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«C'est toute la mouvance islamiste dans le monde arabe qui doit changer sa conception de la politique et de son exercice»
Publié dans L'opinion le 17 - 07 - 2013

Entretien avec l'ambassadeur d'Egypte au Maroc, Abou Bakr Hefny Mahmoud: «Les Frères musulmans d'Egypte ont eu l'occasion de gouverner, mais ils ont lamentablement échoué»
L'Egypte, «Oum eddounia» comme se plaisent à l'appeler les Egyptiens, connaît actuellement une série d'événements politiques de grande et grave importance qui constituent soit une correction du chemin pris par ce qu'il a été convenu d'appeler le «printemps arabe», soit la fin de celui-ci. La destitution par l'armée du premier président égyptien démocratiquement élu, Mohamed Morsi, doit-elle donc être considérée comme un recul par rapport aux acquis démocratiques de la révolution égyptienne, ou au contraire une action salvatrice qui a évité à ce pays arabe de sombrer dans le chaos de la guerre civile ? L'échec incontestable de la gestion des Frères musulmans des affaires de l'Etat, qui a poussé des millions d'égyptiens à manifester pour réclamer le départ de Morsi, sonne-t-il le glas idéologique de la mouvance islamiste en tant qu'alternative politique et ce dans l'ensemble du monde arabe ? Pour répondre à toutes ces questions et éclairer l'opinion publique nationale sur les événements politiques majeurs qui ont secoué l'Egypte récemment et monopolisé l'attention des médias et de l'opinion publique arabes, L'Opinion a réalisé cet entretien avec Son Excellence Abou Bakr Hefny Mahmoud, ambassadeur de la République Arabe d'Egypte auprès du Royaume du Maroc, qui donne une vision précise sur les tenants et aboutissants de la seconde révolution égyptienne du 30 juin 2013.
L'expérience de gouvernement des Frères musulmans en Egypte n'est pas sans rappeler la célèbre expression de l'écrivain et homme politique italien Dante, «l'enfer est pavé de bonnes intentions» !
L'Opinion : Le changement de régime politique intervenu récemment en Egypte a été qualifié par certains commentateurs de «coup d'Etat démocratique», pensez-vous que c'est l'expression adéquate pour qualifier cet événement ?
M. Abou Bakr Hefny Mahmoud : Je ne peux pas qualifier cet événement de coup d'Etat, un terme dont la signification est très claire, il suffit de consulter un dictionnaire à ce sujet. C'est un coup porté par des militaires, il est planifié et exécuté dans la clandestinité, puis ces militaires prennent le pouvoir. Ce n'est pas ce qui s'est passé en Egypte. Ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu un mouvement populaire qui s'est déchaîné contre le président déchu et son régime, à partir du 29 juin. Pendant quatre jours, les opposants au président Morsi ont défilé par millions dans les rues de toutes les villes du pays. Le nombre des contestataires qui ont défilé dans les rues a atteint les 33 millions, selon les estimations des chaînes de télévision CNN et BBC, ce qui en fait la plus grande manifestation de toute l'histoire de l'humanité. Je pense que c'est en quelque sorte une réédition de ce qui s'est passé au terme de la révolution du 25 janvier 2011. L'armée égyptienne est une armée populaire, une armée de conscription dans laquelle tous les Egyptiens ont passé leur service militaire, c'est une armée d'hommes et de femmes, de musulmans et de chrétiens, de religieux et de non religieux, c'est vraiment l'armée de tout le peuple égyptien. L'armée s'est comportée avec le président Morsi comme elle l'avait fait, le 11 février 2011, avec le président Moubarak, qu'elle avait poussé à la démission en réponse aux revendications du peuple égyptien.
