L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Vous clôturez aujourd'hui le projet « Mobilisons-nous pour la prévention et la protection des enfants », quel bilan au bout de plus de deux ans d'action sur le terrain ? Yamna Taltit : Durant deux ans et demi et avec le cofinancement de l'Union européenne, l'association Bayti, a mené le projet « Mobilisons-nous pour la prévention et la protection des enfants » sur trois niveaux : micro, méso et macro. Au niveau micro, nous avons assuré une prise en charge individuelle centrée sur les enfants, leurs familles et leur environnement immédiat. Tandis que le niveau méso a concerné la communauté, les institutions scolaires et les centres de formation professionnelle, avec un travail d'accompagnement, de réinscription et d'insertion des jeunes. Enfin, au niveau macro, nous avons mis l'accent sur la mobilisation des jeunes et leur participation à la recherche et au plaidoyer, notamment à travers le réseau des jeunes chercheurs qui a réalisé une étude sur les violences faites aux enfants à Casablanca et Essaouira. Ces jeunes ont présenté leurs résultats lors d'ateliers locaux. Bayti, a également contribué au mouvement Enfance Maroc et à la plateforme nationale de protection de l'enfance, en participant aux réflexions sur la réforme des lois et les politiques publiques liées à la protection des enfants. Quelle est justement la particularité de ce programme par rapport à l'action « ordinaire » de Bayti ? Ce projet a en effet combiné deux approches essentielles : la prévention et la protection. A Bayti, nous avons toujours considéré que pour éradiquer durablement certaines problématiques, il faut agir en amont et bien avant qu'elles ne prennent de l'ampleur. Cela suppose de travailler au cœur des communautés, de détecter les signaux précoces et d'intervenir à temps. La particularité de ce projet réside aussi dans ses activités innovantes : la création d'espaces de dialogue entre jeunes, mais aussi entre jeunes, parents et acteurs institutionnels ; le lancement d'une revue sociale et d'un journal d'enfants en ligne dédiés au partage des bonnes pratiques, à la diffusion d'informations sur la protection de l'enfance et des articles scientifiques analysant des phénomènes comme l'exploitation en ligne. Ces espaces favorisent l'échange et la circulation du savoir entre enfants, associations et institutions. Enfin, fidèle à sa mission, Bayti continue à œuvrer pour la réinsertion familiale des enfants, car nous sommes convaincus que la famille reste le premier espace de protection. Mais nous savons aussi que certaines familles peuvent être sources de risque. D'où notre engagement dans des actions de soutien à la parentalité, des groupes de parole et des ateliers communautaires visant à préparer une réintégration harmonieuse de l'enfant dans son environnement familial ou social. L'une des nouveautés de ce projet est la formation des formateurs pairs. Pourquoi avoir choisi cette approche ? Il faut dire que l'idée des formateurs pairs n'est pas tout à fait nouvelle pour Bayti : nous l'avions déjà expérimentée dans nos programmes de lutte contre le décrochage scolaire, d'encouragement à la scolarisation et de lutte contre le travail domestique des filles. Par expérience, nous avons constaté que le discours d'un jeune envers un autre jeune est souvent considéré comme plus « légitime » et plus convaincant. L'enfant qui témoigne de sa propre expérience parle avec authenticité ; il devient ainsi un relais crédible et inspirant. Dans le cadre de ce projet, nous avons donc formé dix jeunes sur plusieurs thématiques (droits d'enfants...) et à leur tour, ils ont formé 80 enfants à Kénitra, Casablanca et Sidi Taibi. Objectif ? Leur transmettre des savoirs et des outils pédagogiques pour qu'ils puissent sensibiliser à leur tour d'autres enfants. Cette approche a créé une dynamique « enfant-enfant » très réussie et profondément fructueuse. Les échanges étaient simples, concrets et les retours extrêmement positifs. Certaines associations nous ont même sollicitées pour former leurs propres jeunes afin qu'ils puissent reproduire cette démarche dans leurs villes. Qu'en est-il de l'insertion professionnelle des jeunes accompagnés par Bayti ? L'intégration sur le marché du travail reste un défi majeur. Beaucoup de jeunes que nous suivons et accompagnons n'ont pas de soutien familial et doivent faire preuve d'une autonomie précoce, ce qui complique leur insertion. Malgré cela, nous avons pu réinsérer 58 jeunes formés dans notre ferme-école sur les métiers de l'agriculture et de l'eau. Ils ont trouvé un emploi dans des entreprises agricoles à Meknès, Agadir et Rabat. Parfois l'on se penche sur nos réseaux personnels mais nous travaillons étroitement avec des entreprises socialement responsables, sensibles à la cause de la jeunesse et au principe de l'égalité des chances. Nous les sensibilisons à cette cause et les incitons à adopter une démarche citoyenne, à ouvrir leurs portes à des jeunes en situation de vulnérabilité et à leur offrir un vrai tremplin. Ceci dit et au-delà de ce projet, Bayti poursuivra son accompagnement. Nous continuerons à organiser des ateliers d'éducation sexuelle, de prévention des conduites à risque, de sensibilisation communautaire et de prise en charge psychologique. Car la résilience passe aussi par la guérison des traumatismes, la déconstruction des stéréotypes et la libération de la parole. C'est le combat que nous menons depuis près de 30 ans, en coordination étroite avec les acteurs institutionnels et la société civile, pour bâtir une société plus équilibrée, protectrice et socialement apaisée.