Quand la jeunesse bascule dans la violence, la prison ne peut plus rester la seule réponse. Lundi 29 décembre 2025, devant le Parlement, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a tiré la sonnette d'alarme. Face aux émeutes de la Génération Z et à l'implication massive d'adolescents dans le vandalisme, il a appelé à une justice des mineurs centrée sur la responsabilité individuelle, la protection de l'enfance et des alternatives concrètes à l'incarcération. Entre sécurité publique et accompagnement des jeunes, le Maroc devra construire un modèle où sanction rime avec prévention et réinsertion, plutôt que simple répression. La question de la justice des mineurs s'impose aujourd'hui comme l'un des angles morts du débat public marocain. Lundi 29 décembre 2025, devant la Chambre des Représentants, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a rappelé avec fermeté un principe fondamental du droit pénal : l'emprisonnement ne constitue ni une réponse systématique ni une solution durable face aux actes criminels commis par des mineurs. Un positionnement juridique qui résonne fortement dans un contexte marqué par une recrudescence des violences impliquant des adolescents, notamment lors des émeutes urbaines de l'automne dernier. Interpellé sur la possibilité de tenir les parents pénalement responsables des actes délictueux ou criminels commis par leurs enfants mineurs, le ministre de la Justice a rappelé un fondement essentiel de l'ordre juridique : la responsabilité pénale est strictement personnelle. «La responsabilité criminelle ne peut être transférée à une autre personne que l'auteur de l'acte, même lorsqu'il s'agit d'un mineur», a-t-il insisté, soulignant l'incompatibilité d'une telle approche avec les principes structurants du droit pénal. Si une responsabilité civile peut être engagée dans certains cas - notamment lorsqu'il s'agit de dégradations matérielles ou d'atteintes aux biens, comme lors de violences en milieu sportif ou urbain - la réponse pénale, elle, ne saurait être collective ni indirecte. Le ministre a ainsi écarté toute logique de sanction pénale des parents, estimant qu'elle contreviendrait aux fondements mêmes de la justice pénale.
Une problématique ravivée par les émeutes de la Gen Z
Cette prise de position intervient dans un contexte particulièrement sensible. À partir du 27 septembre 2025, plusieurs villes marocaines (Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir et Tanger) ont été le théâtre de manifestations coordonnées via les réseaux sociaux, notamment sur la plateforme Discord, où un groupe baptisé GenZ212 rassemblait près de 185.000 membres. Initialement portées par des revendications exprimant le malaise d'une jeunesse connectée, ces mobilisations ont rapidement été parasitées par des groupes de mineurs très jeunes. Âgés parfois de 12 à 15 ans, ces adolescents ont pris part à des actes de vandalisme et de violences, particulièrement lors de la nuit du 1er octobre à Agadir et à Salé. Selon les constats du ministère de l'Intérieur, 70% des personnes impliquées dans ces actes étaient des mineurs, certaines séquences ayant même enregistré une participation exclusivement composée d'adolescents. Cette bascule, où l'expression protestataire a cédé la place à une violence désorganisée, a ravivé le débat sur la réponse judiciaire à apporter aux actes commis par des mineurs, entre impératif de sécurité publique et protection de l'enfance. Les chiffres du Ministère public
Les données du dernier rapport du Ministère public confirment l'ampleur du phénomène. En 2024, 24.944 enfants en conflit avec la loi ont été présentés devant les parquets du Royaume, soit une hausse d'environ 8% par rapport à 2023. Sur ce total, 3.642 mineurs ont été déférés devant les parquets des Cours d'Appel pour des faits qualifiés de crimes ou de délits connexes, tandis que 21.302 enfants ont été présentés devant les juridictions de première instance. Les juridictions d'Appel ont enregistré une baisse de 7% du nombre de mineurs présentés par rapport à l'année précédente. Parmi eux, 2.909 étaient en situation de garde provisoire, contre 733 présentés en état de liberté. Dans 75% des cas, les parquets ont opté pour une saisine des juges d'instruction, conformément à l'obligation d'instruction prévue par l'article 83 du Code de procédure pénale en matière de crimes commis par des mineurs. Les décisions de classement sans suite ont concerné 229 dossiers, soit 6% des cas traités.
Juridictions de proximité Les tribunaux de première instance continuent de concentrer l'essentiel du contentieux lié aux mineurs, accueillant 85% des affaires au niveau national. En 2024, 16.187 enfants y ont été présentés en état de garde provisoire, contre 5.115 en liberté. Les parquets ont orienté près de 88% des dossiers vers les juges des mineurs, privilégiant une approche spécialisée et adaptée à l'âge des personnes poursuivies. Dans 1.166 cas, les poursuites ont été abandonnées dans le cadre du pouvoir d'opportunité du Ministère public, notamment lorsque l'intérêt supérieur de l'enfant ou la poursuite de la scolarité justifiaient une réponse non pénale. Par ailleurs, 160 affaires ont été traitées dans le cadre de procédures de conciliation, illustrant le recours progressif à des mécanismes alternatifs à l'incarcération.
Un débat appelé à s'intensifier À la lumière des tensions sociales récentes et de l'évolution préoccupante des indicateurs de criminalité juvénile, la question de la justice des mineurs s'impose désormais comme un enjeu central des politiques publiques. Entre impératif de sécurité, respect des principes juridiques et protection de l'enfance, le Maroc se trouve face à un arbitrage délicat, où toute réponse simpliste risquerait de produire des effets contre-productifs à long terme. Dans ce contexte, le discours du ministre de la Justice marque une ligne claire : la prison ne saurait être la réponse automatique à la déviance juvénile, et la réforme de la justice des mineurs demeure un chantier ouvert, au cœur des équilibres sociaux à venir. Justice des mineurs : Une refonte en préparation
Après plus de quinze ans sans données consolidées, le Maroc engage une réforme structurelle de la justice des mineurs, fondée sur une étude nationale d'envergure menée par l'Observatoire national de la criminalité avec l'appui de l'UNICEF. Prévue sur six mois à partir de décembre 2025, cette enquête pluridisciplinaire vise à refonder le système autour de la justice restaurative, de la prévention et de la réinsertion. Elle comblera un déficit critique d'informations, marqué par l'absence de base de données unifiée et de vision globale sur la délinquance juvénile. L'étude portera sur 1.000 enfants aux profils variés, dans sept régions, en intégrant à la fois les parcours de délinquance et de victimisation. Objectif : identifier les facteurs de risque, évaluer les dispositifs existants, mesurer la récidive et formuler des recommandations opérationnelles. Inscrite dans les réformes institutionnelles en cours, cette démarche entend replacer l'enfant au cœur de l'action publique et nourrir un débat national sur une justice plus humaine et plus efficace.