Il arrive que certains régimes tombent non pas sous le poids de leurs ennemis, mais de leurs propres secrets. L'Algérie vit cette tragédie silencieuse, un pays où les espions disparaissent comme les illusions, où les généraux se succèdent plus vite que les ministres du Tourisme, et où le pouvoir ressemble désormais à une réunion d'anciens combattants perdus dans leurs souvenirs. Deux noms, aujourd'hui, résument ce chaos : Nacer El Djinn et Hassan. L'un s'est volatilisé dans la nuit, l'autre a été rappelé du purgatoire pour le remplacer. Deux spectres qui rejouent, à leur manière, le vieux théâtre d'ombres du pouvoir algérien ; intrigues, purges, résurrections et, cerise sur le couscous, rumeurs de fuite en mer. Les « déserteurs » selon Ferhat Mehenni Selon Ferhat Mehenni, le président du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie, deux généraux auraient pris la fuite. L'un, El Djinn, ex-chef du renseignement intérieur ; l'autre, Hassan, son remplaçant, présenté comme un proche de l'indéboulonnable général Toufik Mediène, alias « le parrain du DRS ». Et dans un sens, on le comprend, quand l'odeur de la poudre atteint le sommet, mieux vaut courir avant d'être effacé du communiqué officiel. Ferhat Mehenni, lui, jubile : « La Kabylie ne se mêlera pas de cette guerre de clans », mais elle entend en tirer la légitimité de proclamer son indépendance le 14 décembre 2025. Ce n'est pas de l'ingérence, c'est du spectacle géopolitique en direct. Alger, évidemment, dément tout. Mais dans un pays où les vérités sortent du désert et les mensonges des communiqués militaires, le doute devient une discipline nationale. Le général Hassan : le revenant des guerres sales Abdelkader Aït Ouarabi, dit Hassan, est un survivant, un revenant, un fantôme du DRS. Ancien chef du Scorat, vétéran de la « sale guerre » contre le terrorisme, il fut arrêté en 2015 pour « violation de consignes militaires » et « destruction de documents », jugé et condamné à cinq ans de prison. Une mise à l'écart politique plus que judiciaire, orchestrée par le clan Gaïd Salah, alors maître du jeu, pour purger les réseaux fidèles à « Toufik » Mediène. LIRE AUSSI : Camps de Tindouf : le Maroc dénonce une « anomalie humanitaire » et appelle à l'enregistrement immédiat des séquestrés par le HCR Condamné, puis réhabilité, puis ressuscité, le voilà en 2025 propulsé à la tête de la DGSI. À plus de 70 ans, il reprend du service, la moustache frémissante, entouré de jeunes officiers qui pourraient être ses petits-fils. Un symbole : l'Algérie ne renouvelle pas ses élites, elle recycle ses fantômes. Mais ne nous y trompons pas. Hassan n'est pas un héros, c'est un outil. Son retour signe la revanche du vieux réseau de Toufik, le parrain du renseignement d'antan. En le rappelant, le président Tebboune n'a pas consolidé son autorité, il a rallumé un brasier qu'il ne sait plus éteindre. Nacer El Djinn : le maître-espion évaporé L'histoire de son prédécesseur, Nacer El Djinn, de son vrai nom Abdelkader Haddad, ressemble à un scénario de film, mais sans happy end. Ancien favori du président Tebboune, il fut limogé en mai 2025, jeté en prison, puis placé en résidence surveillée. La loyauté se paie au prix fort à Alger. Jusque-là, tout allait presque « normalement » dans l'Algérie de Tebboune où la loyauté se paie au prix fort à Alger. Mais en septembre, boum. El Djinn disparaît. En une nuit, Alger devient un plateau de cinéma : routes bloquées, hélicoptères au-dessus de la capitale, barrages sur les autoroutes... tout cela pour retrouver un homme qui, selon les rumeurs, aurait pris la mer dans une patera direction l'Espagne. Un ancien maître-espion fuyant clandestinement ? Voilà la « harga d'élite » dont parle le peuple algérien, mi-fier, mi-effaré. Certains disent qu'il a été repris, d'autres qu'il a négocié sa reddition. Personne ne sait. Mais une chose est sûre : quand un chef des services secrets parvient à s'échapper du pays le plus verrouillé du Maghreb, c'est que la clé du système s'est perdue. Quand les gardiens de l'Etat fuient comme les harragas du désespoir, c'est que la digue a cédé. L'armée algérienne : une caserne sans capitaine Depuis 2019, cinq patrons se sont succédé à la DGSI. Cinq ! Même les clubs de football les plus instables n'atteignent pas ce rythme. Une valse institutionnelle qui dit tout de la fragilité d'un Etat dont la stabilité repose sur des loyautés personnelles, non sur une vision d'ensemble. Chaque général arrive avec son clan, purge le précédent, promet la stabilité, puis disparaît dans le silence. Un cycle infernal qui ne produit ni sécurité ni autorité, mais une bureaucratie paranoïaque où tout le monde espionne tout le monde. Le régime, en réalité, est pris à son propre piège. L'Etat profond s'est effondré sous son propre poids. Les réseaux de Toufik, les fidèles de Tebboune, les héritiers de Gaïd Salah... tous se détestent cordialement, mais se tiennent par les dossiers. C'est un mariage d'intérêt entre méfiance et chantage. La Kabylie, spectatrice amusée de la débâcle C'est dans ce vide que s'engouffre la Kabylie politique. Ferhat Mehenni, depuis Paris, observe les généraux s'entre-déchirer et murmure, avec un sourire : « Nous ne nous mêlerons pas de cette guerre de clans. » Sous-entendu : pendant que le pouvoir s'effondre, la Kabylie prépare son « lendemain ». Le 14 décembre, annonce-t-il, viendra la proclamation symbolique d'indépendance de la Kabylie. Quand les généraux désertent, les régions se détachent. Et quand l'armée doute d'elle-même, le pays tout entier entre dans une zone de turbulences. L'affaire « El Djinn – Hassan » n'est pas un épisode isolé. C'est le miroir d'un régime en décomposition lente, le thermomètre d'un pouvoir en fièvre, un système où le pouvoir ne gouverne plus, il se cache. Les généraux fuient, les civils se taisent, le peuple observe et la peur devient le seul ciment national. Dans ce bal tragique des généraux fantômes, il ne reste plus de chef d'orchestre, seulement un écho, celui d'un Etat qui se délite, dans le silence et le doute.