Récit d'un conflit qui ébranle l'Istiqlal et son leader, Abbas El Fassi Les dessous de l'affaire Ghallab-Afilal Entre Abdelkrim Ghallab et Abderrazak Afilal, les rapports ne volent pas aussi haut que les principes déclaratoires et grandiloquents. Il s'agit d'une inimitié personnelle de longue date. Par ailleurs, Ghallab représente un passé révolu, tandis que Abbas El Fassi incarne un avenir incertain. Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. Abderrazak Afilal et Abbas El Fassi. Evénement pour les uns, non-événement pour les autres. La nouvelle fait, néanmoins, sensation. Abdelkrim Ghallab, figure de proue de l'Istiqlal et de son quotidien Al Alam, démissionne du journal qu'il a dirigé pendant cinquante-cinq ans et du parti où il est entré à l'âge de quinze ans pour y vivre durant soixante-dix ans. Un bail. C'est ce samedi-là, précisément, que tout s'est joué. Une de ces journées qui marquent l'histoire d'un homme, d'une publication et d'un parti politique. La stature du démissionnaire, de par sa longévité professionnelle et son endurance partisane, est trop importante pour que la presse ne s'en empare pas. Passé la nonchalance d'un week-end estival, les quotidiens en ont fait leurs manchettes à la une, dès le lundi 12 juillet. Que s'est-il donc passé pour que Abdelkrim Ghallab claque la porte et du journal et de la maison-Istiqlal, deux univers qui n'en font qu'un et qui étaient les siens ? Entrefilet Au commencement était un article non signé, envoyé par le bureau d'Al Alam de Casablanca pour publication. Une routine. Sauf que l'article anonyme traite de l'affaire Slimani-Laâfora où Abderrazak Afilal est cité. L'auteur prend la défense de Afilal, aux multiples fonctions, toutes istiqlaliennes, et membre du comité exécutif du parti. Une position politiquement naturelle. Pas pour Ghallab. Celui-ci, tout directeur qu'il soit, n'a pas été informé de l'arrivée de l'article et de son insertion dans l'édition en préparation, du samedi 10 juillet. Il le découvrira comme tous les lecteurs dans le journal qu'il est censé diriger. Sur le coup, il fulmine de tout son être d'octogénaire, puis se résoud à y répondre par un entrefilet où il dégage sa responsabilité quant aux conséquences d'un écrit à propos d'un dossier en cours d'instruction judiciaire. Ce qui est, pour lui, une entorse à la déontologie de la presse et un manque de respect pour la justice et pour les lecteurs. Ghallab ne pouvait pas mieux faire pour mettre la direction du parti de l'Istiqlal dans l'embarras. Le premier à être alerté est évidemment Abbas El Fassi, secrétaire général. Sa position est sans équivoque. L'article de la discorde doit être publié sans autre forme de commentaire. Abdelhak Tazi est appelé à la rescousse, en tant que directeur du groupe Arrissala qui publie Al Alam et l'Opinion, et membre du conseil d'administration de la maison de distribution, Sapress. Réflexe Si l'entrefilet de Ghallab est maintenu, dit-il sur un ton de véritable patron de la presse du parti, le journal ne sortira pas. Al Alam sera, tout de même, dans les kiosques, mais sans les cinq lignes de désengagement de Abdelkrim Ghallab. Voyant que l'affaire est entendue, celui-ci prend la décision de sa vie : la démission. Mohamed Douiri téléphone, depuis Capo Negro, à son ami de toujours pour lui demander de surseoir à toute réaction définitive. En vain. Ghallab persiste et signe une lettre d'explication qu'il adresse d'abord à la MAP, avant d'en arroser les différentes rédactions. Réflexe d'un vieux routier de la profession. Dans sa lettre de démotivation, Ghallab dit ne plus être le vrai maître à bord. Des articles, particulièrement ceux à caractère