Le Maroc, engagé de longue date dans l'harmonisation de ses services de navigation aérienne avec les standards européens, a conforté en 2024 plusieurs avancées décisives dans la gestion de son espace aérien. C'est ce que révèle le rapport annuel Local Single Sky Implementation Plus (LSSIP), publié par Eurocontrol, qui passe en revue les progrès techniques et réglementaires réalisés dans les Etats partenaires. Des fondations techniques désormais établies et pleinement fonctionnelles Parmi les réalisations majeures de l'année 2024, figure en tête le déploiement d'un nouveau système de traitement des données de surveillance (SDPS), permettant une meilleure fusion radar et un suivi plus fin des trajectoires. «Le déploiement du nouveau SDPS a constitué une réussite majeure en 2024», note le rapport, qui associe cet accomplissement à l'achèvement des objectifs SUR12 et ITY-SPI. En parallèle, la migration du centre de contrôle de Casablanca vers le réseau sécurisé New Pan-European Network Service (NewPENS – COM12) a été menée à terme. S'y ajoute la mise en service intégrale du protocole standardisé d'échange de messages de vol (Common Flight Message Transfer Protocol – ITY-FMTP), garantissant l'interopérabilité avec les unités de circulation aérienne voisines. Autre fait marquant : la réduction effective des séparations radar horizontales de 10 à 7 milles marins au sein des régions de contrôle terminales (CTA) de Casablanca et d'Agadir, opérationnelle depuis le 26 décembre 2024. Une reconfiguration progressive et méthodique de l'espace aérien national Le Maroc prépare activement l'instauration d'un espace à routes libres (Free Route Airspace – FRA), destiné à permettre des trajectoires plus efficientes en supprimant l'obligation d'emprunter des routes fixes. Le rapport précise que la première phase de mise en œuvre nocturne pour les survols interviendra en avril 2025 à Casablanca, suivie en novembre par une extension aux vols au départ et à l'arrivée. Agadir adoptera quant à lui un dispositif FRA permanent d'ici fin 2026. Cette reconfiguration repose également sur l'introduction du Flexible Use of Airspace (FUA) avancé, actuellement en cours de mise en place, l'installation de deux radars secondaires à Casablanca attendus pour mars 2025, la progression du CPDLC (liaison de données entre contrôleurs et pilotes), ainsi que l'ajout d'un cinquième secteur de contrôle à l'ACC de Casablanca dès 2026. Une étude CAPAN de réévaluation des capacités sectorielles, dont la publication est prévue pour le printemps 2025, doit appuyer cette démarche en fournissant des données actualisées sur la charge admissible des unités de contrôle. Un trafic aérien en expansion maîtrisée malgré les contraintes structurelles Le volume de trafic dans l'espace aérien marocain a progressé de 11 % en 2024 par rapport à l'année précédente, atteignant 120 % du niveau de 2019. Le centre de contrôle de Casablanca affiche un taux d'occupation moyen de 73 % durant l'été, avec un retard par vol extrêmement faible (0,04 minute). «94 % des retards constatés sont dus à la capacité ATC, 6 % aux conditions météorologiques», précise le rapport. Agadir présente un bilan encore plus favorable, avec un retard moyen de 0,01 minute et une progression annuelle de trafic de 11 %. Là aussi, «100 % des retards constatés sont liés à la capacité ATC». Les projections établies par EUROCONTROL entre 2025 et 2029 tablent sur une croissance annuelle moyenne du trafic comprise entre 1,1 % et 5,2 %, selon les scénarios. Aucun goulet d'étranglement n'est toutefois anticipé, les mesures programmées (secteurs additionnels, contrôleurs recrutés, renforcement technique) étant jugées suffisantes. Les ressources humaines sont au cœur de cette montée en capacité : un total de 23 contrôleurs aériens doit être recruté en 2025, répartis entre les centres de Casablanca et Agadir. Le plan prévisionnel prévoit l'ajout progressif d'au moins 6 à 8 agents supplémentaires par an d'ici 2029. Des objectifs européens diversement réalisés selon les domaines Le rapport fournit une évaluation détaillée de 137 objectifs techniques relevant du plan directeur ATM européen (Master