Depuis trois ans, l'ambassade du Maroc aux Pays-Bas fait l'objet de poursuites après la plainte de l'un de ses employés licenciés. La cour de travail de La Haye vient de donner raison à celui-ci, mais le Maroc recourt à l'argument de l'immunité diplomatique et refuserait d'indemniser le plaignant. A 45 ans, M.F. a pu être réhabilité dans ses droits par la cour de travail de La Haye, qui a exigé en juin de l'indemniser. Agent à l'ambassade du Maroc aux Pays-Bas, le Marocain a été licencié en 2015. Cette année-là, il a intenté un procès contre son employeur pour licenciement abusif. Trois ans plus tard, le verdict vient de tomber. Selon le tribunal du travail, M.F. doit être réintégré à son poste, toucher le même salaire qu'avant et la représentation diplomatique doit lui verser les arriérés de 2015 à aujourd'hui, en plus d'une amende. La fin de ce procès a été rapportée par le site néerlandais De Volkskrant, qui indique que l'ambassade du royaume «refuse d'exécuter la sentence du tribunal». En effet, cette décision ne serait pas près d'être appliquée, bien qu'elle revêt un caractère obligatoire. Le Maroc refuse de s'y plier et invoque l'immunité diplomatique. Quant au ressortissant marocain qui vit aux Pays-Bas depuis 1998, il est en possession d'un contrat de travail néerlandais le liant à l'ambassade, ce qui oblige celle-ci à se tenir aux lois du pays. Le Maroc pourrait ne pas verser d'indemnités Avocat du plaignant, Nawid Fakiri craint que l'ambassade ne paye pas l'employé et campe sur ses positions. Le 4 juillet dernier, Me Fakiri a reçu un courriel de l'autre partie, lui précisant que celle-ci «ne se conformera pas à la décision et ne se sent pas concernée par cette affaire», rapporte De Volkskrant. Mais cet argument a peu de chances d'être retenu, vu qu'il n'a pas été invoqué depuis le début du procès, indique le tribunal. En cas de recours en cassation, ce que la représentation diplomatique du royaume envisage de faire, l'argument ne peut toujours pas être retenu par la haute juridiction, d'autant plus qu'il s'agit du même dossier. «Si le tribunal rend un verdict, il doit être exécuté», indique l'avocat de M.F. à De Volkskrand. Citant un porte-parole du parquet, le média néerlandais ajoute que «peu importe, boulanger ou ambassade, si une partie s'oppose à une décision du juge, un huissier peut être sollicité». De son côté, l'ambassadeur du Maroc à La Haye, Abdelouahab Bellouki soutient que ce n'est pas à lui d'exécuter le verdict. Repris par le site d'information, il souligne sa volonté de «résoudre ce problème le plus rapidement possible», mais pour cela «Rabat doit prendre une décision». Egalement contacté par De Volkskand, Evert Verhulp, professeur de droit du travail à l'université d'Amsterdam, rappelle la difficulté d'imposer un paiement d'arriérés à une ambassade. «Lorsque vous êtes un employeur néerlandais, vous pouvez être saisi sur des propriétés immobilières, sur la voiture d'un responsable, ou sur des biens dont la valeur est égale à ce que la justice vous exige de verser. Mais dans ce cas, les accords diplomatiques empêchent, par exemple, la saisie du véhicule de l'ambassadeur. Cela n'arrivera pas.» Evert Verhulp L'immunité ne serait pas retenue, la confiscation des biens non plus L'ambassadeur marocain estime que les autorités marocaines doivent donner une réponse afin d'envisager les suites après cet été. Pour sa part, un juriste belgo-marocain explique sur Twitter que «cette affaire permet d'éclairer la notion d'immunité diplomatique, le plus souvent incomprise». L'ambassade du Maroc à La Haye refuse de suivre un jugement d'une cour du travail néerlandaise la condamnant à des dommages-intérêts au profit d'un agent local (nl) #Thread https://t.co/B6Wm6SoRK3 — Anckarström ???? (@ibnkafka) July 23, 2018 Il précise ainsi que cette conception «ne signifie pas qu'une ambassade et ses diplomates sont affranchis du respect du droit national du pays hôte», mais qu'elle implique «simplement que ni la mission diplomatique ni les diplomates accrédités ne peuvent être poursuivis au pénal ou faire l'objet de mesures de contrainte ou d'exécution forcée». Une mesure qui revêt deux aspects, celui de l'immunité de juridiction et d'exécution. «L'étendue exacte de l'immunité diplomatique dépend de l'interprétation jurisprudentielle nationale de la Convention de Vienne de 1961. Une tendance lourde dans les pays occidentaux est à la restriction continue du champ d'application de l'immunité. Ainsi, en Suède, les comptes bancaires d'un Etat étranger peuvent être saisis à la demande d'un créancier, mais pas ceux d'une mission diplomatique s'ils servent directement à l'exercice de ses fonctions diplomatiques.» @ibnkafka juriste belgo-marocain sur Twitter Quant à l'affaire impliquant M.F. et l'ambassade du Maroc aux Pays-Bas, le juriste considère qu'«il est normal qu'un juge néerlandais se soit déclaré compétent à trancher le litige entre cet agent et l'ambassade», tandis que la réaction de cette dernière est «conforme à la vision classique et large de l'immunité diplomatique». De son côté, Me Fakiri garde le seul espoir qu'une procédure sommaire puisse imposer une pénalité à la représentation diplomatique, sur chaque jour où elle ne se plie pas à la décision du juge. Par ailleurs, si des spécialistes en droit du travail à La Haye évoquent la possibilité pour le plaignant d'ester devant une juridiction marocaine, la Cour de Rabat, elle, estime ne pas être compétente sur ce dossier et renvoie M.F. à la justice néerlandaise, selon De Volkskand.