Ce vendredi 16 avril au matin, tout semble indiquer une nouvelle journée de calme sur les marchés financiers. En effet, les dernières statistiques économiques américaines sont en amélioration et les sociétés américaines commencent à annoncer leurs résultats du premier trimestre. Et ils sont plutôt bons. Les graphiques sur mes écrans le confirment : les marchés d'actions ont enclenché le pilote automatique depuis la mi-février et grimpent quasi continuellement, à un rythme plutôt soutenu. La Grèce ? Elle n'est toujours pas sortie d'affaire, elle s'enfonce au contraire... Mais la catastrophe annoncée tarde à se concrétiser, et les hésitations européennes pour sortir de la crise commencent à lasser les salles des marchés, qui ont décidé de s'intéresser pour le moment à autre chose. Eyjafj... Eyjöfjalla... Non, décidément, je n'arrive pas plus que mes collègues à prononcer le nom de ce volcan islandais qui a paralysé le ciel européen. Associé à la grève traditionnelle du chemin de fer français, cela donne des situations délicates pour ceux qui reviennent de vacances. La nature reprend ses droits, et on trouve cela plutôt amusant... Mais moins drôle est la nouvelle qui tombe soudainement sur les écrans : la Securities and Exchange Commission, le gendarme de la Bourse américaine, engage des poursuites contre la banque Goldman Sachs pour fraude. Immédiatement, tout le monde comprend que la nouvelle n'est pas anodine. Goldman Sachs est plus qu'une puissante banque de Wall Street, c'est une véritable institution, dont les anciens cadres et dirigeants sont disséminés dans de nombreuses instances dirigeantes américaines, ce qui lui vaut le surnom de «Government Sachs» de la part de ses détracteurs. Aussi, lorsque la SEC s'y attaque, c'est comme si un dirigeant indien déclarait vouloir faire un méchoui avec la vache la plus sacrée de New Delhi... Un sacrilège. D'ailleurs, les marchés ne s'y trompent pas. Au fur et à mesure que les détails sont dévoilés, les indices plongent. Sur mon écran, l'indice américain phare, le S&P 500, dévisse. Les faits que l'on reproche à Goldman Sachs remontent à 2007. On l'accuse d'avoir trompé ses propres clients au bénéfice du fonds d'investissement Paulson & Co, qui a enregistré de gigantesques profits en pariant sur la chute des valeurs immobilières, alors que certains clients de la banque prenaient le bouillon. L'accusation se fait plus précise lorsqu'elle dévoile les détails du montage structuré en question, mais aussi lorsqu'elle implique nommément un des protagonistes, un jeune centralien français nommé Fabrice Tourre, qui a participé au montage financier, mais qui a eu le malheur d'échanger quelques mails où il décrit ses états d'âme sur ces opérations. Certains de mes collègues hésitent entre consternation ou quand même un peu de fierté morbide de voir un de leurs compatriotes, à l'instar du fameux Jérôme Kerviel, impliqué dans un scandale financier international. Et certains de vérifier s'il fait partie de leurs réseaux sociaux ou professionnels. Ce sera probablement une nouvelle victime sacrificielle de l'emballement médiatique, un bouc émissaire qui sera utilisé par Goldman Sachs pour se dédouaner. Cependant, l'implication d'un seul employé n'a pas suffi à atténuer les charges qui planent contre la banque, car le contexte est clairement défavorable, pour ne pas dire exécrable. Goldman Sachs sort à peine d'une autre polémique, où elle était accusée d'avoir aidé la Grèce, ainsi que d'autres pays d'Europe du Sud à masquer leurs déficits abyssaux, puis d'avoir joué l'effondrement de ces pays sur les marchés. Les répercussions juridiques de cette nouvelle affaire pourraient être nombreuses. Parmi les «victimes» de l'opération, se trouve la banque allemande IKB, qui a été sauvée par la suite de la faillite par l'Etat, en 2008. Le gouvernement allemand a ainsi fait savoir qu'il allait étudier les recours juridiques contre Goldman Sachs. Les Anglais ne sont pas en reste non plus. Probablement soucieux d'occuper le terrain médiatique avant les prochaines élections législatives du 6 mai, le Premier ministre britannique Gordon Brown a demandé au régulateur financier anglais, la FSA, d'entamer de son côté une enquête sur Goldman Sachs, tout en accusant celle-ci de «faillite morale». Mais les implications de ce scandale ne s'arrêtent pas aux portes de la banque, car bien qu'il s'en défende, cela constitue une fenêtre d'opportunité formidable pour Barack Obama. En effet, moins d'un mois après le vote «historique» sur la réforme de la santé, il ne reste probablement que quelques mois au Président américain, qui bénéficie jusqu'en novembre de la majorité dans les deux Chambres, pour faire adopter la deuxième grande réforme de son mandat, celle de la régulation financière. Il désire notamment renforcer les tests de résistance sur les banques pratiqués par les régulateurs, encadrer de près les rémunérations des banquiers, et, enfin, établir des règles beaucoup plus strictes sur les effets de levier et les risques engagés. L'objectif est de garantir la stabilité financière par tous les moyens, et surtout de mettre un terme à l'ère des institutions «too big to fail» (trop importantes pour faire faillite) telles que Goldman Sachs, qui pourraient en cas de défaut mettre en péril tout le système financier. Mieux encore, c'est l'occasion de peser sur le G20 et le Fonds monétaire international, qui travaillent en ce moment à une harmonisation internationale des nouvelles règles pour le système financier. Et les banques comprennent que ce mouvement se traduit fatalement par la mise en place de nouvelles taxes pour tout le secteur financier. Pendant ce temps, Goldman Sachs, en attendant les suites judiciaires de l'affaire, ainsi que les conséquences des réformes qu'elle a contribué à déclencher, vient de présenter ses résultats trimestriels. Elle a engrangé un bénéfice de 3,3 milliards de dollars, près du double de l'année passée à la même période...