Le 3 juillet 2013, l'armée égyptienne, toujours à l'écoute du peuple, a dû, encore une fois, intervenir en destituant le président Morsi. Il ne faudrait pas oublier que l'armée avait prévenu et le président Morsi et le camp de ses opposants qu'elle n'allait pas rester les bras croisés face à l'aggravation de la crise politique, qui constitue dès lors une grave menace à la sécurité nationale. L'armée a lancé aux deux côtés un ultimatum de 48 heures pour venir à bout de leurs différents et éviter que le pays ne glisse dans la violence et la guerre civile. Une sérieuse et profonde analyse de la situation politique interne avait été réalisée par l'armée, qui en a conclu que la poursuite de la confrontation entre les deux camps politiques opposés risquait fort de muer en guerre fratricide dont il fallait à tout prix préserver l'Egypte.
La situation économique était devenue intenable, la situation politique était sans issue et enfonçait littéralement le pays dans le chaos, aucune solution ne semblait poindre à l'horizon. De toute évidence, les hauts responsables militaires se sont rendu compte qu'il fallait intervenir, ce qu'ils ont eu raison de faire vu les risques de guerre civile, ce que l'Egypte n'a jamais connu le long de son histoire plurimillénaire.
Je pense même que ces foules égyptiennes qui manifestaient dans les grandes places et rues du Caire étaient prêtes à aller sortir le président Morsi de son fauteuil de leurs propres mains. Je crois donc que l'armée a rendu service au président déchu en le protégeant de la colère des foules. Donc, au terme des 48 heures de l'ultimatum que l'armée avait donné aux deux camps protagonistes pour parvenir à une entente, ce qui n'a pas été fait, les militaires sont passés à l'intervention directe, sur la base d'une feuille de route. Feuille de route à l'élaboration de laquelle elle était parvenue en consultation avec tous les partis politiques, à l'exception du Parti de la Liberté et de la Justice (NDLR : structure politique de la confrérie des Frères musulmans d'Egypte), qui s'était volontairement désisté, même s'il avait été également invité à prendre part à la réunion avec les hauts dirigeants de l'armée.
Outre les représentants de tous les partis politiques, parmi lesquels le parti salafiste Ennour, il y avait également les représentants des plus hautes autorités religieuses égyptiennes, le grand Cheikh d'Al Azhar, le Dr. Ahmed al Taïeb, et le Pape copte orthodoxe Tawadros II. Cette rencontre entre les hautes responsables militaires et les représentants des formations politiques et des autorités religieuses avait pour objectif de parvenir à un compromis entre les différentes parties en conflit pour préserver le peuple égyptien d'une guerre fratricide. Seuls les partisans du président Morsi du Parti Liberté et Justice ont refusé l'invitation. Mais la voie du dialogue demeure toujours ouverte et rien n'empêche les partisans du président déchu d'y participer.
L'Opinion : Ne craignez-vous pas une réédition du scénario algérien en Egypte, les mêmes causes produisant les mêmes effets ?
M. Abou Bakr Hefny Mahmoud : Le cas algérien est différent. Je ne vais pas me mettre à répéter des évidences du genre l'Egypte n'est pas l'Algérie, mais il est clair que la situation est totalement différente. En Algérie, au début des années 90, l'armée avait interrompu le processus électoral quand elle s'est rendue compte que c'étaient les islamistes du FIS qui allaient remporter le scrutin. L'armée avait privé les dirigeants du FIS d'accéder au pouvoir, ce qui avait débouché sur les sanglantes années d'affrontement meurtriers entre les islamistes et l'Etat. Rien de tel n'est arrivé en Egypte. L'armée avait poussé Moubarak à quitter le pouvoir, le 11 février 2011, elle a ensuite gouverné pendant 16 mois, pendant lesquels elle a organisé des élections législatives et ensuite présidentielles, dont elle a respecté les résultats.
Quand les Frères musulmans ont remporté les élections, ils ont eu sous leur contrôle et le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Ils ont gouverné l'Egypte pendant un an, période au cours de laquelle ils ont fait preuve d'une flagrante incompétence à gérer les affaires du pays. Bref, ils ont échoué. Donc, contrairement à leurs confrères algériens, les islamistes égyptiens ont bel et bien eu l'occasion de gouverner le pays et c'est le peuple égyptien qui, après les avoir élus, les a chassés du pouvoir en manifestant par dizaines de millions de personnes dans les rues. Comparez les 33 millions de manifestants des récents événements en Egypte aux 26 millions d'électeurs qui ont voté pendant le scrutin présidentiel de mai et juin 2012 et vous aurez une idée sur le degré élevé du mécontentement de la population égyptienne. Les Frères musulmans d'Egypte ont eu l'opportunité d'exercer le pouvoir mais ont échoué à bien gouverner le pays. Pour les Egyptiens, c'est de ce point de vue qu'il faudrait évaluer les récents événements en Egypte.
