À l'heure où les transferts de jeunes footballeurs deviennent un moteur économique à part entière, une étude du CIES Football Observatory met en lumière le rôle central de certains pays dans l'exportation de talents formés localement. En tête du classement, la France confirme son statut de championne mondiale de la formation rentable, avec près de 4 milliards d'euros générés sur la dernière décennie. Mais au-delà du podium, c'est tout une géographie du football mondial qui se redessine, entre logiques économiques, précocité des transferts et enjeux de durabilité. Depuis une décennie, le monde du football se lit désormais aussi en chiffres : ceux issus de la formation, de l'exportation des talents, et de la valeur économique générée par de jeunes joueurs formés localement. L'étude du CIES dévoile que certains pays ne se contentent pas d'être des puissances footballistiques : ils sont devenus des plates‐formes d'exportation de talents, monétisant leur formation avec efficacité. À ce jeu, la France occupe une place à part. Entre 2016 et 2025, les clubs français ont généré 3,976 milliards d'euros grâce aux transferts internationaux de joueurs formés sur le territoire national — soit près de 400 millions d'euros par an en moyenne. Derrière l'Hexagone, deux pays se distinguent en dépassant la barre des deux milliards : le Brésil avec 2,60 milliards d'euros et l'Espagne avec 2,24 milliards d'euros. Six autres nations ont franchi le cap du milliard d'euros de recettes : Portugal, Pays‐Bas, Angleterre, Allemagne, Italie et l'Argentine. Un élément retient particulièrement l'attention : près d'un tiers de ces recettes proviennent de joueurs âgés de moins de 21 ans. Cette proportion atteint des sommets dans certains pays : 64,7 % pour la Serbie, 50,1 % pour le Brésil, 48,4 % pour le Danemark, 47,9 % pour la Suède et 43,8 % pour la Belgique. Ce phénomène traduit une logique d'exportation précoce des talents — un modèle où être formé localement devient le point de départ d'une trajectoire internationale dès le début de carrière. Cette logique s'impose comme un modèle économique à part entière : la formation n'est plus seulement un levier sportif, elle est un actif stratégique, une source de revenus, un système d'exportation de compétences. La France illustre comment un pays peut convertir son vivier local en valeur monétisée, à un rythme soutenu. Pour les nations qui aspirent à jouer un rôle plus affirmé dans la chaîne mondiale du football — notamment les pays africains — cette étude constitue un signal fort, mais cette stratégie n'est pas sans défis. L'exportation précoce des jeunes joueurs soulève des enjeux éthiques, de gouvernance et de retombées nationales. Les clubs formateurs courent le risque de voir leurs talents partir avant d'avoir acquis une maturité suffisante, et les nations concernées de ne pas bénéficier pleinement de la création de valeur – tant sportive qu'économique – qu'ils ont contribué à construire. Pour les pays africains en particulier, l'étude suggère qu'il est crucial de concevoir des mécanismes de captation de valeur (clauses de revente, pourcentage sur le transfert, maintien d'un lien avec le club formateur) afin d'éviter d'être simplement des "pourvoyeurs de talents" sans retombées. L'étude met enfin l'accent sur un fait majeur : dans ce marché globalisé, l'accent est mis sur l'âge, la précocité, la mobilité. Le transfert international, souvent à 21 ans ou moins, est devenu un vecteur de financement pour les académies et clubs formateurs. C'est un cycle : détecter tôt, former mieux, exporter plus vite. Et dans ce cycle, ceux qui jouent la carte de la formation deviennent des acteurs économiques à part entière, pas uniquement sportifs. En fin de compte, le rapport du CIES rappelle que la formation footballistique ne peut plus être considérée comme un simple service. Elle est un investissement national stratégique, mis au service d'un rayonnement international, d'une économie de la compétence, d'une captation de valeur au-delà du terrain. Pour les clubs, les ligues et les gouvernements, l'impératif est clair : penser la formation comme un actif de développement, pas uniquement comme un vivier.