politique, dont il ne partage pas le contenu et l'orientation, passent par dessus sa tête, pour être directement programmés et balancés dans l'escarcelle destinée à la publication. Il parle même de censure externe, avec un «suiviez mon regard» vers le parti. En somme, Abdelkrim Ghallab ne se sent pas seulement «fantôchisé», il s'est trouvé en décalage et en désaccord avec la ligne éditoriale de Al Alam. Jusqu'ici, l'attitude de Ghallab est cohérente, compréhensible et même légitime. Là où l'événement prend une autre tournure, c'est lorsque, dans la foulée de son coup de gueule, il annonce sa démission du parti. Entre Al Alam et l'Istiqlal, il n'y a qu'un pas, que Ghallab n'a pas hésité à franchir. Peut-être pas allègrement, peut-être même la mort dans l'âme du vieux monsieur qu'il est, mais la relation de cause à effet est faite. Il dit textuellement que «les idées dont il s'est imprégné et les constantes constitutives de son esprit national et politique, sont, aujourd'hui, fortement ébranlées». Et comme pour enfoncer le clou et marquer sa distance, quasi-epistémologique, avec l'Istiqlal actuel, il cite Ahmed Balafrej, Allal El Fassi et M'hamed Boucetta, des leaders avec lesquels il était en parfaite symbiose idéologique et politique. Abbas El Fassi n'a pas eu l'honneur d'être nommé , et pour cause. Il est en filigrane et en creux dans le propos de Ghallab, en tant qu'anti-modèle, anti-référence, c'est à peine s'il n'est pas explicitement considéré comme le pâle successeur des grands aïeuls istiqlaliens. Une tombée de rideau fracassante sur l'actuel secrétaire général de l'Istiqlal. Inimitié Au terme de cette narration strictement événementielle, on se demande, à juste raison, quelle a été la réaction du directoire du parti de l'Istiqlal. Elle a été multiple et à géométrie variable. Distinction a d'abord été faite entre le journal et le parti. Concernant Al Alam, il a été rappelé par plusieurs intervenants intermédiaires, certainement aiguillonnés par la hiérarchie directoriale de l'Istiqlal, que ce quotidien est l'organe du parti et non de Abdelkrim Ghallab. On reproche à ce dernier de vouloir en faire sa propriété intellectuelle, une publication figée, passéiste, recroquevillée sur un rétroviseur historique devenu caduc. En clair, l'Istiqlal fait du réalisme politique; Ghallab, lui, fait de la fixation sur un référentiel obsolète. Disons, pour être juste, que Abdekrim Ghallab représente un passé révolu, tandis que Abbas El Fassi incarne un avenir incertain. En fait, les rapports entre Abdelkrim Ghallab et Abderrazak Afilal ne volent pas aussi haut que ces principes déclaratoires et grandiloquents. Il s'agit d'une inimitié personnelle de longue date. Un rapide flash-back pour comprendre. Nous sommes dans les élections législatives de 1977. Abdelkrim Ghallab se présente à Sidi Bernoussi, parmi deux autres candidats istiqlaliens, Mohamed el Ouafa et Abderrazak Afilal, dans d'autres quartiers de Casablanca. Ces circonscriptions étaient données gagnantes, dans le système de quotas électoraux réparti entre les partis par un ministre de l'Intérieur du nom de Driss Basri. Ghallab passe haut la main au gré du tripatouillage électoral, contre Mustapha Kerchaoui, de l'USFP. Ghallab a voulu récidiver en 1984, alors qu'il n'avait plus mis les pieds dans les lieux où on l'avait fait élire, ne serait-ce que pour donner une crédibilité relative à sa députation. Afilal s'y oppose. Ghallab s'obstine. Il se présente et échoue. C'est Mohamed Karia, ex-officier dela marine marchande, qui l'emporte. Honnêtement, même si les voies de l'ingénierie électorale de Driss Basri n'avaient pas fonctionné, un Ghallab seul, face à l'électorat de Sidi Barnoussi, aurait, tout de même, été recalé. Plus pour son utilitarisme partisan que pour son accent. L'inimitié Afilal-Ghallab était désormais consommée. Elle se transformera en haine inextinguible. Et elle s'exprimera ouvertement dans les réunions du comité exécutif de l'Istiqlal et même dans les congrès. Et, comme pour arranger les choses, voilà que les femmes s'en mêlent. Madame Bouayad, épouse Ghallab, et madame Mahjouba, épouse Afilal, sont à couteaux tirés, crânement rangées derrière leurs maris. Lièvre C'est connu, derrière chaque homme qui se voit plus grand que « sa grandeur » nature, il y a une femme encore plus grande. Le contrôle des activités féministes de l'Istiqlal, avec le bénéfice partisan qui va avec, constituent l'enjeu de ce duel féminin, toutes griffes dehors. On savait que l'Istiqlal était une grande famille politique, mais pas à ce point de conflit farouchement inter-familles. Ce qui donne encore plus de piment à cette confrontation homérique Ghallab-Afilal, c'est que chacun s'est taillé un territoire exclusif. À Ghallab l'organe arabophone du parti. Quant au territoire de Afilal, il est extensible et multi-dimensionnel. Patron irremplaçable à la tête de la centrale syndicale UGTM, il est tout aussi chef du groupe parlementaire des élus istiqlaliens au Parlement, membre du CCDH (Conseil consultatif des droits de l'Homme), conseiller communal à Aïn Sebaâ, dont il a été président de 1977 à 1992, puis de 1997 à 2002. Afilal est partout, dans toutes les structures extra-parti ou intra-parti. Et il n'en démord pas. Tout le prédestinait à être dans une antinomie frontale avec un Ghallab irascible et tout aussi accroché à ses privilèges, défendant son espace bec et ongles. Entre ces petites querelles très intéressées et les grands discours politiques, la distance est immense. Côté Ghallab, tout se passe comme si le vieux journaliste-écrivain voulait réussir sa sortie de la scène politique. Force est de reconnaître qu'il a réussi. Mais il faut aussi admettre qu'un cacique atteint par la limite d'âge ne peut lever que de vieux lièvres. Il a eu l'appui de M'hamed Boucetta, un historique sorti par la petite porte pour raison d'alternance d'où il a été écarté comme Premier ministre virtuel, après avoir été réellement pressenti. Soulagement Son ami Mohamed Douiri fait, lui aussi, partie du même cercle d'aigris inconsolables, évacués vers le comité des sages, une anti-chambre d'enterrement politique de première classe. Abbas El Fassi a compris cette distorsion de générations par rapport à une nouvelle donne politique, dans le sillage du nouveau règne. La démission politiquement anti-datée de Abdelkrim Ghallab méritait bien une réunion extraordinaire du comité exécutif de l'Istiqlal. Prévue pour le lundi 12 juillet, elle a été reportée au lendemain, pour cause d'accueil protocolaire à Tanger de S.M Mohammed VI, de retour des Etats-Unis, à laquelle le ministre d'Etat sans portefeuille et sans états d'âme, se devait d'assister. La réunion a effectivement eu lieu, le mardi 13 juillet. À l'unanimité, la démission de Ghallab a été refusée. Du parti, seulement. Quant au quotidien Al Alam, son nom en tant que directeur, avait déjà sauté, la veille. En somme, Ghallab n'est symboliquement retenu que dans le parti. Pas dans le journal, où son départ auto-proclamé semble être un soulagement pour Abbas El Fassi et, il faut le dire, pour une rédaction qui, désormais, saura à quel saint se vouer. La caravane est donc passée, douloureusement, mais les problèmes internes de l'Istiqlal et de son chef de file, Abbas El Fassi, restent entiers. Le meilleur ou le pire est à l'avenant. Retour