A quelques semaines de la Marche Verte prévue le 6 novembre 1975, le Sahara était sur le point de s'embraser militairement. Alors que 350 000 Marocains se préparaient à traverser les frontières lors d'une marche pacifique, la direction militaire espagnole élaborait un plan défensif appelé "Opération Marabunta" pour défendre «jusqu'au bout» la ville de Laâyoune. Retour sur un moment de crispation espagnole qui donne une dimension encore plus extraordinaire à ce moment de l'Histoire. À l'approche de la Marche Verte en novembre 1975, l'armée espagnole déployée au Sahara se préparait à une potentielle escalade militaire avec le Maroc. Le livre «Le Conflit au Sahara Occidental», publié par le ministère espagnol de la Défense et rédigé par Ignacio Fuente Sopo et Fernando Mariño Menéndez, révèle que l'état-major espagnol avait élaboré un plan d'urgence baptisé «Opération Marabunta». Ce plan visait à empêcher toute avancée marocaine vers Laâyoune, le centre stratégique des forces espagnoles dans la région. Selon l'ouvrage, les autorités militaires espagnoles n'étaient pas informées des négociations secrètes entre Madrid et Rabat sur la cession du Sahara. Ainsi, dès le 4 octobre, elles ont dégagé une bande de 10 kilomètres dans le nord de la région et ont érigé des clôtures doubles allant d'est en ouest jusqu'à la route reliant la frontière nord à El Hagounia. Mines, artillerie et chars Entre ces clôtures, un champ de mines antipersonnel a été installé. Le livre précise que cette stratégie visait à canaliser les marcheurs et les forces marocaines vers deux axes : la route côtière entre Tarfaya et Laâyoune, et la route orientale de la frontière à El Hagounia, puis vers Laâyoune. Ces informations sont corroborées par le général espagnol à la retraite Adolfo Coloma, qui a déclaré lord d'une interview : «Il y avait un autre champ de mines derrière nous, mais il était factice. Le véritable champ de mines se trouvait à environ sept kilomètres, entouré de clôtures et signalé par des panneaux en arabe et en espagnol : Danger Mines.» La défense principale était concentrée à Laâyoune, où les forces espagnoles se préparaient à une «lutte jusqu'au bout», sans retrait possible. Trois groupes tactiques avaient été déployés pour barrer la route aux avancées du nord et de l'est, avec un autre groupe en réserve comme dernier rempart. Les forces de Laâyoune disposaient d'une artillerie automotrice capable de créer un rideau de feu pour stopper une attaque, et une brigade de chars moyens était prête à lancer des contre-attaques ou à exploiter toute percée. Deux brigades de parachutistes devaient être déployées depuis la péninsule ibérique pour renforcer la défense de la ville. À l'époque, 20 000 soldats espagnols étaient stationnés au Sahara, dont plus de la moitié à Laâyoune. Les forces espagnoles bénéficiaient du soutien de la marine, qui patrouillait le long des côtes avec des lignes d'approvisionnement sécurisées depuis les îles Canaries. Le livre affirme que «la position défensive à Laâyoune semblait imprenable». Le 28 octobre, l'armée espagnole a renoncé à ses derniers soldats sahraouis, craignant qu'ils ne se retournent contre leurs officiers espagnols dans un contexte aussi tendu. Malgré cette ambiance guerrière, l'ouvrage souligne que les forces marocaines n'étaient pas prêtes à affronter les Espagnols, en raison de bases aériennes éloignées et du risque d'un débarquement espagnol derrière leurs lignes. Le Maroc se concentrait sur le ravitaillement des milliers de civils participant à la marche. Négociations ardues Alors que l'armée espagnole se préparait à un conflit, les négociations politiques prenaient un autre tournant. Le 18 octobre, trois jours avant le départ de la Marche Verte, le ministre José Solís a rencontré le roi Hassan II à Marrakech, lui signalant que l'Espagne était prête à céder le Sahara. Le même jour, l'état-major espagnol a reçu l'ordre d'activer l'«Opération Hirondelle», planifiant l'évacuation complète du Sahara, y compris 10 000 civils européens, sous condition de sécurité conjointe espagnole et marocaine. Le roi Hassan II était conscient de la fragilité politique de l'Espagne, alors que le général Franco était mourant. Cette instabilité offrait au Maroc une opportunité de renforcer ses revendications territoriales. Le 6 novembre, le Maroc a lancé un ultimatum par la voix du ministre de l'Information, Ahmed Taïeb Benhima, exhortant l'Espagne à reprendre les négociations sur le Sahara. Face à la menace d'une poursuite de la marche à travers les barbelés et les mines, l'Espagne se trouvait dans une impasse. L'accord tacite entre Madrid et Rabat prévoyait que la marche pénètre de dix kilomètres dans le Sahara, campe pendant 48 heures, puis se retire. La menace de Hassan II Mais le roi Hassan II savait qu'il ne pouvait arrêter la marche sans atteindre son objectif. Un échec risquait de retourner les foules nationalistes contre lui. Il ne pouvait non plus les maintenir indéfiniment à la frontière, au risque de troubles internes ou de maladies. Il opta donc pour un pari risqué face aux Espagnols, conscient que l'échec conduirait à une guerre dans des conditions défavorables. Le 7 novembre, plus de 100 000 manifestants franchirent la frontière, ouvrant un second front à l'est, dans une zone laissée sans défense par l'Espagne. Le 8 novembre, le ministre espagnol de la Présidence, Antonio Carro, se rendit à Agadir avec l'ambassadeur espagnol au Maroc pour des discussions tendues avec les ministres marocains. Le lendemain, il rencontra le roi Hassan II, qui adopta une attitude ferme et menaçante. Antonio Carro s'engagea à remettre un message du gouvernement espagnol promettant de céder le Sahara en échange de l'arrêt de la Marche Verte. Avec l'accord du gouvernement espagnol, le ministre remit une lettre soulignant la nécessité de préserver les intérêts mutuels et la paix internationale, s'engageant à reprendre les négociations si la marche cessait. Le Maroc avait atteint ses objectifs. Dès le lendemain, la Marche Verte pliait bagage et reprenait la route du nord. Les accords de Madrid Le 12 novembre, des délégations marocaines et mauritaniennes se rendirent à Madrid pour négocier le transfert de souveraineté. Deux jours plus tard, les «Accords de Madrid» scellaient le sort du Sahara, l'Espagne s'engageant à se retirer avant le 28 février de l'année suivante. Le Maroc récupéra la partie nord du territoire, créant trois provinces : Laâyoune, Smara et Boujdour. La Mauritanie reçut le sud, baptisé Tiris El-Gharbia, avec une administration en trois régions : Dakhla, Aousserd et La Güera. Le 28 février 1976, le dernier drapeau espagnol fut remplacé par le drapeau marocain. Dans la nuit, les derniers soldats et fonctionnaires espagnols quittèrent la région, mettant fin à plus de quatre-vingt-dix ans d'occupation coloniale. Le 30 octobre, les premières unités des Forces armées royales marocaines franchirent la frontière, occupant les positions abandonnées jusqu'à Mahbes, que l'armée algérienne avait brièvement occupée avant de se retirer pour éviter une confrontation directe. Article modifié le 07/11/2025 à 09h42