Constat : un marché résidentiel locatif sous-exploité et déséquilibré Selon les données issues du recensement général de 2024, seuls 19,7 % des logements résidentiels au Maroc sont occupés en location, un chiffre révélateur d'un marché locatif largement sous-développé. Dans le même temps, les statistiques publiées par le ministère de l'habitat font état de 1,087 million de logements vacants, soit près de 12 % du parc total. Ce chiffre est d'autant plus frappant qu'il coexiste avec un déficit structurel en logements estimé à 386 000 unités en 2020. En d'autres termes, des centaines de milliers de logements restent inoccupés alors que la demande en logement est loin d'être satisfaite. Ce paradoxe illustre l'inadéquation entre l'offre disponible et les conditions de confiance nécessaires à sa mise sur le marché. Dans un environnement où le risque d'impayés et le manque de mécanismes de protection dissuadent les propriétaires de louer leurs biens, une réforme ambitieuse s'impose pour débloquer ce gisement latent. Lire aussi : OPCI au Maroc : une dynamique freinée par la fiscalité Un marché résidentiel locatif peu attractif pour les investisseurs institutionnels Le résidentiel locatif au Maroc souffre d'un désintérêt chronique des investisseurs privés et professionnels, en particulier des Organismes de Placement Collectif Immobilier (OPCI). En effet, les actifs à usage résidentiel locatif ne représentent que 0,2 % du total des actifs sous gestion des OPCI. Les causes sont multiples : i) un rendement brut modeste, autour de 6 %. Il devient à peine 2 % une fois déduits les frais de gestion, ii) les périodes de vacance et surtout iii) les risques d'impayés. En outre, le cadre juridique est trop protecteur du locataire, protection qui peut se comprendre au regard des impératifs sociaux. Ceci rend les procédures d'expulsion longues et aléatoires, même en cas de défaut manifeste. Tout ceci rend l'investissement résidentiel locatif peu présent dans les portefeuilles des investisseurs qu'ils soient privés ou institutionnels tels que les OPCI, ce qu'on constate dans les statistiques. La solution : une assurance loyers impayés systématisée Pourtant, une réponse simple et structurante existe : l'assurance loyers impayés (ALI). À l'image de l'assurance automobile, qui couvre un risque que l'on peut faire subir à autrui, la mise en place de ce type d'assurance permettrait au locataire de couvrir un risque qu'il fait courir au propriétaire : le non-paiement du loyer. Ce mécanisme créerait un socle de confiance, sécurisant les revenus du bailleur et ouvrant la voie à un réinvestissement institutionnel dans le résidentiel locatif. Mise en œuvre progressive et ciblée du dispositif Le déploiement de cette assurance pourrait débuter par une obligation limitée aux loyers mensuels supérieurs à un montant à fixer (3 000 MAD par exemple, ce qui représente le loyer moyen toute catégorie de résidentiels locatifs confondus en 2019), là où le risque locatif est élevé et le besoin de sécurisation crucial. La prime pourrait être payée par le locataire. Dans le même temps, le propriétaire devra bénéficier d'une réduction fiscale temporaire s'il exige systématiquement cette couverture. Ce double mécanisme incitatif permettrait d'instaurer une norme de marché sans modification des textes législatifs. En même temps, la protection du locataire sera maintenue. Un fonds de garantie pour accompagner les débuts Comme toute innovation financière, l'ALI aura besoin d'un temps d'apprentissage et de calibration. Pour rassurer les assureurs, il est indispensable de créer un fonds de garantie temporairement abondé par l'Etat, mais soutenu à long terme par une taxe prélevée sur les loyers. Ce fonds couvrirait une partie des sinistres initiaux jusqu'à ce que les assureurs disposent de suffisamment de données pour tarifer de manière fiable le risque locatif. Un organisme de garantie ayant développé une expérience dans la gestion de dispositifs de garantie, pourrait en être l'opérateur naturel. Responsabiliser les locataires et assainir le marché Un autre levier de succès est la mise en place, sous l'égide de la fédération des assurances, d'une base de données des mauvais payeurs. Les locataires défaillants ou ceux ne renouvelant pas leur assurance pourraient se voir appliquer une prime majorée, voire se retrouver