«Il y a eu la crise financière de 2008, et chacun y est allé de ses solutions techniques. Il y a eu la crise de la dette souveraine des pays de l'UE, et là aussi tout le monde leur est tombé dessus. L'origine de la crise économique actuelle est tout autre. C'est essentiellement une crise des inégalités». Au Forum de Paris, Dominique Strauss Khan -dont l'intervention a été très attendue- a d'emblée planté le décor. Si l'ancien patron du FMI ne remet pas en cause les effets déstabilisants de la crise financière et celle de la dette européenne, il pointe du doigt la croissance des inégalités, comme origine de la crise actuelle. Sur fond de «bouleversements politiques et de défis économiques», sa démarche, didactique et illustrative, a eu le mérite de ne pas figer les solutions dans des idéologies ou dans des intérêts particuliers. Les leçons de la période «Une crise, une illustration, une conclusion», a-t-il prévenu. La crise des subprimes d'abord, que tous les analystes ont prise sous l'angle technique, et qui est en fait un problème foncièrement de société. «À l'origine, pourquoi les Américains se sont-ils endettés ? La réponse est simple : les écarts de revenus et les inégalités n'ont jamais été aussi exacerbés que sur les deux dernières décennies». Le schéma est tout aussi simple. Une classe moyenne supérieure, qui en phase d'être rétrogradée en classe moyenne inférieure, essaie fort logiquement de maintenir son niveau de vie. Le baby boom d'après guerre a probablement laissé des traces dans l'inconscient collectif des Américains, comme les trente glorieuses ont bercé les illusions des Européens sur leur politique budgétaire sans limite. Dans ce contexte particulier, il est normal qu'une course effrénée au crédit crée une bulle, qui finit malheureusement par exploser à la face du monde. Au regard de ce contexte, la première leçon est que «trop d'inégalités nuit à la croissance et à la stabilité économique», tant il est vrai qu'«une croissance sans développement amène à terme des tensions», qui créent de l'instabilité, du doute, un déficit de confiance généralisée, et par conséquent, une récession économique. «On a un modèle de croissance mondiale fondé sur le déséquilibre, il faut en sortir. Dans cette logique, les surplus des uns engendrent des déficits chez les autres, des déficits jumeaux, de la balance des paiements et du budget», explique DSK. C'est par exemple le cas de l'Allemagne avec le reste de l'UE. Conclusion, il faut revenir à «une croissance fondée sur la consommation et la demande interne, qui soit favorable à la classe moyenne». Seconde leçon de la période, «il faut composer avec les économies et non pas pays émergentes». Si on se pose tous la question de savoir «ce que signifie le concept d'émergents et comment les intégrer», il faut là aussi revenir à l'origine du phénomène, qui est ailleurs. Elle se place en effet du côté des économies dites avancées. Dans une conception hegelienne de l'histoire, DSK constate «la fin d'une période historique», qui s'étale du début du XIXe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle, durant laquelle l'Occident a confortablement assis sa domination sur la marche du monde, avec pour principale arme «l'exception technologique qu'il ne daignait pas partager avec le reste de la planète». Avec la mondialisation, cette exception n'a plus lieu de cité. Il n'y a pour cela qu'à regarder «du côté de l'Inde, du Brésil, de la Chine et des autres économies émergentes». «Du coup, on revient à la norme, puisque le savoir se démocratise». Les compteurs repartant donc à zéro, les émergents disposent d'un avantage considérable sur l'Occident, «le nombre (qui) fait la force». Conclusion, «l'avenir est entre les mains des peuples du Sud, puisqu'il n'y a plus de colonisateurs potentiels». C'est la fin d'une histoire et le début d'une autre, donc. Les marchés n'attendent pas «La gouvernance, ça compte». La mondialisation des échanges, le mouvement déchaîné des capitaux d'une place à l'autre, l'interdépendance et l'interaction des économies, posent la question du «temps». Il serait de trois ordres. Un temps des marchés, un temps extrêmement court, et «on a constaté à ce propos que le retard des décideurs politiques européens à concrétiser leurs décisions a accéléré la crise». Le temps des économies ensuite, un temps par nature «long», parce qu'il passe par le développement et par conséquent par des chantiers structurels et une vision à long terme. La meilleure illustration en serait l'éducation. Enfin, le temps du politique, «un temps pris entre les temps des marchés et celui de l'économie», un temps perdu donc. Quand on sait que «les décisions à prendre sont plus politiques qu'économiques», c'est ce temps du politique qui est «cause de l'amplification de la crise», pour deux raisons. La première est simple. Il y a manifestement «une incapacité des décideurs à accepter leurs erreurs». La seconde tient du fait qu'aux premières manifestations de la crise, celle de la Grèce par exemple, «il aurait fallu accepter de prendre les pertes immédiatement», pour la simple raison que «les marchés n'attendent pas». «Plus rapidement, on assume les premières pertes, plus rapidement on se relance», mais pour cela, il faut une gouvernance forte, ce qui n'est pas le cas actuellement en Europe. Dans le même sillage et suivant la même illustration, DSK pose la question de la solidarité. «Il n'y a pas d'Union sans solidarité», comme il n'y a pas d'Union «sans leadership». En prenant encore l'Europe comme exemple, DSK tire cette conclusion : «quand on s'engage dans une union, il faut aller au bout de l'intégration», alors que «les européens se sont eux arrêtés au milieu du chemin». Et comme «on ne peut être à moitié unis, mariés», la conclusion est qu'il faut «s'unir pour le meilleur comme pour le pire», un conseil adressé publiquement aux défenseurs de l'UMA et dont DSK connaît un bout, un bon, probablement.