Le concert du rappeur Toto qui a réuni des centaines de milliers de fans à Rabat, a également divisé ! D'un côté une jeunesse vibrante, expressive qui semble trouver sa « voix » et de l'autre, une élite médusée, stupéfaite et même scandalisée par cet « art en colère », par la « virulence » de la musique et du verbe et par toute cette culture jeune et rebelle. Simple admiration pour une star ou fait révélateur d'un malaise plus profond ? que nous dit vraiment le « phénomène Toto » sur la jeunesse marocaine d'aujourd'hui ? À travers la figure du rappeur marocain le plus suivi de sa génération, c'est tout un choc de cultures et de générations qui s'expose au grand jour. Sauras-tu m'écouter ? Pour le psychosociologue Mohammed Houbib, le débat doit être dépassionné. « Ce que l'on peut interpréter comme un déclin ou une provocation n'est, en réalité, que l'expression symbolique d'un fossé socioculturel entre deux générations », analyse-t-il. « Dans un paysage culturel et artistique appauvri, où les alternatives convaincantes peinent à capter leur attention, les jeunes se tournent vers ce qui leur ressemble : une parole brute, directe, parfois chaotique, mais authentique », analyse Houbib. D'après le psychosociologue, l'engouement des jeunes pour Toto et sa musique est une manière de crier « Nous sommes là ! Ecoutez notre voix ! ». Un choix « musical » et « culturel » qui ne veut pas forcément dire une rupture avec les valeurs de la société marocaine. « Loin de rejeter ces valeurs, la jeunesse rejette l'exclusion », explique Houbib. Cherchant sa « voix », « ignorée » par les canaux institutionnels, elle investit la scène musicale, les réseaux sociaux et adopte les artistes qui parlent son langage. « Même si ce langage dérange », précise le spécialiste. Une élite coupée du terrain ? « Face à ce succès populaire, une partie de l'élite : Enseignants, juristes, intellectuels, universitaires affiche son incompréhension voire son dédain et sa consternation. Est-ce donc cela, la jeunesse d'aujourd'hui ? s'interrogent certains mais la réponse, selon le psychosociologue, n'est pas à chercher dans le rejet ou la condescendance », ajoute Houbib qui estime que le goût se construit, et ne se dicte pas. « Si la culture « classique » ne séduit plus, c'est peut-être parce qu'elle ne parle plus à ceux qu'elle prétend éduquer », constate Houbib. « Quand les repères disparaissent, que la culture considérée comme « sérieuse » s'effondre et que l'université cesse d'inspirer, surgit forcément quelqu'un pour combler le vide avec un discours nouveau, simple, direct... Des voix comme celle de Toto, controversées certes mais puissantes, qui captent une réalité que d'autres ignorent » analyse le psychosociologue qui n'exonère pas pour autant l'élite de sa responsabilité. D'après ce dernier plutôt que de « mépriser » les choix des jeunes, il faudrait se poser la vraie question : « Où avons-nous failli ? Que leur avons-nous transmis, à part des reproches ? Un symptôme D'après Houbib, le phénomène Toto n'est pas une "pathologie", mais un symptôme, un indicateur. Il révèle un besoin criant de reconnaissance, un vide identitaire et culturel. « Il faut éviter de le diaboliser. Ce n'est pas lui qui génère le malaise, c'est le malaise qui l'a porté au sommet. En tant que psychosociologue, je vois en Toto un révélateur brut, provocateur, mais utile : il dérange, donc il interroge. Et peut-être qu'il est temps d'écouter... même ce qui nous dérange" conclut le psychosociologue. Le phénomène Toto serait-il ainsi un indicateur de malaise psychosocial chez nos jeunes ? " Absolument. Et c'est là qu'intervient la responsabilité collective. Le succès de Toto ne dit pas seulement quelque chose de lui... il dit beaucoup de nous. C'est un baromètre émotionnel", analyse Houbib. Explication ? D'après le spécialiste, le phénomène Toto révèle une rupture entre générations, une crise de confiance dans les institutions éducatives, religieuses et politiques et surtout, une quête désespérée de sens, d'appartenance et de visibilité. Toto, porte-parole de l'art en colère ? D'après le spécialiste, on peut qualifier le rappeur ainsi, mais dans un sens non académique, non revendiqué. « Toto n'est pas un militant culturel au sens classique du terme. Mais par sa présence, son langage cru, son refus des normes traditionnelles, il incarne une forme d'art en colère, au croisement de la marginalité, de l'urbanité, et du désenchantement social ». Il représente une jeunesse qui ne se sent ni écoutée, ni comprise, et qui utilise la musique, et parfois le choc, pour exister dans l'espace public. "Ce n'est pas un discours construit, mais une expression spontanée d'un mal-être social", explique Houbib. D'après ce dernier, même si Toto n'a pas formulé de "manifeste", on peut en deviner les contours à travers son attitude, ses paroles et sa posture médiatique. Voici ce que l'on peut identifier : * « Je suis la voix de ceux qu'on juge sans écouter » : une jeunesse issue de milieux divers, souvent réduite à des clichés (désintéressée, paresseuse, violente...) » * « Je ne veux pas être conforme » : Le rejet des normes classiques de langage, de tenue, de respectabilité. Il y a une volonté de déranger. * « Je veux tout, maintenant » : On sent une tension avec la notion de temporalité. L'attente, le sacrifice, la hiérarchie... sont des notions rejetées. * « Je suis un miroir, pas un modèle » : Ce qu'il renvoie peut déranger, mais le problème n'est pas dans le reflet, mais dans la réalité qu'il révèle. Toto, l'icône ElGrande Toto, de son vrai nom Taha Fahssi, est aujourd'hui une véritable icône. Plus de 4 millions d'abonnés sur Instagram, près de 4 M d'auditeurs mensuels sur Spotify et environ 1,2 milliard de streams cumulés, l'interprète de « blue love» est devenu l'artiste le plus écouté au Maroc sur Spotify pour la 3e année consécutive, avec album « Caméléon » figurant dans le top Maghreb. Sur YouTube, plusieurs de ses clips dépassent les 100 à 120 M de vues, notamment Mghayer (121 M) et ses clips atteignent souvent le million de vues en moins de 48h. Son single «Blue Love» vient de dépasser le milliard d'écoutes en ligne.