En 2024, les établissements de crédit ont enregistré une progression significative de leurs résultats, dans un contexte de croissance modérée et d'apaisement des tensions inflationnistes. Une évolution confirmée par le dernier rapport annuel de Bank Al-Maghrib sur la supervision bancaire, qui met en lumière la solidité des fondamentaux du secteur, dans un paysage où la demande privée fait quelque peu défaut. Comme chaque année, Bank Al-Maghrib dévoile son rapport annuel sur la supervision bancaire. Un document dense, publié en marge d'une conférence de presse présentée comme un exercice de transparence – qui s'apparente, en réalité, à un rituel bien rodé. Pour cette 21e édition, la Banque centrale revient sur l'état du système, les risques identifiés et les mutations engagées par segment d'activité, dans une conjoncture marquée par un re- tour progressif à une forme de stabilité macroéconomique. D'emblée, un premier constat s'impose. La bonne tenue du secteur bancaire ne surprend plus. Les chiffres de rentabilité en confirment la solidité. Le résultat net cumulé a progressé de 24,1%, pour atteindre 15,7 milliards de dirhams (MMDH), tiré par une hausse du produit net bancaire (+16,3%) et une contribution no- table des activités de marché. «Cette amélioration s'explique à la fois par les revenus d'intermédiation et par la performance des opérations de marché, qui ont enregistré une progression significative», commente Nabil Badr, directeur adjoint de la Direction de la supervision bancaire (DSB). La progression du produit net bancaire, portée à 60 MMDH, s'explique notamment par une hausse de la marge d'intérêt (+7,3%) et des commissions (+7,1%). La marge d'intermédiation ressort à 3,11%, en légère amélioration par rap- port à l'exercice précédent. Le coût moyen des ressources reste contenu, à 1,48%, traduisant une gestion efficace des conditions de refinancement. Les établissements ont ainsi pu dégager des marges confortables, malgré un contexte où la demande de crédit progresse à un rythme modéré. Sur le front du financement, l'encours des crédits à la clientèle a atteint 1. 162 MMDH, en hausse de 4,6%. Un chiffre à relativiser. La dynamique est portée par les crédits à l'équipement (+18,7%), directement liés aux projets d'infrastructure engagés dans la perspective des grandes échéances sportives. En revanche, les crédits aux ménages stagnent (+1,2%), avec une hausse contenue sur l'habitat (+0,6%) et une quasi-stabilité sur la consommation (+0,9%). «Le financement de l'économie reste concentré sur quelques axes porteurs, sans véritable relance de la demande des ménages», note Nabil Badr. Du côté des ressources, la collecte des dépôts a connu une croissance soutenue (+9,2%), pour un encours global de 1.275 mil- liards. Cette évolution s'explique en partie par les effets de l'amnistie fiscale prévue dans la Loi de finances, qui a incité certains agents à régulariser leur situation. Les dépôts à vue progressent de 11,1%, tandis que les dépôts à terme et les comptes sur carnet enregistrent des hausses respectives de 4,7% et 2,6%. «Le secteur continue de bénéficier d'une base de dépôts stable, un élément clé pour la préservation de la liquidité», observe le directeur de la DSB LA VIGILANCE EST DE MISE Dans ce contexte de croissance modérée, la qualité des actifs reste sous étroite surveillance. Le taux des créances en souffrance s'établit à 8,4%, un niveau stable par rapport à l'an- née précédente. L'encours atteint 97,4 MMDH, tandis que le stock de provisions avoisine les 67 milliards. Le taux de couverture atteint pour sa part près de 69%, traduisant une politique de provisionnement renforcée. «Ce niveau de couverture a été ajusté pour prendre en compte certains portefeuilles jugés sensibles», précise Nabil Badr. La trajectoire des fonds propres confirme cette tendance. Le ratio global de solvabilité s'établit à 16,2%, au-dessus du plancher réglementaire (12%), tandis que le ratio de fonds propres de catégorie 1 atteint 13,5%. À cela s'ajoute un ratio de levier moyen de 7,98%, bien supérieur au seuil de 3% fixé par les standards internatio- naux. «L'exposition au levier demeure modérée, ce qui reflète un usage me- suré de l'endettement dans la conduite des activités bancaires», souligne notre interlocuteur. REFORMES REGLEMENTAIRES La lecture du rapport ne se limite pas à l'analyse financière. Elle offre égale- ment un aperçu des mutations structurelles à l'œuvre dans le secteur. L'année 2024 a été marquée par l'entrée en vigueur de plusieurs réformes