Nul ne peut nier le refroidissement de la conjoncture mondiale, soumise au diktat des droits de douane américains et au retour des tensions géopolitiques, qui nourrissent un ralentissement annoncé en 2026. Tenant compte de ce degré de frilosité, le Comité de coordination et de surveillance des risques systémiques, instance pilotée par Bank Al-Maghrib et réunissant l'ensemble des régulateurs financiers, dresse le portrait d'un système financier national globalement solide, porté par des fondamentaux en amélioration et des marchés dynamiques, tout en gardant sous surveillance le durcissement de la liquidité bancaire et un niveau de créances en souffrance toujours élevé, sans évoquer à ce stade le spectre d'une bulle mondiale de l'IA. Le Comité de coordination et de surveillance des risques systémiques (CCSRS) a tenu, le 23 décembre, sa 22e réunion à Rabat, à un moment charnière du cycle économique. L'économie mondiale, encore portée au premier semestre par des effets d'anticipation liés aux hausses tarifaires, aborde une phase de décélération plus franche. Le Comité le reconnaît explicitement, relevant que «l'économie mondiale, bien qu'ayant fait preuve d'une relative résilience au titre du premier semestre 2025, devrait continuer à ralentir en 2026», avec des perspectives qui ne s'amélioreraient qu'en 2027, sur fond de tensions géopolitiques persistantes et d'incertitudes liées à la politique commerciale américaine. Dans ce contexte moins porteur, le diagnostic fait un distinguo clair entre la situation internationale de la conjoncture nationale. Les projections de Bank Al-Maghrib tablent sur une accélération nette de la croissance nationale à 5% en 2025, après 3,8% en 2024, avant une consolidation autour de 4,5% sur l'horizon 2026-2027. Cette dynamique repose largement sur l'investissement, tandis que l'inflation, après un point bas à 0,8% sur les onze premiers mois de 2025, resterait contenue malgré une remontée graduelle projetée à 1,3% en 2026, puis 1,9 % en 2027. Les équilibres extérieurs, eux, seraient maîtrisés, avec un déficit courant contenu sous la barre des 2% du PIB et des réserves officielles assurant une couverture confortable des importations. Normalisation progressive La lecture budgétaire s'inscrit dans la même logique de normalisation progressive. Le déficit du Trésor poursuivrait sa trajectoire de réduction, passant de 3,8% du PIB en 2024 à 3% à l'horizon 2026-2028. En parallèle, le ratio de dette publique amorcerait un reflux graduel, revenant vers 64% du PIB à l'horizon 2028. Cette consolidation, sans rupture brutale, contribue à stabiliser le socle macroéconomique sur lequel repose l'analyse du risque systémique. C'est toutefois sur le terrain monétaire que le diagnostic se veut plus contrasté. Le CCSRS anticipe une accentuation du besoin de liquidité bancaire, appelé à passer de 132 milliards de dirhams en 2025 à près de 158 milliards en 2027, sous l'effet notamment de la progression de la circulation fiduciaire. Cette tension structurelle ne se traduit pas, à ce stade, par un rationnement du crédit. Bien au contraire, les concours au secteur non financier devraient accélérer, pour atteindre 4,1% en 2025 et 5% en moyenne sur l'horizon de projection. Seul hic, le stock de créances en souffrance demeure élevé, à 8,7% à fin septembre 2025, même si le taux de provisionnement s'améliore légèrement pour atteindre 69%. C'est là l'un des points de vigilance clairement identifiés par le Comité. Pour autant, les amortisseurs du système bancaire continuent de jouer pleinement. Le secteur affiche une rentabilité soutenue, avec un résultat net en progression de 25% à fin juin 2025, porté par les activités de marché et d'intermédiation. Cette performance a renforcé la solvabilité des établissements, dont les ratios de fonds propres demeurent largement supérieurs aux minima réglementaires. Les tests de résistance menés par Bank Al-Maghrib confirment cette capacité d'absorption des chocs, «dans le respect des exigences prudentielles», tandis que les ratios de liquidité à court terme restent au-dessus des seuils requis. La même lecture prévaut pour les autres segments du système financier. Les infrastructures de marchés financiers sont jugées résilientes, tant sur le plan financier qu'opérationnel, et continuent de présenter un niveau de risque faible pour la stabilité d'ensemble. Le secteur des assurances, de son côté, affiche des fondamentaux solides. Les primes émises progressent de plus de 8%, le portefeuille de placements atteint près de 258 milliards de dirhams et les plus-values latentes enregistrent une hausse spectaculaire (71,6%), profitant à la fois de la bonne tenue du marché boursier et de la détente des taux. La solvabilité demeure, là encore, largement au-dessus des exigences réglementaires. Bull market La dynamique des marchés de capitaux vient compléter ce tableau. La place casablancaise poursuit son cycle haussier, avec un indice MASI en progression de plus de 28% sur un an et une capitalisation boursière qui dépasse désormais les 1.000 milliards de dirhams. Fait notable, cette hausse ne s'accompagne pas d'une flambée de la volatilité, celle-ci ayant même légèrement décéléré au second semestre. Le marché obligataire, malgré un début de resserrement en fin d'année, conserve une orientation globalement baissière des taux, tandis que la dette privée gagne en profondeur. Les OPCVM enregistrent des encours record, portés à la fois par des souscriptions nettes élevées et par la