L'expression-clé de la nouvelle étape, «pas d'exclusion»
Ce n'est pas la première fois que l'armée intervient pour répondre aux revendications du peuple d'Egypte. Elle l'avait déjà fait du temps de Mohamed Ali Pacha (NDLR : vice-roi d'Egypte de 1804 à 1849, porté au pouvoir sur la demande des notables égyptiens et considéré comme le fondateur de l'Egypte moderne). L'armée égyptienne est la maison du patriotisme égyptien. Depuis la création de l'armée égyptienne par Mohamed Ali, en 1805, celle-ci a toujours été au service du peuple. Pour les Egyptiens, c'est l'armée de Mohamed Ali Pacha, de son fils Ibrahim Pacha, de Jamal Abd El Nasser. C'est notre armée. Ce n'est pas une institution qui est séparée du peuple. J'ai personnellement fait mon service militaire, mon père a été officier dans l'armée, chaque famille égyptienne a au moins un de ses membres qui est ou a été dans l'armée. Après le 11 février 2011, l'armée a bel et bien gouverné l'Egypte pendant quelques mois, mais après le 3 juillet 2013, l'armée n'a pas pris le pouvoir. Elle a nommé à la tête de l'Etat le président du Conseil constitutionnel, suivant la feuille de route qui a été approuvée par toutes les forces politiques du pays, à l'exception bien sûr du Parti de la Liberté et de la Justice. Les Frères musulmans font partie de la scène politique égyptienne, ils doivent donc participer à la vie politique nationale.
L'expression-clé de la nouvelle étape, c'est «pas d'exclusion». Le président déchu, Mohamed Morsi, a exclu toutes les forces politiques de la gestion des affaires de l'Etat. Il a promulgué une Constitution à l'élaboration de laquelle n'ont pris part que les seuls courants islamistes. Il a monté, le 21 novembre 2012 ce qu'on pourrait qualifier de coup d'Etat constitutionnel à travers lequel il s'est arrogé les pleins pouvoirs. Il s'est quasiment autoproclamé dictateur à vie. Même Moubarak n'avait jamais fait une chose pareille.
En fait, il y a eu deux coups constitutionnels auxquels l'opinion publique internationale a peu porté attention. Quand je lis et j'entends des commentateurs ergoter sur le soi-disant coup d'Etat militaire en Egypte, je me demande où étaient ces gens là quand les partisans du président déchu ont fait le siège de la Haute Cour Constitutionnelle, en décembre 2012, sans que Morsi ne réagisse. C'était la première fois de l'Histoire d'un pays démocratique que l'on fait le siège de la Cour constitutionnelle.
Mais bien avant cela, le premier coup d'Etat constitutionnel s'est déroulé le 21 novembre 2012, quand le président déchu a publié sa déclaration constitutionnelle lui permettant de monopoliser les pouvoirs exécutif et législatif. Il s'est donné le droit de limoger le procureur de la république et d'en nommer un autre à sa guise. Toutes ces atteintes à la démocratie, je n'ai pas entendu ceux qui crient maintenant au coup d'Etat militaire s'en plaindre quand ces événements ont eu lieu. Où étaient ces gens quand Morsi portait ces coups à la démocratie égyptienne ?
Il faut prendre toutes ces données en considération avant de commenter les derniers événements en Egypte. Je vous le dis, la destitution de Morsi par l'armée n'était pas un coup d'Etat militaire, mais une mesure salvatrice pour éviter à l'Egypte de sombrer dans le chaos de la guerre civile.