réglementaires majeures. BAM a finalisé un nouveau dispositif encadrant l'octroi de la liquidité d'urgence. Ce mécanisme pré- voit des conditions d'éligibilité précises et un cadre formalisé pour la mobilisation du collatéral. Il complète le volet législatif introduit ces dernières années sur la gestion des établissements en difficulté. «Cette réforme renforce la capacité d'intervention de la Banque centrale en cas de besoin, tout en assurant un encadrement strict de l'accès à la liquidité exceptionnelle», précise le directeur adjoint de la DSB. Dans le même esprit, un projet de loi a été fi- nalisé pour créer un marché secondaire des créances non performantes (NPL). Une mesure attendue de longue date, qui pourrait permettre aux banques de se défaire plus facilement des actifs dépréciés au profit d'investisseurs ayant plus d'appétence pour le risque. FINANCEMENT ALTERNATIF La transformation du secteur ne se limite pas aux équilibres financiers. Elle touche également les usages, les infrastructures et les dispositifs de protection. L'année 2024 a marqué une étape importante dans la modernisation du cadre régissant les services de paiement. Trois nouvelles circulaires ont été adoptées pour élargir l'offre de comptes de paiement et faciliter leur usage, notamment en zones peu des- servies, qui prévoient le «relèvement des plafonds et l'assouplissement des statuts d'agents». Une réforme dont la finalité est de renforcer l'inclusion financière en s'appuyant sur la digitalisation. En parallèle, BAM a accordé des agréments à trois sociétés de financement collaboratif. Ces premiers pas dans le domaine du crowdfunding complètent l'arsenal de financement alternatif, longtemps resté embryon- naire. «L'objectif est de diversifier les circuits de financement tout en assurant un encadrement strict de ces nouveaux acteurs», explique le directeur adjoint de la DSB. GESTION DES RISQUES L'institution a également renforcé sa stratégie en matière de cybersécurité. Un département dédié à la résilience numérique a été créé, avec pour mission de suivre les risques liés aux services digitaux et aux infrastructures critiques, en lien étroit avec la Direction générale de la sécurité des systèmes d'information. Le risque climatique fait aussi désormais l'objet d'un suivi spécifique. Deux textes réglementaires ont été édictés, l'un sur la communication extra-financière des banques en matière de climat, l'autre concerne la collecte de données relatives aux expositions sensibles «Ces dispositifs visent à intégrer les dimensions climatiques dans les processus internes de gestion des risques», nous explique-t-on du côté de la Banque centrale. Dans la continuité des chantiers engagés, BAM accorde une attention croissante à la relation entre les banques et leurs clients. Le nombre de réclamations en matière de frais, de clôtures de comptes ou d'opérations contestées ne cesse de croître, obligeant les établissements à se doter de mécanismes de médiation plus structurés. La Banque centrale supervise désormais ce processus avec un suivi statistique régulier et un engage- ment formel du secteur. «La protection de la clientèle n'est plus un simple enjeu de conformité. Elle participe pleinement à l'équilibre du système», insiste le directeur adjoint de la Direction de la supervision bancaire. Une manière, aussi, de rappeler que la solidité d'un secteur ne se mesure pas uniquement à ses ratios, mais à sa capacité à entretenir une relation durable avec ses usagers. LA BANCARISATION GAGNE DU TERRAIN EN DEHORS DU RESEAU BANCAIRE CLASSIQUE Portés par les aides sociales et une réforme réglementaire ambitieuse, les comptes de paiement enregistrent une progression spectaculaire. En 2024, leur nombre a bondi à 13,8 millions, soit 3,5 millions de plus en un an. Une dynamique encore peu visible dans les bilans agrégés, mais qui commence à bousculer l'architecture traditionnelle du dépôt. Les comptes dits «de niveau 3», plafonnés à 20.000 dirhams, concentrent désormais l'essentiel des flux. Plus accessibles, opérés par des agents parfois en dehors du réseau bancaire classique, ils relèvent d'une logique d'usage, davantage que d'une relation bancaire structurée. Pour l'heure, ces instruments restent cantonnés à des opérations de base. Mais à mesure qu'ils s'installent dans les habitudes, ils pourraient, à terme, recomposer le paysage du retail bancaire, en particulier dans les zones enclavées où la présence physique des banques tend à s'effacer. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO