Derrière chaque billet de banque marocain se cache une industrie méconnue, stratégique et hautement sécurisée. De la fabrication à la destruction, en passant par le tri, la logistique, la surveillance et l'innovation technologique, le circuit fiduciaire est une mécanique de précision orchestrée par Bank Al-Maghrib. Le rapport 2024 sur les infrastructures de marché dévoile les rouages d'un écosystème discret mais essentiel, garant de la souveraineté monétaire du Royaume. Dans les entrailles silencieuses de Bank Al-Maghrib, au sein d'installations hautement sécurisées et technologiques, se joue une mission cruciale pour l'économie nationale : garantir la confiance dans la monnaie. Loin des projecteurs des marchés financiers et des débats sur les taux directeurs, une autre forme d'industrie travaille dans l'ombre, avec une rigueur chirurgicale. Il s'agit de l'industrie de la monnaie fiduciaire, un système à la fois ancien et perpétuellement modernisé, qui articule création, surveillance, destruction, recyclage, logistique et souveraineté économique. Le rapport 2024 de Bank Al-Maghrib sur les infrastructures des marchés financiers et les moyens de paiement lève le voile sur cet univers structuré, discret, mais essentiel à la fluidité de l'économie réelle. Bien plus qu'un simple réseau d'impression et de distribution de billets, la gestion fiduciaire nationale s'impose aujourd'hui comme une industrie à part entière, dotée de ses centres de production, de tri, de contrôle qualité, et d'innovation technologique. La création monétaire : rigueur, innovation et souveraineté Au cœur de cette industrie, Dar As-Sikkah est le bras technique de BAM. Il concentre toutes les opérations de fabrication des billets et pièces. En 2024, l'institution a produit 308 millions de billets de banque marocains (BBM), soit une augmentation de 3% par rapport à l'année précédente. Ce chiffre témoigne non seulement de la croissance naturelle des besoins économiques, mais aussi du cycle de renouvellement destiné à maintenir en circulation des coupures de qualité irréprochable. Contrairement aux idées reçues, la création monétaire fiduciaire n'est ni une opération mécanique ni purement administrative. Elle est hautement technologique, normée, codifiée. Bien plus qu'une imprimerie, Dar As-Sikkah est un pôle technologique à part entière. Les billets marocains sont dotés de multiples éléments de sécurité, certains visibles (hologrammes, fils de sécurité, encres optiques), d'autres invisibles, comme les codifications cryptographiques ou les micro-systèmes de traçabilité. Le rapport souligne que l'année 2024 a été marquée par le renforcement du dispositif de sécurisation des BBM avec l'introduction d'une nouvelle génération de signes distinctifs pour les coupures de 200 DH et 100 DH. Cette expertise industrielle dépasse désormais les frontières nationales. Le Maroc figure parmi les rares pays africains à disposer d'une capacité complète de production fiduciaire, et Dar As-Sikkah a élargi son portefeuille de prestations à des Etats tiers. Il fabrique pour eux billets de banque, passeports et documents officiels sécurisés. Une politique d'exportation qui répond à une double ambition : affirmer une autonomie stratégique et positionner le pays comme hub régional de souveraineté monétaire. Circulation et recyclage : une logistique nationale optimisée À fin 2024, la masse monétaire fiduciaire en circulation s'est établie à 444 milliards de dirhams, répartis entre 2,9 milliards de billets et 3,3 milliards de pièces de monnaie. Ce volume colossal est géré grâce à un réseau de partenaires bancaires et de transporteurs de fonds, piloté par BAM à travers ses centres de tri fiduciaires. Ces centres régionaux assurent le traitement de centaines de millions de billets chaque année. Leur mission ? Détecter les billets impropres, les détruire, approvisionner les zones déficitaires et optimiser la gestion des stocks de cash. Chaque billet en circulation est appelé, à un moment ou à un autre, à repasser par les mains de la Banque centrale pour une opération de tri, de vérification, voire de retrait. En 2024, 1,8 milliard de billets ont ainsi été triés : 1,4 milliard par Bank Al-Maghrib en interne et 400 