Plan). Plusieurs d'entre eux ont été pleinement atteints : c'est le cas des fonctions de sécurité (ATC02.2 à ATC12.1.4), du respect des normes TCAS II (ITY-ACAS), de la transition vers la VoIP dans les communications en route et terminal (COM11.1 et COM11.2), ainsi que de la migration vers AMHS (COM10.1). D'autres volets sont en progression : les services de liaison de données air-sol (ITY-AGDL) atteignent 34 % de maturité. La gestion tactique des flux (FCM01) est réalisée à 60 %, le plan de vol collaboratif (FCM03) à 43 %. L'exploitation des routes directes (AOM21.1) est complète (100 %), tandis que la transition vers le FRA initial (AOM21.2) atteint 49 %. Toutefois, de nombreuses composantes restent embryonnaires ou non encore planifiées. Ainsi, l'AMAN étendu (ATC15.2), la gestion de séquence au départ (AOP19), l'aide à la détection de conflit en approche terminale (ATC26), l'intégration AOP/NOP (FCM11.2), l'assistance automatisée au sol (AOP13), ou encore la gestion d'aérodrome par Remote Tower (AOP14.1) n'enregistrent aucun avancement mesurable. Les aéroports accusent un retard marqué sur les systèmes collaboratifs et au sol Les projets de modernisation des plateformes aéroportuaires marocaines progressent de manière hétérogène. À l'aéroport Mohammed-V de Casablanca, la mise en œuvre de l'approche RNAV 1 atteint 84 %, celle des procédures RNP aux instruments 61 %, et les descentes continues (CDO) 53 %. À Marrakech, ces taux s'établissent respectivement à 77 %, 66 % et 0 %. En revanche, le dispositif Airport Collaborative Decision Making (A-CDM) reste peu avancé : il atteint seulement 4 % à Casablanca et 3 % à Marrakech. Les autres services d'assistance au sol (A-SMGCS, Runway Monitoring, outils de séparation fondés sur le temps ou la turbulence de sillage) ne sont pas engagés à ce jour. Aucun progrès n'a été observé concernant les fonctions de planification des départs, d'affichage dynamique de capacité, de gestion d'événements ou d'alerte sécurité sur piste (AOP17, AOP18, AOP21, AOP23, AOP25). Le Maroc n'a pas encore déployé les services SWIM prévus dans le volet System Wide Information Management (INF10.x). Un encadrement institutionnel structuré mais appelé à évoluer Le dispositif national s'articule autour de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), placée sous l'autorité du ministère du Transport. Celle-ci assure la régulation, la supervision, la certification, la planification aéroportuaire et la coordination internationale. Elle se divise en deux directions : la Direction de l'aéronautique civile (DAC) et la Direction du transport aérien (DTA). Le fournisseur de services de navigation aérienne est l'Office national des aéroports (ONDA), établissement public autonome chargé de la gestion des FIR marocains et des installations aéroportuaires. Le système météorologique repose sur la Direction générale de la météorologie (DGM). Le rapport mentionne que «le Royaume du Maroc est pleinement intégré à Eurocontrol depuis 1996» et bénéficie d'un statut d'Etat à accord complet depuis 2016. Des coopérations sont en cours de consolidation avec les centres de contrôle de Las Palmas et Lisbonne. Le groupe AEFMP (Algérie, Espagne, France, Maroc, Portugal) demeure le principal cadre de coordination technique. Une trajectoire prometteuse qui nécessite des arbitrages soutenus À l'issue de cette évaluation, le rapport LSSIP 2024 esquisse les contours d'un système national robuste, pourvu des éléments techniques indispensables, mais dont l'exploitation demeure partielle. Les réalisations en matière de connectivité, de surveillance et de traitement radar sont achevées. Toutefois, les mécanismes collaboratifs, la gouvernance de la capacité, l'exploitation de données partagées et la performance environnementale n'ont pas encore atteint leur pleine expression. Les prochaines années s'annoncent décisives, croit savoir la même source. L'achèvement du Free Route Airspace, la formation continue des contrôleurs, la transition vers un système ATM numérique ouvert et l'intégration aux flux euro-méditerranéens constituent les points cardinaux d'un espace aérien moderne, sûr et efficient.