À l'occasion du Symposium économique africain (AES) tenu à Salé, le Policy Center for the New South (PCNS) a présenté, mardi, la sixième édition de son Rapport annuel sur l'économie de l'Afrique, ouvrage de référence dressant un état des lieux nuancé des trajectoires économiques du continent et des tensions croissantes liées à la fragmentation géopolitique mondiale. Le document, structuré autour de trois axes, examine les évolutions macro- et mésoéconomiques récentes, dresse un bilan du cheminement institutionnel des Communautés économiques régionales (CER), et propose une lecture critique des défis entourant la mise en œuvre des protocoles de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), notamment en matière de services, d'investissements et de marchés publics. Un continent face à la fragmentation mondiale Larabi Jaidi, Senior Fellow du PCNS, a souligné que «l'Afrique demeure confrontée à une recomposition du monde qui fragmente les sphères économiques autant qu'elle interroge les alliances anciennes». Selon lui, malgré cette dislocation, les chantiers continentaux tels que la ZLECAF «traduisent une volonté endogène d'articuler les souverainetés régionales autour de trajectoires collectives, malgré la diversité des appartenances géographiques, historiques et normatives». Il a mis en relief les évolutions internes à la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), à la fois comme socle institutionnel et comme théâtre d'une recomposition monétaire incertaine. Vers une architecture monétaire africaine plus autonome Mohammed Mikou, chef du service de la recherche financière à Bank Al-Maghrib, a consacré son intervention à l'architecture monétaire ouest-africaine. Evoquant les projets de monnaie unique (l'«Eco») et le Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS), il a salué «l'émergence d'un outillage technique destiné à rompre avec la dépendance aux devises tierces». Il a néanmoins rappelé que «la désintermédiation bancaire constitue un risque réel dans le déploiement mal maîtrisé des monnaies numériques de banque centrale (CBDC)», plaidant pour un encadrement contextuel, adapté aux équilibres institutionnels de chaque Etat. Le pari contrarié de l'industrialisation ouest-africaine De son côté, Eric Tévoedjré, professeur adjoint à l'université catholique de Lille, a livré une lecture sévère des entraves au développement industriel dans l'espace CEDEAO, soulignant «l'absence de culture coopérative, la faiblesse des infrastructures, et l'irrégularité de l'alimentation énergétique» comme freins majeurs à toute stratégie d'envergure. Il a néanmoins relevé que «la richesse en ressources naturelles, si elle se traduit en politiques concertées de transformation, peut devenir un socle de résilience industrielle et non une simple rente à répartir». Les travaux du symposium, rassemblant économistes, décideurs et chercheurs de tout le continent, se déroulent cette année sous le thème «Des choix audacieux face aux mutations mondiales». La publication du rapport annuel par le PCNS s'inscrit dans ce cycle d'échanges intellectuels où l'Afrique n'est plus abordée comme un enjeu périphérique mais comme sujet pensant d'un monde en recomposition.