Le secteur aérien africain s'apprête à franchir un cap stratégique. Pour la première fois, cinq compagnies majeures du continent — Royal Air Maroc, Ethiopian Airlines MRO, EgyptAir, Kenya Airways et SAA Technical — ont annoncé une coopération structurée dans le domaine de la Maintenance, Réparation et Révision (MRO) des aéronefs. Présenté début septembre à Kigali lors du 9e Sommet et exposition de l'aviation en Afrique, ce projet entend réduire la dépendance vis-à-vis des centres européens, asiatiques et moyen-orientaux où la plupart des transporteurs continuent d'envoyer leurs appareils pour des opérations lourdes. Selon l'Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA), l'ambition est claire : mutualiser les capacités existantes afin de conserver sur le continent des recettes jusqu'ici captées à l'extérieur. Le Nigeria, à lui seul, dépense chaque année plus de 2,5 milliards de dollars pour l'entretien de sa flotte hors du pays, selon la Federal Airports Authority of Nigeria (FAAN). Une manne colossale qui, en restant en Afrique, permettrait non seulement de générer des économies substantielles, mais aussi de créer des milliers d'emplois qualifiés. Le projet vise également à améliorer la sécurité aérienne à coût réduit, ce qui pourrait, à terme, abaisser les tarifs pour les passagers africains. Les besoins sont immenses : Boeing estime que le continent aura besoin de plus de 1 200 avions supplémentaires d'ici vingt ans, ce qui impliquera la formation de 21 000 pilotes, 22 000 techniciens et 26 000 membres d'équipage. Lire aussi : Aéronautique : les exportations marocaines franchissent 26,4 milliards de dirhams en 2024 Pour Rabat, cette coopération est une occasion de consolider un positionnement longuement construit. Royal Air Maroc dispose déjà de capacités reconnues en matière de maintenance, avec un centre à Casablanca qui dessert non seulement la flotte nationale, mais également des compagnies africaines partenaires. Cette expertise place le Royaume dans une situation singulière : à la croisée des flux aériens entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique, il entend se présenter comme un hub de référence dans le domaine du MRO. Ce choix s'inscrit dans la stratégie plus large du Maroc de projeter son industrie aéronautique au-delà de ses frontières. Fort d'un tissu industriel regroupant plus de 150 entreprises et d'une main-d'œuvre hautement qualifiée, le pays ambitionne de faire de cette coopération un levier pour renforcer ses liens avec le reste du continent, à l'image de ce qu'il a déjà accompli dans la banque et les télécommunications. Les bénéfices potentiels sont considérables. Mais les défis restent nombreux. Le déficit d'infrastructures modernes et les besoins massifs en investissements risquent de ralentir la mise en œuvre du projet. Chaque compagnie impliquée poursuit par ailleurs ses propres objectifs de rentabilité, ce qui pourrait compliquer une intégration véritablement harmonieuse. La question des compétences demeure centrale. Nombre d'ingénieurs et de techniciens africains, formés à grands frais, choisissent de s'expatrier vers des compagnies étrangères offrant de meilleures conditions salariales. La rétention de cette main-d'œuvre qualifiée sera l'un des critères décisifs pour la réussite de l'initiative. L'accord conclu entre ces cinq transporteurs majeurs pourrait faire figure de test grandeur nature pour la coopération industrielle africaine. Si les promesses se concrétisent, il pourrait ouvrir la voie à d'autres partenariats sectoriels, symbolisant une volonté nouvelle de bâtir une souveraineté technologique. Pour le Maroc, qui revendique depuis plusieurs années un rôle de trait d'union industriel et logistique entre l'Europe et l'Afrique, cette initiative est autant un défi qu'une opportunité. En participant activement à ce projet, Rabat cherche à inscrire son industrie aéronautique dans une dynamique continentale, affirmant sa place dans la « conquête africaine » du ciel.