La volonté de l'Iran de se doter depuis une dizaine d'années de l'arme nucléaire avait été éclipsée par les révolutions arabes. Le dernier rapport de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique, vient de remettre ce dossier sur le devant de la scène. Qu'apporte-t-il de nouveau dans cet imbroglio où l'Iran nie avoir pris la décision politique de se doter de l'arme atomique? On ignore toujours après sa publication le 9 novembre le temps dont Téhéran a encore besoin avant d'être en mesure d'assembler la bombe (selon des sources de renseignements occidentales, ce pourrait être au printemps 2012). Mais il est désormais clairement établi que la République islamique a poursuivi au moins jusqu'en 2010 des recherches sur la fabrication d'une tête nucléaire. Pour le reste, l'AIEA ne dit pas explicitement dans ses conclusions que la République islamique veut l'arme atomique. Mais c'est tout comme. Cinglant démenti à Téhéran L'Agence montre en effet que certaines des activités identifiées aujourd'hui sont «spécifiques aux armes nucléaires», manière de signifier qu'elles ne s'expliquent que par la volonté de Téhéran d'obtenir la technologie d'une arme nuclaire. Des photos satellitaires témoignent en outre de la présence sur la base militaire de Parchin de ce qui semble être une installation nucléaire. Bref, le rapport de l'agence, qui critique pour la énième fois «l'absence de coopération» de l'Iran, étaye les soupçons occidentaux quant au caractère militaire d'un programme clandestin plus ambitieux et plus avancé qu'on ne le croyait. Les «sérieuses inquiétudes» de l'agence s'expliquent d'autant plus qu'ont été découverts des contacts entre des réseaux de prolifération iraniens et le Pakistan, pays qui possède la bombe... Tout cela décrit de manière longue, détaillée et minutieuse, constitue un cinglant démenti aux assurances de Téhéran qui affiche un programme pacifique à usage strictement civil. Dès lors, les risques d'escalade sont immenses, le rapport donnant des arguments à tous les faucons partisans de «l'option militaire» contre la République islamique. Avant même la publication du rapport, les Israéliens avaient déjà fait savoir qu'ils envisageaient de bombarder des sites iraniens suspects en coordination ou non avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. «Toutes les options sur la table» Bluff ou avertissement avant une attaque imminente? Personne ne peut en douter: les Israéliens ne laisseront pas Téhéran avoir la bombe atomique et ils se préparent au pire. D'autant que Moscou a annoncé, le 25 octobre, la vente à l'Iran de systèmes mobiles de radars très sophistiqués (Avtobaza) capables de brouiller les instruments électroniques de guidage des missiles d'attaque. En quelques jours, l'Etat hébreu a du coup multiplié les «avertissements» en testant un missile balistique capable d'atteindre le territoire iranien et d'être équipé d'une tête nucléaire. Des pilotes d'avion de combat israéliens ont participé en Sardaigne à un exercice d'entraînement pour des «opérations à longue distance». Et Israël aurait même renforcé les capacités de ses trois sous-marins qui seraient équipés de missiles nucléaires. Bref, résume le ministre de la Défense Ehud Barak, «toutes les options sont sur la table». Mais en réalité, les menaces israéliennes semblent pour l'instant surtout destinées à mettre en garde les pays occidentaux - tout comme d'ailleurs les pays émergents qui soutiennent Téhéran - sur le fait qu'Israël ne restera pas longtemps les bras croisés s'ils n'accélèrent pas et ne renforcent pas leurs sanctions contre l'Iran. Israël divisé sur une frappe préventive Les Israéliens n'ignorent pas en effet qu'au-delà de toute considération politique, le succès de frappes contre Téhéran n'est pas garanti. Les Iraniens ont enfoui très profondément leurs installations pour les protéger des bombes anti-bunker et ont renforcé au maximum leur défense aérienne autour des installations les plus sensibles. Le transfert de centrifugeuses utilisées pour l'enrichissement de l'uranium dans des sous-terrains situés près de Qom est en outre pratiquement achevé. Une situation qui fait dire à Ronen Bergman, un des commentateurs militaires israéliens les plus influents, que même «si l'aviation réussit parfaitement son coup, cela ne retardera le programme nucléaire iranien que de trois à quatre ans au mieux». Les Israéliens sont en outre très divisés sur cette affaire qui a provoqué un vif débat au Parlement le 31 octobre. Selon le quotidien Haaretz, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, Ehud Barak et le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman tentent de convaincre du bien fondé de l'option militaire préventive une majorité du cabinet qui s'y opposerait, comme d'ailleurs les services de renseignements militaires et civils. D'où l'appel de la cheffe de l'opposition, Tzipi Livni, au Premier ministre à «écouter les chefs des services de sécurité concernant le dossier iranien».... Inquiet des conséquences régionales d'une frappe sans appui international, Washington a de son côté envoyé début octobre à Tel-Aviv son secrétaire à la Défense, Leon Panetta, pour tenter de dissuader les autorités de l'Etat hébreu d'attaquer l'Iran sans en avertir les Etats-Unis. Un an avant la prochaine élection présidentielle, Barack Obama n'a nulle envie d'entraîner son pays dans un quatrième conflit en dix ans. Guerre de l'ombre Tout cela explique la préférence affichée des Occidentaux pour un renforcement des sanctions économiques, notamment contre le secteur financier iranien, même si celles-ci n'ont pas eu jusqu'ici beaucoup d'effet sur Téhéran - pas plus d'ailleurs que la guerre de l'ombre dans laquelle un virus informatique a saboté les alimentations électroniques des centrifugeuses nucléaires, les assassinats de savants iraniens ou l'explosion meurtrière enregistré le 12 novembre dans une base de missiles, faisant 20 morts dont le général Moghaddam qui jouait un rôle important dans le système de défense iranien. La prise d'un cinquième train de sanctions n'est cependant pas acquise. Elle exige l'accord de la Russie et de la Chine qui, échaudées par le précédent libyen, s'y refusent catégoriquement. Sans parler des intérêts propres de ces deux pays: Moscou va mettre en route la première centrale nucléaire civile iranienne et Pékin est le plus gros importateur de pétrole iranien. Dès lors, la seule solution pourrait résider dans des sanctions unilatérales auxquelles Paris et Washington se préparent d'ailleurs faute d'accord au sein des Vingt-Sept. Cataclysme Une chose est sûre: rien ne serait pire qu'une attaque militaire contre l'Iran. «Ce serait pire que le mal et nous entraînerait dans une spirale non maîtrisable», résume le chef de la diplomatie française Alain Juppé. Une telle aventure a en effet toutes les chances d'obliger le peuple iranien à resserer les rangs autour d'un régime qu'il exècre au moment où Mahmoud Ahmadinejad est plus fragile que jamais. Elle risque en outre de donner une bouffée d'oxygène à Bachar el-Assad alors que la Ligue Arabe multiplie les efforts pour le contraindre à arrêter le massacre. Elle ferait à coup sûr gagner beaucoup d'influence aux islamistes. Et surtout, elle casserait le consensus international contre les ambitions nucléaires iraniennes et embraserait toute la région, Téhéran pouvant compter sur ses alliés du Hezbollah libanais et du Hamas. Et en ces temps de crise et d'instabilité quasi généralisée, personne n'a vraiment besoin d'un tel cataclysme.