L'Opinion : Concernant la feuille de route, la première fois que le régime de Moubarak a été renversé par la révolution, la démarche suivie a consisté à organiser des élections législatives avant d'élaborer une nouvelle constitution. Encore une fois, la feuille de route approuvée par les forces politiques égyptiennes d'opposition, plus le parti salafiste Ennour, prévoit d'organiser des élections législatives avant l'élaboration d'une nouvelle constitution. N'est-ce pas mettre à chaque fois la charrue avant les bœufs ?
M. Abou Bakr Hefny Mahmoud : Je suis complètement d'accord. Ce point là n'a pas trouvé de consensus entre les forces politiques en Egypte, Je pense que ceci va être rectifié.
L'Opinion : Les difficultés économiques auxquelles est confrontée l'Egypte constituent l'une des principales raisons des révolutions qui ont chassé Moubarak et ensuite Morsi du pouvoir. Quelles sont les perspectives du nouveau régime en Egypte à ce sujet ?
M. Abou Bakr Hefny Mahmoud : Je vous le répète, le mot clé de la nouvelle phase dans laquelle vient d'entrer l'Egypte est la non-exclusion. Morsi a été élu par juste un peu plus de 50% des voix exprimées lors des élections présidentielles. On ne peut pas dire que tous ceux qui ont voté pour lui sont des Frères musulmans ou des sympathisants de la mouvance islamiste. Le peuple égyptien a voté majoritairement pour Morsi afin de tourner la page de l'ancien régime. Les deux candidats qui sont parvenus au second tour du scrutin présidentiel étaient Mohamed Morsi et Ahmed Chafik. Comme Ahmed Chafik est étiqueté «moubarakien», la majorité des égyptiens a donc préféré voter pour Morsi afin de tourner définitivement la page du passé. Malheureusement, le message n'a pas été bien capté du côté des Frères musulmans. Pour certains, la démocratie est interprétée comme une dictature du scrutin. Ce n'est pas parce que la majorité des votants ont élu untel qu'il est en droit d'imposer son idéologie à l'ensemble du peuple. Les gens qui ont voté pour Morsi ont cru l'avoir fait pour un programme économique et social, les Egyptiens n'ont pas besoin des Frères musulmans pour leur apprendre l'Islam. Ca fait quand même 1.400 ans que l'Egypte est un pays musulman. C'est le pays de l'Université d'Al Azhar et de grands théologiens qui ont marqué de leur empreinte l'histoire de la pensée islamique. Les Egyptiens sont un peuple pieux, ils n'ont besoin de personne pour savoir comment prier ou faire le pèlerinage à la Mecque. Ce dont ils ont besoin, c'est d'un parti politique capable de bien gérer le pays. Malheureusement, comme tout le monde a pu le constater, l'expérience de la gestion des affaires de l'Etat par les Frères musulmans est un échec retentissant sur tous les plans.
«Les Frères musulmans ont mal compris
le vote du peuple égyptien en leur faveur»
La gestion des affaires économiques du pays par les Frères musulmans a été littéralement catastrophique. A son arrivée au pouvoir, le président déchu a trouvé dans les caisses de l'Etat 38 milliards de dollars de réserves en devises. Actuellement, L'Egypte a à peine de quoi assurer ses importations en blé pendant deux mois. Je pense que cette mauvaise gestion est due à l'exclusion de nombres de compétences, les Frères musulmans ayant voulu gouverner tous seuls.
Les Frères musulmans ont mal compris le vote du peuple égyptien en leur faveur. Ils ont cru que c'était un vote pour la mise en œuvre de leur projet islamiste, alors que les égyptiens ont voté avant tout pour un projet social et économique dont ils ont cru les Frères musulmans porteurs.
L'Opinion : Le succès de l'AKP, parti de la mouvance islamiste idéologiquement proche des Frères musulmans d'Egypte, dans son expérience de gouvernement en Turquie a été brandi par les partisans du président déchu comme preuve de la pertinence du programme politique islamiste. Pourquoi un tel succès n'a pu être réédité en Egypte ?
