Le quotidien espagnol La Vanguardia a mis en lumière dans une récente enquête l'implication croissante d'éléments sahraouis issus des camps de Tindouf dans les groupes djihadistes opérant au Sahel, notamment dans les rangs du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM) et de l'Etat islamique en Afrique de l'Ouest (ISWAP). L'étude cite des rapports confidentiels et des analyses de centres de recherche stratégiques européens et américains, qui considèrent cette évolution comme un facteur de mutation profonde de l'instabilité régionale. Une insurrection militarisée portée par des figures sahraouies Les premières semaines de juin ont été marquées par une accentuation des attaques dans le sud du Mali et le nord du Burkina Faso, coïncidant avec la fête de l'Aïd al-Adha. Plus de 400 soldats maliens auraient été tués, selon des sources locales. Les opérations, coordonnées et meurtrières, ont été attribuées à Iyad Ag Ghali, chef du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, à la tête de plus de 6 000 hommes. Sa stratégie consiste à assujettir les zones rurales avant d'envisager une percée vers les capitales – Bamako, Ouagadougou et Niamey. La Vanguardia souligne la présence croissante de combattants sahraouis dans les structures décisionnelles de ces groupes armés. «Des éléments originaires des camps de Tindouf apparaissent désormais dans les états-majors régionaux du JNIM et de l'ISWAP. Leur radicalisation a suivi un processus lent mais structuré, facilité par l'absence de contrôle international et l'endogamie idéologique des camps sahraouis», déclare un analyste militaire européen cité par le quotidien. Les camps de Tindouf, situés en territoire algérien, accueillent environ 90 000 réfugiés sous l'autorité directe du Front Polisario, en dehors de toute surveillance onusienne. Leurs conditions de vie, marquées par le dénuement, le désespoir et l'absence d'horizon, ont favorisé une lente dérive vers la radicalité violente. L'un des exemples les plus emblématiques demeure Adnan Abou Walid al-Sahraoui, ancien cadre du Polisario devenu chef de l'Etat islamique au Grand Sahara jusqu'à sa mort en 2021. D'autres ramifications sont apparues en Europe : les groupes Fath al-Andalus et Khilafa, démantelés en Espagne, avaient des liens directs avec des anciens des camps de Tindouf. Une infiltration méthodique soutenue par l'Algérie Dans une note alarmante, le Center for the National Interest – ancien centre Nixon pour la paix – souligne que «l'Algérie utilise le Front Polisario comme levier clandestin d'influence dans la bande sahélienne, avec pour objectif non déclaré d'y affaiblir les alliés occidentaux et de concurrencer la présence marocaine». Le rapport, largement cité par La Vanguardia, ajoute : «Les connexions entre séparatistes et groupes terroristes sont désormais étayées par des preuves tangibles. Le Front Polisario n'est plus seulement un mouvement d'irrédentisme régional. Il s'est transformé, dans certaines de ses composantes, en vecteur actif de dissémination idéologique et militaire vers les foyers insurrectionnels du Sahel.» Il poursuit : «Plusieurs combattants sahraouis ont été identifiés dans les unités avancées du JNIM et de l'ISWAP. Ils y jouent un rôle de conseillers religieux, de formateurs voire de commandants de terrain. Cette mutation structurelle échappe encore à l'attention de certaines agences européennes, trop concentrées sur les trajectoires migratoires classiques.» En mai, le Washington Post a également révélé la présence dans les prisons syriennes de dizaines de sahraouis arrêtés alors qu'ils combattaient aux côtés du Hezbollah, en soutien au régime de Damas. L'article évoquait «un flux constant de combattants sahraouis depuis l'Afrique du Nord vers les théâtres de guerre moyen-orientaux», dont le retour en Afrique constitue désormais une menace directe pour la stabilité sahélienne. Routes migratoires et vulnérabilité européenne L'Italie, l'Espagne et la France s'inquiètent de plus en plus d'une possible utilisation des routes migratoires comme vecteur de pénétration djihadiste. Le camp de M'Berra, à la frontière mauritano-malienne, abrite plus de 200 000 personnes dans une précarité extrême. De nombreux migrants partent de là à bord de cayucos vers les îles Canaries, souvent au péril de leur vie. Selon une note du renseignement espagnol, «les filières du trafic d'êtres humains pourraient être aisément exploitées par les groupes armés pour projeter des éléments dormants vers le continent européen. Les autorités doivent anticiper cette permutation stratégique, qui passerait d'un contrôle territorial à une logique de dissémination transfrontalière». Les Fulanis – ou Peuls –, souvent enrôlés de force, représentent environ 75 % des effectifs du JNIM et 90 % de ceux de l'ISWAP. Persécutés, frappés par des représailles militaires, ils fuient en masse vers la Mauritanie, l'Algérie ou le Maroc. Une minorité d'entre eux est susceptible d'être instrumentalisée par les recruteurs djihadistes. Face à ces menaces, le Maroc apparaît comme l'un des rares Etats disposant d'un réseau de renseignement opérationnel et fiable dans le Sahel. Sa présence diplomatique continue, y compris dans des capitales soumises à des juntes militaires, lui permet de recueillir et de partager des informations précieuses. «La coopération avec Rabat constitue une clé de voûte de la stratégie antiterroriste euro-africaine. Son absence des mécanismes de sécurité collective en Afrique de l'Ouest affaiblit la résilience de l'ensemble régional face aux périls asymétriques», conclut le rapport du Center for the National Interest.