La disparition du général Abdelkader Haddad, plus connu sous le pseudonyme de Nasser El-Djinn, ancien directeur de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), révèle les fractures béantes qui minent aujourd'hui le régime algérien. Assigné à résidence après son limogeage en mai, le haut gradé aurait échappé à la vigilance de ses gardiens pour rejoindre clandestinement l'étranger, déclenchant une traque d'une ampleur inédite depuis la « décennie noire ». Les 18 et 19 septembre, Alger et sa périphérie se sont transformées en camp retranché. Postes de contrôle militaires et policiers, fouilles de véhicules, blocage d'axes routiers et survols d'hélicoptères ont paralysé la circulation et plongé les habitants dans une atmosphère d'angoisse. Ce quadrillage sécuritaire, rarement observé depuis les années 1990, traduit la panique du pouvoir face à l'évasion d'un homme qui fut, de juillet 2024 à mai 2025, l'un des piliers de l'appareil répressif. Le Haut Conseil de sécurité a été convoqué en urgence. Mais l'agence officielle algérienne n'a livré aucun détail sur la réunion, signe que le régime peine à contrôler la narration d'un événement qui fragilise son autorité. Nasser El-Djinn n'est pas un cas isolé. Son arrestation, quelques semaines après sa mise à l'écart, s'inscrivait déjà dans une série de règlements de comptes au sommet. Avant lui, plusieurs patrons du renseignement – Wassini Bouazza (DGSI), Mohamed Bouzit alias Youcef (DDSE), Benmiloud Othmane dit Kamel Kaniche (DCSA) ou encore le colonel Nabil Boubekeur dit Bob – ont connu la prison, parfois pour des peines allant jusqu'à vingt ans. Le message est clair : l'ascension au sommet des services vaut désormais chemin direct vers la disgrâce et l'incarcération. Réhabilité en 2021, Nasser El-Djinn avait pris la tête du Centre principal d'investigations militaires de Ben Aknoun, haut lieu des exactions durant la guerre civile. Propulsé ensuite à la DGSI, il incarnait une continuité brutale des méthodes du DRS dissous. Son éviction puis son évasion scellent une nouvelle phase de recomposition où la loyauté ne garantit plus la survie politique. Cette instabilité chronique illustre l'usure d'un régime incapable de stabiliser ses pôles sécuritaires. Depuis 2019, la DCSA a changé six fois de direction, la DDSE autant. Les cercles proches de l'ancien chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah ont été marginalisés après sa mort ; ceux liés au général Toufik, rappelés puis écartés de nouveau ; les protégés de Saïd Chengriha eux-mêmes ne sont plus à l'abri. La suspicion généralisée règne, chacun pouvant devenir à tout moment la prochaine victime d'une purge. Réélu en septembre 2024, Abdelmadjid Tebboune avait promis une « Algérie nouvelle ». Moins d'un an plus tard, l'image qui domine est celle d'un pouvoir assiégé par ses propres contradictions. Les luttes intestines au sein de l'armée minent la cohésion d'un Etat dont l'appareil sécuritaire constituait pourtant le socle. La fuite de Nasser El-Djinn révèle une fragilité systémique : derrière la façade institutionnelle, le régime fonctionne par ruptures brutales, purges successives et alliances temporaires. L'affaire pourrait accélérer une transition imprévisible. La disparition d'un général devenu indésirable interroge sur la solidité d'un système qui se fissure de l'intérieur, et dont les dirigeants semblent désormais plus préoccupés à neutraliser leurs rivaux qu'à affronter les défis politiques, économiques et sociaux du pays.