Samedi 3 avril, village Idmran relevant de la région d'Aït Tamjout. Cette bourgade entourée des montagnes du haut d'Atlas s'est parée de ses plus beaux atours aujourd'hui pour accueillir l' événement tant attendu par les habitants. A 07h00 du matin, ce village s'est transformé en un essaim d'abeilles. Des villageois travaillent d'arrache-pied pour terminer les préparatifs à temps. Ils sont en train d'aménager l'espace qui va accueillir la caravane. Les villageois commencent déjà à arriver sur place. Ils regardent avec curiosité le travail de préparation du terrain. Il y a des banderoles partout. Des personnes préparent l'intérieur d'une tente. L'activité de l'équipe sera interrompue par le bruit de trois véhicules. Leur arrivée attire l'attention de tout le monde. Des jeunes et des médecins avec leurs blouses blanches sous des gilets noirs portant le logo de l'Association Eden pour les œuvres socioculturelles. Cette dernière organise aujourd'hui une caravane médicale en partenariat avec la Fondation Mohammed V pour la solidarité et l'Association locale «Idmran pour le développement et la solidarité». L'équipe d'Eden est invitée sous la tente pour le petit déjeuner préparé par les femmes du village. 8h00 du matin. Sayf Hasni, chef d'équipe de la caravane donne les dernières directives avant le début de l'opération. Il présente minutieusement le déroulement du travail. «Un patient passera par un premier enregistrement assuré par l'Association locale. Ensuite il passe à un autre bureau d'enregistrement tenu par deux membres de l'Association Eden», explique -t-il. Et d'ajouter :«Après l'enregistrement, le patient passe chez un médecin qui essaie de diagnostiquer sa maladie et mesurer sa tension artérielle et son poids puis l'envoie chez le médecin spécialiste qui lui prescrira une ordonnance». C'est dans l'école du village que se déroulent les consultations médicales. Les classes de cette dernière ont été transformées en cabinets médicaux. La dernière étape du parcours d'un patient est la pharmacie. Une équipe de pharmaciens se chargera de la distribution des médicaments gratuitement sur la base des ordonnances prescrites par les médecins. A côté de l'école, le dispensaire de la région est réservé aujourd'hui aux petites opérations de chirurgie et aux circoncisions. «La sensibilisation des bénéficiaires est également à l'ordre du jour. Deux salles ont été consacrées aux séances de sensibilisation à la santé bucco-dentaire et l'hygiène intime pour les femmes», indique Sayf Hasni. Après le briefing, les médecins rejoignent leurs cabinets. L'équipe qui va assurer la gestion des personnes et l'orientation des patients se répartit les tâches. L'équipe d'Eden est accompagnée de jeunes villageois qui vont traduire les paroles des habitants du village qui ne parlent que l' amazigh. Le combat de deux villageoises pour leur santé Près de la caravane médicale, le premier bureau d'enregistrement est pris d'assaut par les villageois. Les membres de l'Association locale essaient de mettre de l'ordre dans cette foule impatiente. Aïcha, une jeune fille de 17 ans regarde de loin la foule des villageois se faire enregistrer. Son corps chétif ne lui permet pas de jouer des coudes comme les autres pour atteindre le bureau d'enregistrement. Assise sous un arbre, elle attend que le flux des personnes baisse. «J'ai parcouru deux kilomètres pour être ici. Je n'ai plus la force de rester debout et attendre sous le soleil», lance la jeune Aïcha. «J'attends impatiemment cette caravane médicale depuis que j'en ai entendu parler ici à Idmran. J'ai beaucoup de problèmes de santé mais, faute de moyens, je n'ai jamais pu aller voir un médecin», raconte-t-elle avec amertume avant de poursuivre. «Je souffre fréquemment de maux de tête et des angines. J'ai constamment mal au cœur et je n'ai plus la force que j'avais avant», raconte Aïcha, malheureuse d'être en mauvaise santé malgré sa jeunesse. Aïcha semble connaître l'origine de ses maux : «Je passe mes journées à faire paître nos chèvres dans les montagnes alors qu'il fait très froid. Je dois aller chercher les paturages même si elles sont loin. A la fin de chaque hiver, j'ai toujours des angines et mal au cœur», indique cette jeune fille qui a été privée de l'école pour garder des chèvres. «C'est notre seule source de revenus. De temps à autres, on vend une chèvre pour avoir de l'argent. On a un petit terrain où on cultive des cultures vivrières», explique cette aînée de ses cinq petits frères. Elle fait aussi le travail de son père qui est tombé