M. Abou Bakr Hefny Mahmoud : Comparaison n'est pas raison, comme dit l'adage. L'Egypte et la Turquie ont eu des évolutions sociopolitique et culturelle complètement différentes. L'Egypte est avant tout nationaliste, le référent identitaire étant la nationalité égyptienne. La Turquie a longtemps été un pays dont le référent identitaire est d'abord son caractère musulman, les Turcs n'étant pas originaires de cette aire géographique qu'est la Turquie actuelle. Ils sont venus des plaines allant de l'Asie centrale à la Mongolie. Le nationalisme turc est venu plus tard, avec l'ataturkisme. Mustapha Kemal Attaturc avait, par ailleurs, imposé une laïcité pure et dure en Turquie, certains vont même jusqu'à considérer qu'à un certain moment, il avait nettement mené une guerre à la religion. L'Egypte n'a jamais connu de contexte similaire, le pays ayant toujours été très religieux. Depuis la première constitution démocratique égyptienne de 1923, la religion musulmane a toujours figuré au premier article de la loi fondamentale comme étant la religion de la nation. Et ce même dans notre constitution la plus séculaire, justement celle de 1923, qui avait été élaborée par une assemblée composée d'une trentaine de membres et comportant quatre chrétiens, deux coptes, un protestant et un catholique, et deux juifs égyptiens. C'est d'ailleurs là une leçon que nous ont donné nos prédécesseurs. Quand on élabore une constitution, ce n'est pas en se basant sur le résultat d'un processus électoral, c'est une loi fondamentale faite pour encadrer juridiquement les relations entre l'Etat et la société pour les quelques dizaines d'années à venir.
Le deuxième élément de différence à souligner dans la comparaison entre les gouvernements dirigés par des partis islamistes en Egypte et en Turquie est le fait qu'Erdogan a été le maire d'Istanbul où il a fait, pendant dix ans, un travail remarquable, il a transformé la ville de manière étonnante. C'est-à-dire que le premier ministre turc avait déjà fait ses preuves à l'échelle locale en matière de bonne gestion avant d'accéder à la tête du gouvernement.
L'Opinion : A l'est de l'Egypte, le Sinaï, où des groupuscules jihadistes sont bien implantés et actifs, la bande de Gaza frontalière, où la situation humanitaire est catastrophique, outre Israël. A l'ouest, la Libye qui a sombré dans le chaos après la chute de Khaddafi. Au sud, le Soudan divisé en deux et l'Ethiopie qui planifie la construction d'un barrage sur le Nil, ce qui ne va pas manquer d'impacter à la baisse de la part de l'Egypte des eaux de ce grand fleuve fondateur de la civilisation égyptienne. Tout le voisinage de l'Egypte semble en état d'ébullition ou hostile. Comment est-ce que l'Egypte compte gérer ce contexte de voisinage aussi instable que conflictuel ?
M. Abou Bakr Hefny Mahmoud : Il est certain que nous n'avons pas été gâtés par notre voisinage et tous les problèmes que nous avons sur nos frontières. La Libye traverse une situation sécuritaire très difficile, mais les autorités égyptiennes sont en contact avec leurs homologues libyennes pour leur apporter notre aide, dans la mesure du possible bien entendu, c'est-à-dire dans la limite de nos moyens et au vu de nos propres difficultés internes. Le climat d'insécurité qui plane sur la Libye constitue, bien sûr, une menace qui pèse également sur l'Egypte. Il y a eu un trafic d'armes phénoménal depuis la chute du régime de Kaddhafi, des quantités énormes d'armes de tous genres de l'arsenal libyen ont été déversées sur le marché noir. Cela va du simple pistolet au missile anti-aérien le plus sophistiqué. Une grande quantité de ces armes a été introduite illégalement en Egypte, mais grâce aux efforts du ministère égyptien de l'intérieur, une bonne partie de cet armement a été saisi, bien que pas mal d'efforts restent encore à consentir pour venir à bout de cette menace.
Une grande partie de ces armes infiltrées en Egypte ont pris la direction du Sinaï, où au cours de ces dernières années, nous avons observé avec beaucoup d'inquiétudes l'arrivée de certaines mouvances intégristes qui se sont implantées dans cette région. Au moment même où je vous parle, il y a une opération militaire de grande envergure en cours dans le Sinaï pour nettoyer la région de ces bandes terroristes.
