La récente proclamation d'indépendance de la Kabylie a provoqué une onde de choc politique et diplomatique. Si sur le plan juridique cet acte reste dépourvu de valeur contraignante, il constitue, selon M. Ali Achour, ancien ambassadeur marocain dans plusieurs pays (Venezuela, Norvège, Brésil, près du Saint-Siège), un signal politique et symbolique majeur : le reflet d'un malaise profond et ancien, auquel les autorités algériennes n'ont pas encore su donner une traduction politique consensuelle. « On ne peut durablement promouvoir un principe comme universel dans les enceintes internationales, tout en le niant catégoriquement à l'intérieur de son pays », souligne l'ancien diplomate. Selon lui, cette incohérence fragilise le discours algérien auprès de ses partenaires internationaux et de sa propre opinion publique. La proclamation kabyle expose ainsi les limites d'une politique fondée sur l'exportation de l'autodétermination et sa répression domestique, obligeant le régime à clarifier son rapport à la diversité politique et culturelle de son territoire. Cette contradiction interne se combine à une politique extérieure particulièrement risquée. L'Algérie a longtemps soutenu, selon M. Achour, certaines causes séparatistes régionales. Or, cette instrumentalisation se retourne contre elle. « Les arguments utilisés par Alger pour défendre certaines causes séparatistes à l'étranger trouvent un écho direct dans les revendications internes qu'elle qualifie pourtant de subversives ou de terroristes », explique-t-il. En légitimant le séparatisme au-delà de ses frontières, l'Etat algérien a banalisé un discours qu'il tente ensuite d'interdire chez lui. Les risques sont tangibles. La crise kabyle peut inspirer d'autres contestations internes, alimentées par des revendications politiques, sociales ou ethniques, mettant en danger l'unité nationale. À l'échelle régionale, la circulation transfrontalière des idéologies séparatistes, combinée à des zones déjà fragilisées par l'insécurité, constitue un terreau d'instabilité. « Cette politique expose l'Algérie à une vulnérabilité accrue et représente un danger pour l'ensemble du Maghreb », avertit M. Achour. Face à cette situation, la gestion algérienne privilégie une approche sécuritaire et juridique. « Toute revendication kabyle organisée est automatiquement étiquetée comme une menace pour l'unité du pays, voire comme un complot étranger », observe l'ancien ambassadeur. À court terme, ces mesures peuvent étouffer les voix contestataires, mais à moyen terme, elles radicalisent la société et marginalisent les interlocuteurs modérés. La méthode du régime, qui refuse tout dialogue politique ou réforme structurelle, pourrait conduire à la multiplication de foyers de tension. Approches régionales face aux développements internes algériens Le Maroc, quant à lui, adopte une posture de non-ingérence déclarée : le Royaume n'intervient pas dans les affaires internes de l'Algérie. « La stabilité de l'Algérie est un élément essentiel de l'équilibre du Maghreb et de la sécurité régionale », rappelle M. Achour. Toutefois, le Maroc suit la situation avec attention, conscient que toute déstabilisation prolongée pourrait provoquer des flux migratoires ou fragiliser les zones frontalières, avec des répercussions directes sur son propre territoire. Dans ce contexte, le discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI sur la corrélation entre sécurité marocaine et algérienne s'inscrit dans une lecture plus large des enjeux sécuritaires régionaux. Sur le plan diplomatique, la question kabyle redéfinit l'équilibre régional. La contradiction algérienne entre discours international et pratiques internes affaiblit sa position idéologique et alimente certaines perceptions critiques sur sa posture régionale. Sur le plan international, une déclaration unilatérale d'indépendance n'implique pas de reconnaissance automatique d'un Etat. Les expériences comparatives, comme la Catalogne en 2017, montrent que la communauté internationale privilégie le respect de l'ordre constitutionnel existant. Ainsi, le MAK (Mouvement pour l'Autonomie de la Kabylie) pourrait obtenir au mieux un soutien politique ponctuel ou des prises de position symboliques. Mais, en l'absence de contrôle territorial effectif et de reconnaissance internationale, le droit international reste largement imperméable à cette proclamation.