performance des fonds actions et diversifiés. L'un des signaux les plus observés concerne l'élargissement de la base des investisseurs. Le regain d'intérêt des personnes physiques, déjà perceptible au semestre précédent, se confirme. Le nombre de comptes titres et de porteurs de parts d'OPCVM progresse à un rythme soutenu, traduisant une réappropriation progressive du marché des capitaux par l'épargne domestique. Cette évolution contribue à diversifier les sources de financement et à réduire la dépendance aux acteurs institutionnels traditionnels. Il convient de dire que la cartographie des risques systémiques ne fait apparaître aucun déséquilibre majeur. Le Comité souligne au contraire la solidité d'ensemble du système, tout en maintenant une vigilance accrue sur quelques lignes de faille bien identifiées. «Le Comité a examiné la cartographie des risques systémiques et passé en revue les résultats des travaux de son sous-comité mensuel permettant une analyse holistique de la situation du système financier», rappelle le communiqué, qui insiste sur la nécessité d'un suivi continu dans un environnement international toujours instable. Le système financier demeure ainsi sous contrôle, mais il évolue sur une ligne étroite, où la liquidité bancaire, la qualité des actifs et la transmission des chocs externes continueront de dicter le tempo des arbitrages macroprudentiels à venir. Anti-blanchiment et financement du terrorisme : le compte à rebours est lancé La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme n'a rien d'anodin, tant elle conditionne, au premier chef, la crédibilité d'une place financière. À ce propos, le CCSRS a pris acte du lancement du processus d'évaluation mutuelle du dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT), à la suite d'une réunion de haut niveau tenue le 27 novembre à Rabat entre les responsables du GAFIMOAN et les autorités marocaines. Cette évaluation, qui s'inscrit dans le troisième cycle, doit débuter en novembre 2026 et s'inscrit dans le cadre du 3e cycle d'évaluation mutuelle du GAFIMOAN. Dans cette perspective, le Comité a également été informé de l'état d'avancement de la feuille de route du secteur financier, élaborée en déclinaison de la stratégie nationale LBC-FT portée par l'ANRF. L'objectif est d'assurer une mobilisation coordonnée des parties prenantes et de consolider la cohérence du dispositif en amont de cette échéance. Une nouvelle feuille de route pour bâtir la stabilité financière de demain Lors de sa 22e réunion, le Comité de coordination et de surveillance des risques systémiques (CCSRS) a validé une feuille de route stratégique destinée à consolider la stabilité financière du Maroc face à des risques internes et externes croissants. Cette feuille de route s'inscrit dans une dynamique de prévention proactive et de renforcement institutionnel, conformément à son rôle statutaire de surveillance et d'analyse du système financier national. Pour rappel, le CCSRS est chargé d'évaluer les risques systémiques sur la base d'une cartographie détaillée couvrant les secteurs bancaire, assurantiel et des marchés des capitaux, tout en veillant à la mise en œuvre de mesures pour les prévenir ou atténuer leurs effets. Cette feuille de route s'articule autour de cinq axes structurants, conçus pour anticiper les risques, affiner les outils d'analyse et garantir une réaction coordonnée et efficace face à tout déséquilibre potentiel. Premièrement, le renforcement du cadre institutionnel et légal, sachant que la stabilité d'un système financier repose avant tout sur un socle juridique clair et des institutions coordonnées. Le deuxième pilier de la feuille de route ambitionne de hisser le niveau de sophistication de l'analyse macro-prudentielle. Dans un environnement de plus en plus interconnecté, l'enjeu est de mieux cartographier les vulnérabilités systémiques à travers des modèles prédictifs plus fins, une intensification des exercices de stress tests, et un suivi plus dynamique des interdépendances entre secteurs (banques, assurances, marchés). Le troisième axe s'articule autour du développement des instruments macro-prudentiels. Il marque une évolution vers une gestion proactive des risques systémiques. L'objectif est d'enrichir l'arsenal d'outils macro-prudentiels, par exemple par l'activation de coussins de fonds propres supplémentaires en période d'expansion, des exigences plus strictes pour les établissements systémiques, ou encore des mesures ciblant des marchés spécifiques (immobilier, crédit à la consommation, etc.). Par ailleurs, l'un des enseignements des crises financières passées est la nécessité d'une réponse rapide et ordonnée en cas de choc majeur. Le CCSRS prévoit ainsi de renforcer le cadre juridique et opérationnel de résolution des défaillances. Cela passera probablement par l'élaboration de protocoles de coordination inter-institutionnelle, la définition claire des rôles en cas d'urgence et le déploiement de scénarios de simulation de crise. Enfin, la nouvelle feuille de route reconnaît le rôle crucial de la communication dans la stabilité financière. La transparence, en période normale comme en temps de crise, est essentielle pour prévenir les réactions irrationnelles des marchés et des épargnants. Le CCSRS entend donc renforcer sa politique de communication en diffusant plus régulièrement ses analyses, en clarifiant ses actions et en sensibilisant les opérateurs aux risques systémiques. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO