Les pêcheurs d'Al-Hoceima n'ont peut-être jamais été préoccupés pour l'avenir de leur profession comme ils le sont aujourd'hui. Depuis le dernier trimestre de 2014, la tension est au plus haut entre eux et le ministère de l'Equipement par le biais de l'Agence nationale des ports (ANP). A l'origine de cette tension un projet d'aménagement d'un port de plaisance à l'intérieur du petit port de pêche qui date de 1930 soit à la date de création de la ville. Déjà la superficie du port n'a presque pas changé depuis plus de 80 ans alors que la flottille de pêche n'a cessé d'évoluer depuis. Actuellement des centaines d'embarcations entre pêche artisanale (barques) et pêche côtière (chalutiers et sardiniers) dépendent de ce port à la superficie immuable. Les professionnels qui ont une expérience empirique du site répètent qu'au lieu de connaître une extension, la superficie du port de pêche va être réduite à la portion congrue pour laisser de la place aux yachts et autres voiliers et bateaux de plaisance. Ce n'est pas de chance pour les pêcheurs qui, avec le départ en 1975 de la Marine Royale qui occupait une partie du port, espéraient un développement de leur activité dans des conditions plus favorable. Certes, le projet d'un port de plaisance vise à faire du port d'Al-Hoceima une escale touristique capable de concurrencer des ports de plaisance de réputation notoire sur l'autre rive de la Méditerranée. Avec la fin de la crise économique en Europe on s'attend à une embellie du tourisme de plaisance. Mais comment avec l'espace réduit, une activité normale peut-elle avoir lieu avec l'installation d'un port de plaisance à l'intérieur d'un port de pêche où déjà, les professionnels se sentent à l'étroit ? « Déjà on est à l'étroit avec le manque d'espace pour étaler les filets, pour accoster, pour le plein du carburant etc... et voilà qu'aujourd'hui on devrait subir le cas échéant l'affluence des plaisanciers, qui réduiraient l'espace du port à une peau de chagrin » s'interroge Mohamed Benkaddour armateur, artisan au chantier naval et acteur associatif. Les pêcheurs à travers leurs associations et syndicats ont enclenché un mouvement de protestation suite au refus de dialogue de la part de l'administration de tutelle. Plusieurs communiqués ont été publiés pour exprimer le bien-fondé de leurs revendications des et demander l'ouverture d'un dialogue avec les responsables. El Hossain El Haddouti, président de l'Association des armateurs et marins de pêche artisanale (AAMPA) exerce le métier de pêcheur depuis trente ans. Il possède une vision claire sur l'évolution du secteur de pêche au niveau local. Il parle de la pêche à Al-Hoceima qui constitue une activité économique centrale de la ville, l'activité touristique, elle, se limitant à un à deux mois durant la période estivale. « Le petit port d'Al-Hoceima fait partie de l'histoire de la ville et le projet de l'ANP est pour nous une véritable erreur qui s'en prend au patrimonial et met en jeu l'avenir de milliers de familles qui vivent de l'activité de pêche » explique El Houssain El Haddouti. Le nombre d'emplois directs générés par l'activité du port de pêche est 2500 marins pêcheurs qui se répartissent sur des centaines d'embarcations entre pêche artisanale, les barques et pêche côtière, les chalutiers et senneurs (sardiniers). Sans parler des emplois indirects en rapport avec le segment, telle, l'armement, la commercialisation, le transport, la restauration etc. Sans oublier que le nombre d'embarcations augmente dans le port chaque fois que la mer devient généreuse et amène son lot d'embarcations de pêche qui viennent d'autres régions pour débarquer le produit de leurs capture au port d'Al-Hoceima. L'activité de pêche est donc l'une des plus importantes activités économiques d'Al-Hoceima et elle s'adjuge la cinquième place au niveau national. « Quand l'activité de pêche augmente dans la région le nombre de pêcheurs augmente aussi avec des embarcations venues d'autres régions. Du coup on se sent plutôt à l'étroit. Par conséquent on s'attendait à tout sauf à une réduction de la superficie du port de pêche au bénéfice d'un port de plaisance ! » Mais comment les choses ont pris une telle tournure et est-ce que les professionnels ont été consultés pour le projet de réaménagement du port ? « Il n'y a eu aucune espèce de concertation préalable avec les professionnels du port de pêche, pourtant un projet qui concerne le port est fondamental pour nous », précise Mohamed Benkaddour. On cite souvent le fait que « l'approche participative » prônée par la nouvelle Constitution n'a pas été tenue en compte puisque les professionnels de la pêche d'Al-Hoceima n'ont jamais été consultés du fait qu'ils sont les premiers concernés par le nouveau projet. « C'est grâce à Internet que nous allons apprendre avec grande surprise, en octobre 2014, le lancement de ce projet avec l'appel d'offre, alors que l'étude avait déjà été effectuée confiée à un bureau d'études, nous dit-on» explique El Haddouti. Pourquoi il n'y a pas eu concertation avec les concernés au premier chef par les travaux qui vont modifier de manière radicale le bassin du port ? « Aussi, l'ANP a été intransigeante avec nous en ne nous laissant en matière de choix que celui de nous soumettre au fait accompli » déplore Benkaddour. Ce refus de dialogue a engendré un climat de tension parmi les professionnels qui ont enclenché un mouvement de protestation pour exprimer leur refus d'un projet qui, selon eux, s'oppose à un vrai développement et pourrait à terme entraîner une paralysie de l'activité du port de pêche et la mise au chômage de centaines de pères de famille. « Le plan Halieutis prévoit la modernisation de la flotte, donc des investissements. Mais avec la réduction de la superficie du port, avec le danger représenté par le passage d'accès étroit et le va-et-vient par le même passage, les bateaux de pêche vont fuir le port qui n'est plus accueillant, sans compter qu'en cas de mauvais temps le port ne serait plus spacieux pour abriter tous les bateaux » poursuit El Haddouti. Les environs d'Al-Hoceima regorgent de sites qui peuvent accueillir un port de plaisance dans de meilleures conditions sans empiéter sur une infrastructure dédiée aux professionnels de pêche. A ce propos beaucoup de professionnels de pêche parlent du site de Cala Iris idéal pour un port de plaisance. « Nous ne sommes pas contre l'aménagement d'un port de plaisance bien au contraire, mais ce qui est en train d'être effectué est complètement nuisible pour l'activité de pêche, le fait d'installer un port de plaisance au dépens de la superficie du port de pêche ça ne doit pas constituer un projet d'avenir, la promiscuité engendrée fera qu'on n'aura ni port de pêche ni port de plaisance dignes de ce nom » souligne Fikri Ouled Chouaib de l'Association des armateurs de pêche côtière d'Al-Hoceima. Aux dernières nouvelles, suite à une réunion avec le Wali de la région, les professionnels de pêche sont mis au pied du mur. Le projet du port de plaisance est maintenu malgré leurs vives protestations. « Beaucoup de pères de familles marins pêcheurs risquent de se retrouver au chômage sous peu » conclut Mohamed Benkaddour.