malade. En attendant son tour pour l'enregistrement, Aïcha regarde la caravane médicale. Une longue file se dresse devant le 2e guichet d'enregistrement qui se déroule sous une tente. Fatima, une femme de 20 ans est l'une des premières qui sont venues consulter. L'air inquiet, elle attend impatiemment son tour. «Je souffre de maux de tête et de l'augmentation fréquente de ma température. Je suis venue ici de bonne heure pour voir un médecin», lance-t-elle tout en gardant un œil sur sa petite fille Ikram qui veut aller jouer plus loin. «C'est depuis ma fausse couche, survenue il y a presque un an, que je sens fréquemment des maux de tête. J'ai perdu mon enfant car je n'ai pas pu arriver à temps au Centre de santé de Tagleft. Il faisait froid et la route vers Tagleft était impraticable», se souvient Fatima. «Je suis arrivée au Centre dans une état lamentable. Le médecin m'a dit que mon enfant était mort et que j'avais besoin d'une intervention chirurgicale. J'ai beaucoup souffert ce jour-là», poursuit-t- elle la voix entrecoupée de soupirs. Fatima se tait et regarde Ikram jouer. Sa fille est pour elle, le seul espoir qui l'aide à supporter la dureté de la vie dans cette région enclavée. Fatima ne sortira de son silence que quand on l'appellera. C'est son tour pour consulter. En serrant la main de sa fille elle se précipite vers le bureau d'enregistrement. Un autre parcours l'attend. Ce sont les femmes qui souffrent le plus Ce sont les femmes qui ont le plus bénéficié des prestations de la caravane médicale. «On a remarqué que la majorité des bénéficiaires sont des femmes. Elles sont les plus touchées par les problèmes de santé», indique le chef d'équipe de la caravane médicale, Sayf Hasni. Même on de cloche auprès du président de l'Association locale. «Les femmes de la région souffrent du défaut de couverture médicale. La situation sera plus dure encore après le départ de l'infirmier qui assure quelques prestations médicales au dispensaire d'Idmran. Même si le dispensaire a été rouvert, il y a un mois, après l'affectation d'un nouvel infirmer, cela reste insuffisant», indique Bassou Benkhallouq, président de l'Association d'Idmran. Et d'ajouter «Quand un malade de la région est dans un état critique, il doit être transporté à Taglfet qui est à 18 kilomètres d'Idmran. Les habitants des villages voisins doivent donc parcourir plus de 18 km pour arriver au Centre de santé de Tagleft». A cela s'ajoute l'état de la route menant vers Tagleft. «Le voyage vers Tagleft est un vrai calvaire. Les malades venant des villages voisins sont transportés à dos de mulets pour pouvoir emprunter les sentiers montagneux. De plus, entre Idmran et Tagleft, un tronçon de 3 km n'est pas goudronné et il devient impraticable durant l'hiver», ajoute le président de l'Association locale. Ce dernier affirme que plusieurs femmes finissent par perdre leurs enfants en route. «On a un besoin urgent d'une sage-femme expérimentée. Les femmes de la région n'arrivent pas à supporter le long chemin entre Idmran et Tgleft pour accoucher», réclame Bassou Benkhallouk. En réponse à la question sur les problèmes de santé des habitants de la région d'Aït Tamjout, le président du Conseil provincial a affirmé que «au niveau de la commune de Tagleft, des maisons de maternité ont été déjà mises en place. On est toujours au début du travail». La région d'Aït Tamjout devra-t- elle attendre jusqu'à quand pour avoir une maternité ? En attendant les femmes devront subir un chemin de croix jusqu'à Tagleft. Bilan de la caravane médicale Selon le chef d'équipe de la caravane médicale, Sayf Hasni, près de 1.000 consultations médicales ont été assurées. Les enfants bénéficiaires de circoncisions sont au nombre de trente. Contactés par le Soir échos, les médecins ayant assuré les consultations ont relevé plusieurs pathologies. «La majorité des patients sont atteints d'hypertension artérielle, de diabète et de cataracte. On a envoyé certains malades à l'hôpital d'Azilal ou de Béni Mellal surtout pour les spécialités ORL et l'ophtalmologie», indique Ghizlane Zoulati, médecin généraliste. Et d'ajouter : «On a trouvé pas mal de lombalgies qui sont des douleurs du bas de dos. Cela s'explique par la nature montagneuse de la région. On a trouvé aussi que tous les patients ont une mauvaise santé bucco-dentaire».Tous ces problèmes de santé s'expliquent par la pauvreté des habitants de la région. En l'absence d'activité économique, l'élevage reste la seule source de revenus. Des parkinsons et des épilepsiques ont également été diagnostiqués.