Il y a un travail très important de sécurisation qui est entrain d'être effectué au Sinaï, motivé par la menace pesante des bandes jihadistes renforcées par l'afflux d'armes libyennes. Il est dans l'intérêt de tous les pays frontaliers du Sinaï que l'armée égyptienne parvienne à débarrasser la région de cette grave menace sécuritaire, le Hamas palestinien entre autres, même s'il ne le sait peut être pas. Ce n'est pas avec ces bandes terroristes actives dans la région que sera promue la création de l'Etat palestinien, objectif absolu que l'Egypte continue à défendre. Nous devons rester concentrés, nous ne devons pas dévier de ce but suprême qu'est la création de l'Etat palestinien. C'est notre première cause, l'affaire prioritaire du monde arabe, il ne faut pas s'éloigner de ce but.
Il y a moyen d'arriver à un compromis avec
les Ethiopiens concernant l'affaire du barrage sur le Nil
En ce qui concerne la construction du barrage éthiopien sur le Nil, il faut d'abord rappeler une évidence, le Nil, c'est la source de vie de l'Egypte. Maintenant, il faut préciser que 86% des eaux du Nil proviennent du lac Tana, sur les hauteurs de l'Abyssinie, en Ethiopie. Nos relations avec l'Ethiopie sont excellentes, ce sont des relations historiques d'amitié. Les Ethiopiens ont le droit de développer leurs ressources hydriques et de production d'énergie électrique, mais se doivent de respecter les droits naturels et historiques du peuple égyptien sur les eaux du Nil et les accords conclus à ce sujet.
Il y a deux accords principaux sur la répartition des eaux du Nil. Il y a l'«accord sur les eaux du Nil» de 1929, conclu entre les premiers ministres égyptien et britannique de l'époque, Mohamed Pacha Mahmoud et Lord Lloyd. Cet accord stipulait clairement qu'aucun pays en amont du bassin du Nil n'était en droit d'ériger des ouvrages hydrauliques sur le fleuve susceptibles de porter nuisance aux pays situés en aval, à savoir l'Egypte et le Soudan, qui constituaient à l'époque un seul et unique pays. Le deuxième accord est celui de 1959, par lequel les pays en aval du bassin du Nil, l'Egypte et le Soudan, ont divisé entre eux les eaux du fleuve qui arrivent au barrage d'Assouan.
Outre les deux accords régionaux précités, il faudrait également prendre en considération les lois internationales au sujet de la répartition des eaux des bassins hydriques, les droits historiques des peuples, etc. En termes plus simples, n'importe quel ouvrage hydraulique que l'Ethiopie voudrait construire sur le Nil, susceptible de réduire la part en eau des pays de l'aval, devrait avoir l'accord de ces pays. Nous essayons actuellement de dialoguer avec les Ethiopiens à ce sujet, parce que nous sommes très conscients de l'importance de l'Ethiopie pour l'Egypte.
L'Opinion : L'Ethiopie a annoncé son intention de procéder à la construction du fameux barrage sur le Nil au moment même où se trouvait à Addis-Abeba une délégation égyptienne allée justement pour discuter avec les autorités éthiopiennes sur ce sujet. Ce n'est pas vraiment de bon augure pour une éventuelle solution négociée.
M. Abou Bakr Hefny Mahmoud : C'est une affaire qui a été mal gérée, très mal gérée par le gouvernement déchu. Nous sommes cependant certains qu'il y a moyen de s'entendre avec l'Ethiopie. Il y a moyen d'arriver à un compromis avec les Ethiopiens, nous en avons l'intime conviction.
L'Opinion : Suite à la destitution de Mohamed Morsi, des sit-in de protestation ont été organisés à Rabat et Tétouan par la jeunesse du Parti de la Justice et du Développement (PJD), à l'instar des manifestations de soutien au président égyptien déchu organisées par d'autres mouvements islamistes arabes idéologiquement proches de la confrérie des Frères musulmans. Pensez-vous que l'échec de l'expérience au pouvoir des Frères musulmans égyptiens, une référence historique au sein de la mouvance islamiste internationale, annonce le déclin de cette tendance politico-religieuse dans le monde arabe ?
