quoi que je dise même si ce que je vous débite vous semble invraisemblable, faites comme si». C'est cela notre accord tacite, notre point de départ pour amorcer un soupçon de dialogue avec un type qui sait que la partie est perdue depuis longtemps, mais qui s'efforce à penser qu'il y a toujours un extra-time avec la vie qui vous est accordée pour peu que vous y croyez comme un noyé à son fil sauveteur imaginaire.
La préméditation
«Il y avait un type qui un jour m'avait humilié alors que j'étais en vacances chez ma famille dans la région de Souk Larbâa. Il y a eu une bagarre et les gens, toujours les gens, nous ont séparés. J'avais juré de lui faire la peau un jour. Et je l'ai suivi pour savoir où il habitait. Ensuite, j'ai fait semblant d'avoir tourné la page. Plus d'une semaine après cette bagarre, j'ai pris le même autocar que lui et je suis descendu dans la même région que lui. J'ai alors localisé où il habitait du côté de Salé. Il y avait avec lui au bled une femme que j'avais fréquentée une fois ou deux. Et quand elle l'avait rencontré, c'était fini entre nous. Mais comme ce type m'avait dit des choses, il a fallu aller jusqu'au bout ». Ce qu'Ahmed n'explique pas, c'est que le type en question lui a raflé sous le nez sa dulcinée qui lui offrait ses charmes de temps à autre, moyennant des sous. Avec le nouveau venu «Qui était grand et qui avait de l'argent », la bonne femme a vite fait de tourner le dos au trapu qui, lui, n'avait pas accepté un tel traitement. Oui, une simple affaire de cœur et de sexe qui tourne très mal. Aussi dur à croire, c'est cela la vérité selon Ahmed qui dit « ne rien regretter et que ce type n'a eu que ce qu'il méritait ». Il y a eu des témoins et il y a eu des injures qui faisaient allusion à la taille du pénis du petit gars qui venait de se faire larguer par une femme qui a trouvé chaussure à son pied. Alors le petit bonhomme perd les boules et décide d'en découdre avec le nouveau venu. Mais ce dernier était plus fort. Il lui casse la gueule, lui dit ses quatre vérités, l'humilie devant des témoins et en plus se paye le luxe de lui révéler que la femme avait pris les devants en lui racontant que son histoire avec notre homme n'était que pour les sous. Oui, «Cette femme lui avait dit qu'elle faisait ça pour l'argent. Je crois qu'elle a pu le dire parce qu'au fond de moi-même je savais que c'était cela, mais je ne voulais pas me l'avouer. Alors j'ai décidé ce jour-là devant les gens de faire ce qu'il faut. Et j'ai attendu le moment venu».
Un homme
et une femme
«J'ai laissé passé du temps, et il a fallu faire très attention. D'abord, je savais où il habitait, c'était déjà ça. Ensuite, il fallait suivre au pas la jeune femme. Un jour, elle prend un taxi et elle va à Kénitra, je la suis et je savais qu'elle allait finir à Salé chez son mec. Je l'ai suivie et c'était cela qui est arrivé. La bonne femme ne se doutait de rien. Je l'ai vue le rencontrer et j'ai attendu dans le coin. Le soir, ils sont sortis et sont allés quelque part, je les ai suivis encore et au retour, tard dans la nuit, j'ai décidé d'aller les voir et c'est là que ce qui devait se passer a eu lieu ». Ce qui devait se passer était que le trapu avait un couteau de boucher qu'il avait bien aiguisé. Il va voir le couple qui rentrait après une bonne soirée arrosée. «Je lui ai demandé s'il se souvenait de moi. Il m'a répondu que non et je savais qu'il mentait. Alors, je lui ai donné directement un coup de couteau à la gorge et il est tombé. La fille s'est enfuie et je l'ai suivie, et là c'était fini pour les deux ». La bonne femme succombe et son corps se vide de son sang. Le type qui lui avait ravi son amoureuse ne respirait plus quand il est revenu lui jeter un coup d'œil. Alors, il contemple son travail et décide de partir. « La rue était déserte, personne ne m'avait vu, pourtant, moins d'une semaine plus tard, on est venu me chercher. Et là j'ai tout dit. Il fallait savoir que cela ne servait à rien de nier. J'ai raconté et comme j'ai dit il y a eu des choses que j'ai oubliées. Entre nous, je ne regrette rien. Ce type devait payer et la femme avait raconté des conneries sur moi. Croyez-moi, c'était une femme qui devait un jour ou l'autre mourir ».
Les souvenirs…et la nuit
Il doit aussi se rappeler ce corps de femme qu'il a possédé, qui était à lui, toutes ces jouissances qui lui faisaient croire qu'il était le meilleur, le plus coriace, le plus beau. Il doit revivre dans le rêve les dizaines, les centaines de visages qui ont été l'image du bonheur d'un homme fou d'une femme. Il ne peut pas oublier les balades dans la journée à la recherche de celle qui sera sa compagne d'une nuit et qui, le lendemain venu, il doit attendre la prochaine fois avec l'incertitude de celui qui risque de perdre son butin à n'importe quel moment. Il n'oublie rien de tout cela et il sait que c'était là l'une des femmes qui lui a fait voir les portes du paradis avant de les lui fermer au nez pour un autre. Il doit se dire, seul dans la nuit noire de sa cellule, que pour peu qu'il ait laissé cette femme libre, il aurait pu en goûter encore, au moins une fois, avant de décider de lui porter le coup fatal. Mais rien à y faire. Il l'a fait et il n'a pas pu tenir. C'est comme ça. Dans sa cellule, il tue le temps. Il le tue à coups de vent, à coups de rire, à coups de silence. Il essaye de vivre, de respirer malgré l'odeur du sang qui remplit ses narines et son œil gorgé de visions noires.


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