La visite officielle du Premier ministre kényan Musalia Mudavadi au Maroc est un signal fort dans le redéploiement géopolitique de l'Afrique, où le pragmatisme économique prend le pas sur les solidarités idéologiques d'antan. La visite de Musalia Mudavadi à Rabat, loin d'être un simple événement diplomatique, illustre un réalignement stratégique qui pourrait bien inspirer d'autres pays africains. Le rapprochement entre le Kenya et le Maroc marque un tournant géopolitique majeur en Afrique de l'Est avec la visite officielle du Premier ministre kényan Musalia Mudavadi au Maroc, prévue du 26 au 27 mai 2025. Après des décennies de tensions diplomatiques liées à la reconnaissance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) par Nairobi, cette rencontre symbolise la normalisation spectaculaire des relations entre les deux nations. Depuis que le président William Ruto a annoncé, en septembre 2022, la fin de la reconnaissance de la RASD par le Kenya, un rapprochement stratégique s'est peu à peu dessiné, culminant avec l'ouverture de la première ambassade kényane à Rabat. Ce geste symbolique incarne non seulement une victoire diplomatique pour le Maroc, mais aussi une redéfinition des équilibres régionaux en Afrique, avec des implications commerciales considérables, notamment en raison du déficit commercial structurel du Kenya, qui s'élève à 12 milliards de shillings contre seulement 500 millions d'exportations vers le Maroc. Les relations entre le Kenya et le Maroc ont été longtemps figées par la question du Sahara. En effet, le Kenya soutenait activement la RASD, abritant même le président Brahim Ghali et maintenant une mission sahraouie à Nairobi, une position idéologique irréconciliable avec Rabat. L'ambassadeur kényan auprès de la RASD, Peter Katana Angore, n'a cessé de souligner la solidarité du Kenya avec le peuple sahraoui, accentuant le fossé diplomatique entre les deux pays. C'est au cœur de cette tension que la première déclaration de William Ruto, en 2022, marquera un changement radical dans la politique étrangère du Kenya. Le Tournant Ruto ou le pragmatisme économique Le 8 septembre 2022, un tweet de William Ruto annonce que le Kenya ne reconnaîtra plus la RASD, bien que le message ait été supprimé rapidement. Ce signal a suffi pour déclencher une réévaluation de la politique kényane vis-à-vis du Maroc. Dès mars 2023, la première visite d'un secrétaire général kényan aux Affaires étrangères à Rabat a ouvert la voie à une série de démarches diplomatiques visant à normaliser les relations. En décembre 2023, l'ambassade kényane à Rabat a ouvert ses portes, et en mars 2024, Jessica Muthoni Gakinya a été nommée première ambassadrice du Kenya au Maroc. En 2025, la suppression de toute référence au Sahara dans la politique étrangère kényane, inscrite dans le Sessional Paper No. 1, officialise ce redéploiement stratégique. Lire aussi : C24/ Omar Hilale: Le Sahara est Marocain par l'histoire, le droit et la libre expression de ses populations La visite de Musalia Mudavadi représente la première rencontre officielle entre un ministre kényan des Affaires étrangères et le gouvernement marocain. Cette étape est d'une grande importance symbolique, car elle marque l'aboutissement du processus de normalisation engagé par le Kenya. Un point d'orgue est attendu : l'officialisation du soutien kényan au plan d'autonomie proposé par le Maroc pour le Sahara. Un tel soutien constituerait un précieux atout diplomatique pour Rabat, consolidant son agenda de légitimation internationale de sa souveraineté sur le territoire contesté. L'inauguration de l'ambassade kényane à Rabat, prévue lors de cette visite en présence du ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, marquera un moment charnière. Ce qui était autrefois un consulat honoraire deviendra une représentation diplomatique à part entière, symbolisant l'intensification des relations bilatérales. Un modèle de coopération bilatérale à repenser Un des défis majeurs de cette normalisation réside dans le déséquilibre commercial entre les deux pays. En 2023, le Kenya a exporté seulement 500 millions de shillings vers le Maroc, alors que ses importations en provenance de ce dernier se chiffrent à 12 milliards de shillings. Cette asymétrie commerciale met en lumière la dépendance du Kenya vis-à-vis des fertilisants marocains, tout en révélant les opportunités de coopération pour rééquilibrer cet écart. Les exportations kényanes, principalement constituées de thé, café, textiles et fruits, sont des secteurs stratégiques où le Kenya détient des avantages comparatifs. À l'inverse, les exportations marocaines au Kenya, dominées par les fertilisants, les huiles et les pièces d'avion, soulignent l'intérêt d'un partenariat plus équilibré. L'ambassadrice Jessica Gakinya a d'ores et déjà esquissé une feuille de route visant à renforcer les investissements marocains dans le secteur des engrais au Kenya, tout en mettant l'accent sur la promotion des produits agricoles kényans, tels que le thé et le café, sur le marché marocain. Le partenariat entre le Maroc et le Kenya s'inscrit dans une vision commune de sécurité alimentaire et de développement agricole. Le groupe OCP, premier exportateur mondial de phosphates, représente un acteur clé dans ce domaine. L'éventuel projet d'usine d'engrais au Kenya pourrait transformer la production agricole du pays, en garantissant un approvisionnement local stable et compétitif. Ce partenariat va au-delà des simples échanges commerciaux pour intégrer un transfert de technologie et de savoir-faire dans la gestion durable des sols et l'agriculture intensive, dans un contexte où le changement climatique met une pression accrue sur les rendements agricoles.