M. Abou Bakr Hefny Mahmoud : En fait, c'est toute la mouvance islamiste dans le monde arabe qui doit changer sa conception de la politique et de son exercice, pas seulement les Frères musulmans d'Egypte. Il faudrait d'abord souligner que les mouvements islamistes arabes ou non arabes sont tous pareils, c'est un point très important. Autre préalable, l'Islam n'est pas en soi un programme politique. Un parti qui se réclame du référentiel islamique a besoin d'avoir un programme politique, le fait d'être un parti islamiste ne l'en dispense pas.
La leçon à retenir de la récente expérience égyptienne est que la prétention au pouvoir et à la gestion des affaires publiques exige de se doter de programmes économique et social et de les présenter au peuple. C'est inconcevable de se présenter les mains vides devant le peuple, avec pour seul instrument de gestion des affaires publiques le fait d'être un parti islamiste. Tous les partis politiques dans le monde arabe sont constitués majoritairement, sinon exclusivement, de musulmans, ce qui fait vraiment la différence, c'est le programme de gouvernement.
Au Maroc, vous avez un gouvernement dirigé par un parti islamiste mais composé de divers tendances politiques, des conservateurs du Parti de l'Istiqlal, du moins jusqu'à une date récente, aux progressistes du Parti du Progrès et du Socialisme. C'est un gouvernement multi couleurs politiques dans lequel tous les Marocains peuvent se reconnaître. Le problème qui s'est posé en Egypte, c'est qu'en remportant les élections législatives, les Frères musulmans ont cru qu'ils avaient carte blanche pour faire tout ce qu'ils voulaient.
Le régime de Moubarak s'est écroulé parce qu'il souffrait de deux maux qu'il n'a pas su soigner que sont la corruption et l'absence de justice sociale. Les Frères musulmans ne se sont pas rendu compte que le peuple égyptien était avide d'améliorer son niveau de vie, qu'il était demandeur d'un meilleur système éducatif, de meilleurs moyens de transport, de meilleures routes, des logements sociaux à la portée de tous, d'un meilleur pouvoir d'achat... Bref des attentes socioéconomiques et non pas d'une islamisation de la société, dont les musulmans d'Egypte n'ont jamais eu besoin. Je sais que ces défis socioéconomiques sont énormes à relever et que les difficultés ne peuvent être résolues en un court laps de temps, mais si le peuple égyptien, qui est très patriotique, a confiance en son gouvernement, il est prêt à tous les sacrifices. Il a juste besoin d'être convaincu de la pertinence des choix politiques opérés. Le peuple égyptien a juste besoin d'y croire.
En Egypte, nous avons une spécificité par rapport à pas mal d'autres pays arabes. Les chrétiens égyptiens constituant quelques 10 à 15% de la population. Il ne s'agit donc pas d'une petite minorité, mais d'une composante essentielle de la société égyptienne. On ne peut donc pas les ignorer ou les traiter comme des marginaux. Sans nos frères chrétiens, nous ne sommes rien, sans nous, nos frères chrétiens ne sont rien, nous avons besoin les uns des autres.
L'Egypte a été, depuis l'aube de la civilisation humaine, un pays multiculturel et ouvert aux divers courants de pensée religieux. L'Egypte est un pays dont la population musulmane est à moitié «chafiî» et l'autre moitié «hanafie», pourtant le grand cheikh d'Al Azhar, la plus haute instance sunnite du monde musulman, est un «maliki», ce qui est une preuve de la tolérance du peuple égyptien. Malheureusement, peu de gens le savent en dehors de l'Egypte. Al Azhar reconnaît d'ailleurs le chiîsme comme partie intégrante de l'Islam. Pour nous, Egyptiens, l'Islam ne s'arrête pas aux «madahibs» et encore moins aux courants politiques qui s'en réclament en exclusivité, je dirais presque en exclusion des autres courants politiques, à tort d'ailleurs. L'Islam, c'est beaucoup plus éminent, plus humaniste et plus transcendant que tout ça.


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