temporairement exclus du marché locatif formel tant qu'ils n'ont pas régularisé leur situation. Cette mesure instaurerait un mécanisme de responsabilisation fondé sur la prévention plutôt que sur la répression. Des retombées économiques et sociales majeures Les bénéfices attendus d'une telle réforme sont nombreux : * Libération de l'offre locative : les logements aujourd'hui vacants pourraient revenir sur le marché. * Réduction de l'informalité : la traçabilité des contrats et des paiements serait renforcée. * Création d'un marché assurantiel nouveau, stimulant l'innovation dans le secteur des assurances. * Allègement des tribunaux, qui verraient chuter les litiges liés aux loyers impayés. * Stabilité des revenus pour les OPCI, rendant enfin le résidentiel locatif compatible avec leurs exigences de performance et de prévisibilité. * Bancarisation et formalisation accrue du secteur immobilier. * Meilleure connaissance du risque locatif, grâce à l'accumulation de données sur les sinistres. * Réduction des loyers, puisque les risque d'impayé sera réduit et par conséquent, une augmentation du pouvoir d'achat des citoyens les moins aisés et les bons payeurs Un catalyseur pour réorienter les investissements des OPCI Aujourd'hui, les OPCI investissent principalement dans des actifs à usage professionnel. Le résidentiel locatif est quasi absent de leurs portefeuilles en raison de la faible rentabilité nette due notamment à un risque locatif mal encadré. La mise en place d'une assurance loyers impayés, combinée à une fiscalité incitative, changerait la donne. Elle permettrait aux OPCI de structurer des fonds résidentiels locatifs à rendement modéré mais sécurisé, contribuant ainsi à une diversification saine de leurs portefeuilles. À travers cette réforme, les OPCI pourraient jouer un rôle socialement utile tout en respectant leurs objectifs de performance et de régularité des flux. C'est donc une nouvelle classe d'actifs institutionnels qui pourrait émerger, à la fois rentable, résiliente et alignée avec les besoins de logement du pays. Appel à une réforme globale et immédiate Toutefois, cette réforme ne peut être envisagée sans une réflexion globale, associant le ministère de l'habitat, la fédération des assurances, un organisme de garantie à désigner, et bien entendu l'association des sociétés de gestion d'OPCI. Il est également temps de reprendre le chantier de la fiscalité des dividendes versés par les OPCI, qui reste aujourd'hui un frein majeur à leur développement. L'alignement de cette fiscalité sur les standards incitatifs permettrait aux OPCI de jouer pleinement leur rôle d'acteurs de relance du résidentiel et plus particulièrement du résidentiel locatif. Conclusion : un appel au réalisme et à l'action La mise en place d'une assurance loyers impayés est à la fois techniquement réalisable, économiquement fondée, et politiquement pertinente. Elle ne nécessite pas de bouleversement législatif, mais d'une volonté politique et de la coordination. Les parties concernées devraient engager une réflexion sur ce projet de réforme essentielle pour restaurer la confiance dans le locatif résidentiel et réconcilier les investisseurs avec ce segment stratégique. Il ne s'agit pas simplement de couvrir un risque. Il s'agit de réparer un marché gelé, de redonner confiance aux investisseurs, et de garantir aux citoyens un accès à un logement digne et sécurisé. L'assurance loyers impayés est plus qu'un mécanisme financier, cela pourra être un levier structurel pour restaurer le lien entre investissement responsable et droit au logement. (*)À propos de Noreddine TAHIRI Noreddine TAHIRI est Directeur Général de AjarInvest, première société de gestion d'OPCI agréée au Maroc. Il a joué un rôle central dans la structuration et le développement de l'écosystème des OPCI, en participant activement à l'élaboration de la loi n°70-14, des circulaires réglementaires, du plan comptable et du cadre fiscal des OPCI. Fort d'une expertise reconnue en immobilier locatif et en structuration financière et de de fonds immobiliers, il a également été Directeur Général Délégué de Foncière Chellah, filiale de la CDG, avant de fonder AjarInvest en 2016. Sous sa direction, la société a lancé les premiers OPCI du Royaume, marquant une étape historique dans la modernisation du marché de l'investissement immobilier au Maroc.