L'émergence du convoyage longue distance comme alternative plus efficiente dans la manutention des minéraux en vrac marque un changement de paradigme dans la logistique minière. Portée au Maroc par le groupe industriel chinois JZ Creation, cette technologie promet une réduction des coûts d'exploitation et une empreinte carbone plus maîtrisée, au point d'alimenter le scénario d'une obsolescence programmée du slurry pipeline. Dans le dédale de couloirs et d'escaliers du Congrès international des mines, organisé les 23 et 24 novembre à Marrakech, deux mondes se côtoient sans vraiment se confondre. En salle plénière, experts, décideurs et représentants institutionnels se succèdent pour décrypter les grandes trajectoires d'un secteur en proie aux tensions géopolitiques mondiales sur fond de rivalité sino-américaine. Les discours ressassent cet éternel refrain qui relève désormais du secret de Polichinelle, celui d'une Afrique qui ne veut plus être seulement le réservoir de minerais de la planète, mais le lieu où se décide une part de la transition énergétique mondiale. Prouesse technologique L'enthousiasme est plus palpable du côté des opérateurs privés et équipementiers internationaux. Du canadien Aya Gold & Silver, qui met en avant son portefeuille d'exploration, à Red Rock, qui s'emploie à montrer que les acteurs locaux n'ont aucune raison de battre en retraite. Ce pavillon s'est voulu aussi le lieu des démonstrations technologiques. La prouesse la plus commentée vient d'un industriel chinois qui assure, non sans fierté, avoir réinventé la roue... ou plutôt le convoyeur. Les images diffusées sur ses écrans montrent un flux continu de minerai, entraîné par une bande qui avale les distances. L'avancée technologique revendiquée par cet intégrateur de chaînes logistiques minière présente un avantage de taille. Contrairement au transport routier ou ferroviaire, le convoyeur élimine les ruptures de charge, et ce, dès le site d'extraction. Le minerai est chargé en une fois, puis acheminé en continu sur des dizaines de kilomètres, parfois à travers des terrains accidentés, des collines, pentes ou reliefs. Un atout décisif lorsque «le gisement et l'usine de traitement sont éloignés par des obstacles naturels», nous explique-t-on sur place. Ce type d'installation, dans sa déclinaison la plus avancée, dite «convoyeur à bande tubulaire» (pipe conveyor), sert aussi à acheminer de gros volumes de vrac, notamment à destination de plateformes d'exportation, en s'appuyant sur un principe en apparence simple. Le minerai est d'abord déposé sur un tapis à plat, puis la bande se referme progressivement autour de la charge, formant une sorte de tube en mouvement qui transporte pierres et résidus sur des dizaines de kilomètres. Ainsi, le convoyeur est à même d'épouser tout type de surfaces sans rupture de charge. «Sur le plan technique, le convoyeur est plus flexible et permet d'aller en hauteur, de suivre les reliefs, d'adopter des tracés curvilignes», constate un expert indépendant. Contraintes logistiques Une démonstration qui ne laisse pas indifférent, dans un continent où les contraintes logistiques demeurent la principale épine au pied de la montée en valeur des chaînes de traitement. Bien que les ordres de grandeur varient selon les études, l'avantage du convoyeur vis à vis du fret routier ne fait guère débat. Une analyse du cabinet Thunder Said Energy estime le coût économique total du transport par convoyeur autour de 0,10 $ par tonne-kilomètre, soit environ 30% de moins que le recours à des poids lourds sur des distances comparables, avec des charges d'exploitation et une intensité carbone réduites d'environ 60%. Pour sa part, le fret ferroviaire pose un tout autre défi. «Le rail nécessite d'importants investissements d'infrastructure, qui ne correspondent pas toujours à la localisation des gisements. Le convoyeur, lui, s'installe exactement là où le client en a besoin. Il fonctionne en continu, 24 heures sur 24», affirme Pedro Sepulveda Chianca... Partenariats stratégiques Quid du slurry pipeline? Cette infrastructure suppose un investissement lourd – tuyauterie sous pression, stations de pompage, systèmes de contrôle –, mais une fois en service, sa pertinence économique est généralement envisagée pour des flux massifs et continus. Le slurry pipeline Khouribga–Jorf Lasfar, inauguré en 2014 et long de 187 kilomètres, transporte en continu une pulpe de phosphate depuis les mines de Khouribga jusqu'aux usines chimiques du littoral, pour un investissement initial déclaré d'environ 4,6 milliards de dirhams. Le pipeline reste une solution fréquemment retenue pour des volumes élevés, mais n'est pas exempt de limites, insiste Pedro Sepulveda Chianca, directeur commercial de JZ Creation, qui met en avant sa consommation d'eau et la nécessité de sécher le produit à l'arrivée, là où le convoyeur, selon lui, permet en outre d'anticiper plus finement les montées en capacité. Il convient de préciser que dans la littérature spécialisée, les ordres de grandeur diffèrent d'une étude à l'autre mais convergent sur un point. Convoyeur, pipeline de pulpe et rail ne se situent pas dans la même catégorie de coûts, que ce soit en investissement initial ou en coût par tonne-kilomètre sur la durée. «Il est difficile de s'avancer sur des ordre de grandeur puisque le rail ou le pipeline sont justifiés sur des projets de grande ampleur», explique un spécialiste qui requiert l'anonymat. Selon nos informations, JZ Creation œuvre depuis quelques mois, avec le groupe OCP, sur une demi-douzaine de projets, allant des installations de manutention et de stockage au convoyage sur le site de Benguérir et dans la zone minière voisine. Un nouveau contrat portant sur un convoyeur entre Benguérir et Mzinda ferait, d'après nos sources, l'objet de discussions avancées. JZ Creation, le géant discret de la chaîne logistique minière Basée à Jiaozuo dans la province du Henan, JZ Creation (Jiaozuo Creation Heavy Industry) revendique une expertise ancienne dans les systèmes de manutention du vrac. L'entreprise fabrique ses propres équipements et opère sur un spectre large allant des convoyeurs longue distance aux solutions de manutention pour installations industrielles et portuaires. Selon sa documentation publique, la société conçoit et fabrique des bandes transporteuses, des convoyeurs courbes ou tubulaires ainsi que divers équipements associés, qu'elle fournit à des mines, des ports, des centrales électriques et des aciéries en Chine et à l'international. Avec plusieurs centaines de salariés et des références annoncées sur plusieurs continents, JZ Creation s'inscrit dans le mouvement plus large d'acteurs asiatiques qui cherchent à se placer sur les infrastructures discrètes mais décisives de la chaîne de valeur minière, là où se joue en partie la circulation des ressources critiques vers les sites de transformation et les terminaux d'export. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO