Sur les vingt dernières années, les avancées majeures dans les découvertes archéologiques au Maroc ont marqué un tournant dans la recherche internationale. En plus de confirmer que le pays est une mine d'or en la matière, les trouvailles accumulées et les données scientifiques qui en ressortent redessinent désormais les cartographies et réécrivent l'Histoire de l'humanité. Des chercheurs ont récemment expliqué ces changements majeurs. Au cours des vingt-cinq dernières années, la perception de la préhistoire ancienne de l'Afrique du Nord-Ouest a connu un changement radical, grâce à de nouveaux projets de terrain et à l'intérêt scientifique grandissant pour la région. Dans leur article scientifique récemment paru au Journal Of The Royal Anthropological Institute (JRAI), les chercheurs Nick Barton, Abdeljalil Bouzouggar, Stacy Carolin, Louise Humphrey s'intéressent particulièrement à la réévaluation de la préhistoire du moyen et du dernier âge de pierre au Maroc, ainsi que son impact sur la recherche internationale. Connu pour ses riches vestiges fossiles et archéologiques, le Maroc a en effet été investi par des travaux d'envergure, dont les découvertes cruciales sont devenues déterminantes pour les périodes de l'âge de pierre moyen à l'âge de pierre récent. En plus d'avoir enrichi la compréhension de la nature et de la chronologie de l'occupation humaine dans la région, ces contributions ont permis de définir l'évolution du comportement humain avec plus de précision, grâce à des éléments recueillis sur le développement des modes de vie, des organisations sociales et des habitudes qui en ont découlé, rappellent les chercheurs. Archéologie : Un génome établit des liens insoupçonnés entre le Maroc et l'Egypte ancienne Une redéfinition des périodes archéologiques majeures Ces données ont même conduit à la révision de la chronologie de l'âge de pierre moyen, dit Middle Stone Age (entre 300 000 et 29 000 ans avant notre ère), qui a été octuplée. Elles ont ainsi permis d'informer davantage sur la datation de l'Iberomaurusien à l'âge de pierre tardif (LSA), outre la transition entre les deux périodes. Selon les chercheurs, nombre de ces données proviennent surtout de la Grotte des Pigeons à Taforalt, où plus de 200 dates ont été générées. Si l'on peut dire que le site préhistorique n'a toujours pas révélé tous ses secrets, il a permis jusque-là plus de soixante datations au radiocarbone pour les seuls niveaux du LSA. Selon les chercheurs, «sous ces couches LSA à Taforalt se trouve l'industrie provisoirement nommée 'Intermédiaire'», qui s'étend sur une période d'environ 27 000 à 24 200 ans avant notre ère, «avec peu de signes de hiatus dans l'occupation de la grotte». L'article note que pour leur part, les dépôts MSA les plus récents enregistrés jusqu'à présent sont «stratifiés immédiatement sous cette industrie», datant probablement d'environ 29 000 à 27 000 avant notre ère. A ce titre, il précise que «la chronologie de la transition MSA à LSA a également été abordée en relation avec des sites de la région de Rabat-Témara, mais son interprétation est rendue plus difficile par des lacunes apparentes dans la sédimentation». ADN ancien et migrations : Une étude révèle un passé génétique inédit en Afrique du Nord Mais à la lumière des éléments actuels permettant de comprendre la chronologie, les chercheurs soutiennent qu'«un MSA nord-africain généralisé» s'est probablement développé «à travers différentes étapes qui ont commencé il y a au moins 300 000 ans avant notre ère», ce qui a été démontré avec l'introduction des technologies de pointe. Dans le même sens, «l'application de méthodes de datation radiométrique plus avancées ainsi que la capacité de dater des objets et des dépôts à une résolution beaucoup plus élevée ont démontré que le MSA au Maroc occupait une période de temps beaucoup plus longue que celle initialement rapportée». En plus des éléments sur lesquels informent les découvertes à Taforalt, depuis le début des années 2000, «la datation d'une séquence stratifiée moustérien à atérien à la grotte de Rhafas a fourni des âges entre 70 et 80 ka (mille ans) pour l'Atérien le plus ancien, tandis que le niveau moustérien sous-jacent le plus récent pourrait être daté de 80 à 90 ka», souligne-t-on. À Taforalt, la datation multiple a tout autant indiqué que «les niveaux atériens MSA antérieurs se situaient entre 73 et 91 ka», comme cela a été confirmé par d'autres datations, au fil des décennies. Maroc : L'évolution du couvert forestier a impacté les modes de vie à l'âge de pierre tardif [Etude] Le débat scientifique n'est pas encore terminé Plus loin, les auteurs expliquent qu'actuellement, «les âges les plus anciens du MSA proviennent de la redatation du Jebel Irhoud, au Maroc», grâce à l'analyse des artefacts provenant de nouvelles fouilles. «Un autre site ancien contenant des artefacts du MSA est l'abri sous roche de Benzu, près de la pointe nord du Maroc, où les découvertes du MSA du niveau 2 ont été datées par TL à 254 ± 17 ka», écrivent-ils. Les chercheurs soulignent, en outre, que ces résultats évolutifs au fil des années «ont permis de recadrer les débats sur le développement évolutif et la continuité des populations humaines successives» en lien avec l'Afrique du Sud-Est. «Si des éléments suggèrent que Homo sapiens est apparu au moins aussi tôt ici que dans d'autres parties de l'Afrique, ce qui en fait potentiellement une zone centrale pour les origines des premiers humains, le schéma d'occupation humaine était probablement plus complexe qu'une simple présence continue dans la région», expliquent-ils. A titre d'exemple, les interrogations persistent sur la pérennité des humains partout en Afrique du Nord-Ouest, tout au long des cycles glaciaires et interglaciaires. Aussi, si un modèle peut être avancé en faveur de l'occupation de refuges caractérisés par une humidité côtière et des conditions de température locales élevées, «on ignore encore si la continuité de la population était géographiquement étendue». La société de production, facteur de néolithisation en Afrique du Nord Evoquant également l'importance de mieux connaître les dimensions liées à l'organisation de ces périodes, les chercheurs soulignent qu'«un argument de poids en faveur d'une continuité démographique régionale à long terme est la remarquable persistance de pratiques culturelles telles que les méthodes d'emmanchement pédonculé et la sélection de Tritia et de Columella comme ornements». Autant dire que les sites archéologiques marocains, que ce soit Taforalt, Bizmoune ou plusieurs autres, pourraient encore révéler davantage sur les parcours commplexes de l'humanité et des civilisations.