L'écrivain algérien Boualem Sansal est de nouveau confronté à la justice de son pays. Le parquet a requis dix ans d'emprisonnement ferme à son encontre lors de son procès en appel, principalement pour des déclarations jugées subversives sur la question du Sahara et sur l'histoire coloniale franco-marocaine. Une affaire qui révèle l'intolérance persistante du régime algérien face à toute remise en cause du récit officiel. Le 23 juin 2025, la cour d'appel d'Alger a entendu les réquisitions du ministère public dans le procès de l'écrivain Boualem Sansal, poursuivi pour atteinte à l'unité nationale, diffusion de fausses informations et incitation à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Algérie. Ces accusations, aux contours juridiques souvent flous, s'appuient sur des propos tenus par l'écrivain lors d'une conférence en Europe en 2024, et largement relayés sur les réseaux sociaux. Le Parquet « réclame 10 ans de prison et un million de dinars d'amende » (environ 6 600 euros), a dit le procureur général de la Cour d'appel, qui rendra son verdict mardi 1er juillet. Dans une de ses interventions, Sansal, connu pour son franc-parler et ses prises de position critiques à l'égard du pouvoir algérien, avait évoqué le rôle du régime militaire dans la genèse du Front Polisario, accusant l'appareil sécuritaire algérien d'avoir « inventé le Polisario pour déstabiliser le Maroc ». Il avait également rappelé qu'« à l'époque de la colonisation française, la partie occidentale de l'actuelle Algérie appartenait historiquement au Maroc » et que le découpage colonial avait, selon lui, « arbitrairement rattaché le Sahara oriental marocain à l'Algérie ». Ces propos ont été perçus comme une atteinte directe au dogme de l'unité nationale défendu depuis l'indépendance par le Front de libération nationale (FLN). Dans un contexte de crispation idéologique et de contrôle accru de la parole publique, toute évocation de la marocanité historique de territoires aujourd'hui algériens constitue une ligne rouge à ne pas franchir. Le régime, qui s'appuie sur un récit national façonné autour de la guerre d'indépendance, de la souveraineté absolue et d'une conception rigide de la frontière héritée de la colonisation, voit dans ce type de discours une tentative de révisionnisme historique et une remise en cause de sa légitimité. Lire aussi : Boualem Sansal : Une résolution du Parlement européen dénonce la répression en Algérie Une adhésion populaire façonnée par la propagande Boualem Sansal, auteur notamment du roman Le Village de l'Allemand, n'en est pas à sa première confrontation avec les autorités algériennes. Mais cette fois, les poursuites prennent une tournure bien plus grave. La réquisition de dix années de prison ferme par le parquet est une réponse d'une rare sévérité, traduisant une volonté manifeste de faire un exemple et de dissuader d'autres voix dissidentes. Au-delà des sphères officielles, les propos de Sansal ont suscité une levée de boucliers dans une large partie de l'opinion publique algérienne. Sur les réseaux sociaux, dans les médias traditionnels ou au sein de la diaspora, les condamnations fusent, souvent virulentes. Ce rejet s'inscrit dans un climat idéologique où l'éducation, les manuels scolaires et les médias d'Etat ont ancré depuis des décennies une vision manichéenne du conflit du Sahara. Le Maroc y est systématiquement présenté comme une puissance expansionniste, et le soutien au Polisario comme un devoir de solidarité révolutionnaire. Dans ce contexte, toute dissonance est perçue non comme une opinion, mais comme une trahison. Un procès politique sous couvert judiciaire Pour de nombreux observateurs, le procès de Boualem Sansal dépasse le strict cadre judiciaire. Il s'apparente à un procès politique, où l'enjeu est moins de sanctionner des faits que de faire taire une voix dissidente. « Ce qui est jugé ici, ce n'est pas seulement un écrivain, mais une lecture alternative de l'histoire et une parole libre », estime un ancien diplomate maghrébin sous couvert d'anonymat. D'autres y voient un signal envoyé à tous les intellectuels algériens tentés de remettre en cause les fondements idéologiques du régime. Dans une région marquée par une guerre de récits autour du Sahara, cette affaire illustre les tensions profondes qui persistent entre le Maroc et l'Algérie, et le caractère inflammable de toute prise de parole sortant du cadre autorisé. Malgré la gravité des faits et le profil internationalement reconnu de Boualem Sansal, les chancelleries occidentales sont restées, jusqu'à présent, d'une grande prudence. Aucune réaction officielle n'a été enregistrée à ce jour, ni de la part des autorités françaises, ni d'organisations de défense des droits humains de premier plan. Ce silence est d'autant plus troublant que Boualem Sansal a été décoré à plusieurs reprises en Europe, notamment en France et en Allemagne, pour son engagement en faveur des libertés et contre les extrémismes. Alors que l'Algérie multiplie les arrestations de journalistes, d'opposants et de blogueurs, la situation de Sansal vient confirmer un durcissement généralisé du régime face à toute forme de contestation intellectuelle ou politique. À travers ce procès, c'est la liberté d'expression elle-même qui est en jeu. Car si l'Etat algérien entend punir un écrivain pour avoir exprimé une opinion historique argumentée, la possibilité d'un débat serein sur les questions frontalières, identitaires ou mémorielles s'éloigne encore davantage.