millions via les banques commerciales, dans le cadre d'un traitement délégué. Ce modèle hybride permet à la Banque centrale de conserver la supervision globale du processus, tout en s'appuyant sur des relais performants. Sur ce total, 392 millions de billets ont été jugés impropres à la recirculation. Ils ont été retirés du circuit, puis broyés dans des machines spécialisées, dans le respect des normes environnementales et de sécurité les plus strictes. Une partie de ces déchets est aujourd'hui revalorisée dans le cadre de projets énergétiques durables, conformément à la stratégie verte adoptée par la Banque centrale. Renouvellement et destruction : une boucle circulaire maîtrisée La circulation fiduciaire obéit à une logique de boucle. Emission, circulation, tri, destruction, remplacement : chaque étape est contrôlée, mesurée, traçable. Ce mécanisme assure la fluidité de l'économie tout en maintenant un haut niveau de qualité des coupures. La présence en circulation de billets propres, lisibles et difficiles à falsifier constitue un facteur-clé de confiance dans la monnaie nationale. En 2024, ce sont donc 392 millions de billets qui ont été jugés inaptes à la recirculation par Bank Al-Maghrib, représentant plus de 20% des billets traités. Ces coupures sont systématiquement détruites, conformément aux normes de sécurité les plus strictes, au sein des centres régionaux ou à Dar As-Sikkah. Selon le rapport annuel sur les infrastructures de marché et les moyens de paiement, «la gestion de la qualité des billets demeure au cœur du dispositif fiduciaire, notamment à travers l'élargissement du périmètre de traitement direct par BAM et le renforcement des obligations des banques commerciales en matière de tri qualité». La politique de renouvellement permet ainsi d'assurer une présence en circulation de coupures propres, lisibles et difficilement falsifiables, renforçant la confiance du public dans la monnaie fiduciaire. La qualité fiduciaire, enjeu de stabilité et d'image Garantir la qualité du cash est l'un des piliers du dispositif fiduciaire. Bank Al-Maghrib veille au respect strict des normes imposées aux établissements bancaires. Ces derniers doivent équiper leurs agences de machines validées pour le tri automatisé des billets, assurer une traçabilité fine de leurs opérations de traitement et transmettre un reporting régulier consolidé par la Banque centrale. En 2024, 1.840 équipements agréés étaient installés dans les agences bancaires à travers le pays, en hausse de 5,7% par rapport à l'année précédente. Cette modernisation progressive des outils de tri renforce la capacité du système bancaire à détecter les billets usés ou suspects, à améliorer la rotation des coupures, et à limiter les risques de fraude. La Banque centrale a par ailleurs publié une liste actualisée des équipements autorisés, tout en renforçant les contrôles techniques. L'accent a été mis sur l'intégration de systèmes de codification invisible et de détection intelligente, capables d'analyser les anomalies dans les chaînes de traitement. Ces innovations permettent non seulement d'améliorer l'efficacité des opérations, mais aussi d'anticiper les formes les plus sophistiquées de contrefaçon. Intermédiation bancaire et équipements fiduciaires : un maillage contrôlé Pour garantir un fonctionnement fluide du circuit fiduciaire, Bank Al-Maghrib veille au respect strict des exigences de qualité imposées aux établissements bancaires. Ceux-ci sont tenus d'équiper leurs agences et guichets automatiques de machines validées, capables d'assurer un tri qualitatif conforme. Le rapport note à ce sujet que «le nombre d'équipements validés installés en agences s'est élevé à 1.840, en hausse de 5,7% par rapport à 2023», confirmant un effort continu de modernisation. Les banques doivent également rendre compte régulièrement de leurs activités de traitement, dans le cadre d'un reporting harmonisé que la Banque centrale consolide pour orienter ses politiques de recyclage et de distribution. En 2024, BAM a aussi publié une liste actualisée des équipements de tri et de détection agréés, et impose désormais un contrôle annuel obligatoire à tous les opérateurs. Sécurité fiduciaire et innovation technologique