Le dernier rapport de la Banque centrale européenne sonne l'alarme : les déséquilibres économiques persistants des Etats-Unis ne menacent plus seulement Washington, mais font désormais peser un risque systémique sur la stabilité financière européenne. Alors que les valorisations boursières s'envolent et que les marchés s'interconnectent toujours davantage, l'Europe entre dans une zone de turbulences où les chocs venus d'outre-Atlantique pourraient se transmettre à grande vitesse. Dans son rapport semestriel publié en novembre 2025, la Banque centrale européenne (BCE) dresse un tableau nuancé mais inquiet de la stabilité financière de la zone euro, et invite à la plus grande vigilance face à des fragilités structurelles qu'il serait imprudent d'ignorer. Le rapport identifie en premier lieu l'exposition importante du secteur de la finance non bancaire — fonds d'investissement, assurances, entités dites de "shadow banking" — à des actifs libellés en dollar. Cette concentration rend ces acteurs particulièrement vulnérables à un choc sur le dollar ou à une remontée des taux outre‐Atlantique. En cas de crise, ces entités pourraient subir de lourdes pertes, ce qui, étant donné leurs liens croissants avec les banques traditionnelles, risquerait de provoquer un effet domino sur l'ensemble du système financier européen. Parallèlement, la BCE met en garde contre le niveau "tendu" des valorisations sur les marchés d'actifs, en particulier les actions des grandes entreprises technologiques américaines, dont l'essor est souvent alimenté par un engouement spéculatif. Une décorrélation entre ces valorisations et les fondamentaux économiques — par exemple si les attentes de croissance liées à l'intelligence artificielle ne se concrétisent pas — pourrait entraîner des "corrections brutales", avec pour effet un retrait massif des capitaux, un effondrement des cours et une remise en cause de la confiance des investisseurs. Ces dynamiques fragilisent un modèle de stabilité jusque‐là fondé sur la confiance en la liquidité et la profondeur des marchés mondiaux, souvent basée sur le statut du dollar et des bons du Trésor américain comme "valeurs refuge". La BCE note que ce paradigme est aujourd'hui remis en question : les dettes importantes des Etats‐Unis, leurs déficits budgétaires et commerciaux persistants, mais aussi les incertitudes géopolitiques, pèsent sur ce statut refuge, ce qui rebat les cartes du risque global. Consciente de ces menaces, la BCE souligne toutefois que les banques de la zone euro disposent encore de fonds propres et de réserves de liquidité jugés "robustes". Mais cela ne suffit plus pour garantir l'"immunité" contre des chocs cumulés ( un mix de stress de marché, choc de change, volatilité des actifs, retraits massifs de capitaux, crise de confiance). Dans cette nouvelle donne mondiale, la résilience ne pourra plus reposer uniquement sur des bilans solides, mais devra s'appuyer sur une supervision macro‐prudentielle renforcée, une meilleure gestion des risques et des mécanismes de prévention modernisés. Enfin, l'alarme de la BCE résonne au‐delà de l'Union européenne. Dans un monde fortement globalisé, les chocs — dettes, marchés, devises, capital — ne respectent pas les frontières. Les économies émergentes ou en développement, y compris celles hors zone euro, pourraient ressentir les retombées d'une crise européenne : contraction des flux de capitaux, hausse des coûts du financement, recul des exportations vers l'Europe, volatilité des devises, instabilité macroéconomique globale. En définitive, le rapport 2025 de la BCE marque un tournant. Il consacre la fin d'une ère où le dollar et les marchés internationaux pouvaient être considérés comme des refuges sûrs. Aujourd'hui, la multiplication des risques — structurels, financiers, géopolitiques — impose de repenser en profondeur les cadres de régulation, les logiques d'investissement et les mécanismes de prévention. Pour les économies du monde entier, c'est un signal clair : la stabilité financière n'est plus un acquis. Il faudra désormais l'entretenir activement, collectivement, avec lucidité.