Dans une récente étude, Loubna Eddallal et le Pr Abdessalam Jaldi, chercheurs au Policy Center for the New South (PCNS), dévoilent les enjeux colossaux du Plateau Continental Etendu en Afrique Atlantique. Entretien. * Vous avez publié récemment une étude, intitulée « The Extended Continental Shelf in Atlantic Africa » (Le Plateau Continental Etendu en Afrique Atlantique) où vous examinez les enjeux juridiques, géoscientifiques et économiques liés à l'extension du plateau continental des Etats africains riverains de l'océan Atlantique. Techniquement, quels sont les principaux obstacles économiques et financiers qui freinent la valorisation de cet ECS par les Etats africains?
Il est indéniable que le plateau continental étendu de l'Afrique atlantique recèle un immense potentiel économique compte tenu des ressources naturelles, découvertes ou non, dont il dispose, qu'il s'agisse d'hydrocarbures ou de minéraux critiques. Cependant, exploiter ce potentiel économique reste toujours complexe compte tenu des contraintes techniques, financières et juridiques évoquées dans l'article. En premier lieu, les pays souhaitant étendre leur plateau continental doivent soumettre à la CLPC une demande accompagnée de preuves scientifiques prouvant le prolongement naturel de leurs fonds marins jusqu'à la marge continentale étendue. Le pays doit s'assurer que l'extension revendiquée ne chevauche pas celle d'un Etat adjacent, ce qui est généralement le cas pour la plupart des Etats d'Afrique atlantique. Si le chevauchement n'est pas résolu, l'arbitrage juridique se poursuit et le potentiel reste inexploité. Si les Etats concluent un accord bilatéral par le biais d'une méthode de délimitation convenue ou d'une zone de développement conjoint, ils peuvent exploiter les ressources de la zone d'extension et en partager les revenus de manière consensuelle. Indépendamment des contraintes juridiques, la dimension technologique et financière complique également la valorisation de l'espace du plateau continental étendu. En général, l'exploration et l'extraction des ressources dans ces zones sous-marines nécessitent d'importants investissements technologiques et budgétaires que seules des multinationales comme Shell, BP ou Cosmos peuvent se permettre. Cela signifie également que certaines zones du bassin continental de l'Atlantique (ECS) sont bien exploitées et génèrent des richesses pour les Etats qui y sont implantés, comme le Sénégal et la Mauritanie, tandis que d'autres stagnent ou restent à exploiter.
* Comment le rapport aborde-t-il techniquement la question du "pied de la pente continentale" (Foot of the Continental Slope - FOS), qui est un élément géologique crucial pour l'établissement de l'ECS ?
Le rapport accorde une attention particulière au pied de la pente continentale (Foot of the Continental Slope – FOS), car il constitue l'élément géologique de référence pour déterminer la limite extérieure du plateau continental étendu. En effet, le FOS sert de point de départ aux deux méthodes prévues par l'article 76 de la CNUDM pour définir l'extension du plateau. La première est la formule de l'épaisseur des sédiments (ou règle du 1 %), selon laquelle le plateau peut s'étendre jusqu'aux points où l'épaisseur des roches sédimentaires atteint au moins 1 % de la distance entre ces points et le pied de la pente. Cette règle traduit la continuité physique et géologique entre la terre et le fond marin, les sédiments témoignant de l'érosion et de l'accumulation issues du continent. La seconde est la formule de la distance, dite règle de Hedberg, qui permet de tracer une ligne située à 60 milles marins du FOS, correspondant au lieu du changement de pente le plus marqué sur le profil bathymétrique. Ainsi, l'identification précise du FOS, à partir de profils bathymétriques et sismiques détaillés, est essentielle, car elle conditionne directement le calcul de la limite extérieure du plateau continental, et donc la superficie des zones maritimes sur lesquelles un Etat peut revendiquer des droits souverains sur les ressources du sous-sol marin.
* Quelles sont les ressources naturelles les plus prometteuses et les mieux caractérisées identifiées dans le sous-sol du plateau continental étendu en Afrique atlantique ?
Les zones de plateau continental étendu recèlent des réserves potentielles d'hydrocarbures (gaz et pétrole offshore profond), mais également des gisements de minéraux polymétalliques, de nodules riches en cobalt, nickel, cuivre et terres rares, essentiels à la transition énergétique mondiale. Les marges du golfe de Guinée, du bassin sénégalo-mauritanien et de la marge namibienne (Bassin Orange) sont identifiées comme les plus prometteuses, combinant potentiel énergétique et minier. La résurgence des conflits frontaliers maritimes reflète alors la détermination des pays africains à participer activement aux marchés mondiaux de l'énergie et des minéraux et à répondre à la demande globale en gaz naturel, pétrole, minéraux essentiels à l'IA, de batteries et d'électronique, qui ont tous fait du plateau continental étendu une nouvelle frontière d'intérêt stratégique.
* En cas de chevauchement des revendications d'ECS entre Etats voisins, quelles méthodologies techniques de résolution des conflits de délimitation sont examinées ou recommandées par le rapport ?
Le rapport recommande une approche coopérative et technique, privilégiant les négociations bilatérales fondées sur des données géoscientifiques partagées. Il évoque le recours à la méthode de la ligne d'équidistance ajustée pour les zones à chevauchement, tout en soulignant l'importance de mécanismes conjoints de recherche et d'exploitation (joint development zones) lorsque la délimitation reste contestée. Il existe de nombreux exemples de zones de développement conjoint en Afrique atlantique, que je considère comme la meilleure option, notamment celle du Nigeria et de Sao Tomé et celle du Sénégal et de la Mauritanie où les ressources et les revenus sont partagés en deux. Enfin, en cas d'impasse, les Etats peuvent saisir la Commission des limites du plateau continental (CLPC) pour l'examen technique des données ou, à titre juridictionnel, le Tribunal international du droit de la mer (TIDM).