Bank Al-Maghrib ne cesse de renforcer ses dispositifs de sécurité. En plus des éléments visibles sur les billets, elle mise sur des technologies de traçabilité, de codification invisible et de détection intelligente des anomalies dans les chaînes de tri. Ces innovations permettent d'anticiper les nouvelles formes de fraude et d'assurer une surveillance proactive de la qualité fiduciaire. La Banque centrale met également à jour régulièrement la liste des équipements agréés et impose à tous les acteurs un processus de validation rigoureux. Le tout s'inscrit dans une stratégie globale de renforcement de la résilience du système monétaire marocain face aux menaces internes et externes. Le coût de la fabrication et de la gestion du cash Produire et gérer du cash a un coût non négligeable. Le rapport chiffre à 2,5 milliards de dirhams le budget alloué par Bank Al-Maghrib à l'ensemble des opérations fiduciaires en 2024. Ce montant comprend la production, le transport sécurisé, le tri des billets, la sécurité des sites, la maintenance des équipements, ainsi que les programmes de modernisation des infrastructures. Ce budget est intégré dans les charges générales de la Banque centrale, mais il représente aussi un levier stratégique. Car la monnaie fiduciaire n'est pas qu'un outil de paiement et les 2,5 MMDH ne sont pas une simple ligne budgétaire. Il s'agit d'un investissement stratégique pour la stabilité macroéconomique, la confiance des citoyens et l'intégration financière. Dans un pays où une partie importante de la population demeure en dehors des circuits bancaires, la monnaie fiduciaire reste un levier incontournable d'inclusion. Lutte contre la contrefaçon : des chiffres en baisse, mais une vigilance renforcée En parallèle, l'un des volets les plus sensibles de la gestion monétaire est la lutte contre la contrefaçon. En 2024, le nombre de faux billets détectés s'est établi à 4.495, contre 6.290 en 2023. Cela correspond à un taux de 1,5 billet contrefait pour un million de billets en circulation, un niveau historiquement bas. Les coupures de 200 DH, 100 DH et 50 DH ont concentré l'essentiel des tentatives de fraude, représentant à elles seules 88% des faux billets. BAM note également que 91% des tentatives de contrefaçon ont visé la série 2012, tandis que la nouvelle série introduite en 2023 n'a représenté que 3% des faux billets identifiés. Ces résultats sont à mettre au crédit d'une amélioration continue des dispositifs de contrôle, du renforcement des équipements de tri dans les banques commerciales et d'une sensibilisation constante auprès du grand public. La transition vers le numérique : complémentarité plus que substitution Si les paiements numériques connaissent une ascension certaine, l'usage du cash reste profondément enraciné dans les habitudes des Marocains. Selon les données de Bank Al-Maghrib, la monnaie fiduciaire demeure le moyen de transaction privilégié dans les zones rurales et auprès des petits commerçants. Cependant, BAM ne reste pas passive face à cette dualité. Elle accompagne activement la transition numérique, en encadrant les prestataires de services de paiement, en favorisant l'interopérabilité des plateformes, et en lançant une étude sur la faisabilité d'une Monnaie Digitale de Banque Centrale (MDBC). En 2024, la plateforme de virement instantané (PCVI) a traité plus de 16 millions d'opérations, pour un volume global de 61,7 milliards de dirhams. Les transactions quotidiennes ont plus que doublé depuis 2023, atteignant un pic de 231.000 opérations en une seule journée. Ce dynamisme confirme que le cash et le digital ne sont pas antinomiques, mais appelés à coexister dans un système monétaire hybride, inclusif et résilient. Une industrie en mutation, au service de la souveraineté Loin d'être une simple mécanique, la gestion de la monnaie fiduciaire est devenue un chantier stratégique de souveraineté. Le Maroc, à travers Dar As-Sikkah et les infrastructures de BAM, consolide une position de leadership régional. Ce modèle, fondé sur l'autonomie technologique, la modernisation logistique, l'efficacité environnementale et la résilience sécuritaire, offre au pays un levier puissant pour affronter les défis monétaires du XXIe siècle.