Dans son enquête publiée par Le Point (n° 2768, 14 août 2025, pp. 30-32), le journaliste Farid Alilat décrit avec précision le destin de la communauté kabyle en France, partagée entre ferveur culturelle et inquiétude politique. Les témoignages recueillis disent la peur d'être associés au MAK (Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie), classé comme organisation terroriste par Alger depuis 2021, et la crainte de représailles au simple motif d'une expression identitaire. Depuis mai 2021, rappelle Le Point, le régime algérien a placé le MAK sur la liste des organisations terroristes. De ce fait, nombre de Franco-Kabyles craignent d'être assimilés à cette mouvance, même lorsqu'ils participent à des activités culturelles ou à des rassemblements pacifiques. L'article rapporte cette inquiétude par la voix d'Akli, cadre à la RATP et militant associatif : «On a peur d'être catalogués comme militants du MAK juste pour avoir participé à une marche entre République et Bastille.» Menaces et répression Les conséquences vont au-delà des frontières françaises. Plusieurs Franco-Kabyles redoutent désormais de se rendre en Algérie. Lynda, consultante originaire du Val-de-Marne, confie : «Ils sont capables de m'arrêter ou de me coller une interdiction de sortie du territoire. J'ai passé un sale quart d'heure à l'aéroport où un policier croyait que je ne parlais pas arabe.» Selon Le Point, cette angoisse a conduit Mme Lynda à renoncer à son voyage estival en Algérie. Le climat est si pesant que même des gestes anodins – brandir un drapeau amazigh, écrire un message sur les réseaux sociaux – peuvent, selon l'article, exposer à des accusations de séparatisme. Jugurtha, militant de l'Association des jeunes kabyles de France, décrit ce qu'il appelle une stratégie de précaution : «Dans un passé récent, on brandissait que le drapeau kabyle dans les marches et les manifestations. Aujourd'hui, on voit apparaître des drapeaux algériens et même palestiniens. C'est avant tout la peur qui nous amène à montrer qu'on est patriotes, nationalistes, et surtout sans aucune attache avec le MAK.» Une communauté sous l'œil d'Alger Le Point cite d'autres témoins qui dénoncent une surveillance sourde et constante. Micipsa, jeune Franco-Kabyle, raconte : «J'ai hérité de mes ancêtres des villages accrochés aux montagnes, des maisons en pierres centenaires. Mais il y avait chez eux de la peur, une gêne et de l'embarras à revendiquer et à assumer ouvertement leur identité.» Cette peur, jadis diffuse, se transforme aujourd'hui en menace tangible. Toujours selon l'article, des Algériens sont envoyés en prison pour un simple commentaire sur les réseaux sociaux. Une phrase résume ce climat : «Le régime algérien envoie des gens en prison pour un simple commentaire.» M. Micipsa insiste sur l'importance de transmettre malgré tout : «Ma grande fierté est d'avoir fait découvrir à mes enfants ces ancêtres et ces racines lors d'un voyage en Kabylie.» Ces paroles traduisent la tension entre l'héritage revendiqué et le risque d'en subir les conséquences politiques. Hommage à Matoub Lounès Si la peur hante les esprits, la ferveur culturelle ne faiblit pas. Le 6 juillet dernier, malgré «la pluie fine qui tombe par intermittence», plusieurs centaines de personnes se sont réunies dans le gymnase Jean-Jaurès du 19e arrondissement de Paris pour honorer Matoub Lounès, chanteur kabyle assassiné en 1998 par un groupe armé. Femmes vêtues de robes traditionnelles, hommes, enfants, anciens et personnes en fauteuil roulant se sont pressés dans la salle décorée de drapeaux berbères bleu, vert et jaune. Une banderole proclamait : «Assa azeqqa, Matoub yella yella» – aujourd'hui comme demain, Matoub est et sera. Des chants kabyles et des youyous de femmes ont ponctué la cérémonie. Selon Le Point, François Dagnaud, maire socialiste du 19e arrondissement, a ouvert la rencontre par ces mots : «Nous allons ouvrir prochainement un centre culturel franco-berbère à Paris.» L'annonce a été saluée par une ovation nourrie. Pour beaucoup de présents, cette décision symbolise une reconnaissance officielle longtemps attendue. Identités tissées Le reportage met en avant la trajectoire d'Akli, cadre à la RATP et père de deux enfants. Issu d'une famille où se sont mêlées Normandie et Kabylie, il résume : «Je suis un enfant de ces tissages identitaires, linguistiques et culturels, de ces brassages qui ont duré des décennies et qui continuent aujourd'hui. Je suis kabyle, algérien et français à la fois.» Chez lui, raconte-t-il, les langues s'enchevêtrent : «On passe d'une langue à une autre. Je suis pleinement ancré dans la société française et j'ai emporté un morceau de Kabylie chez moi.» M. Akli insiste sur la liberté que lui offre son pays d'accueil : «Je fais ici ce que je ne pouvais pas faire en Algérie.» À travers son engagement associatif, il se sent en mesure de valoriser sa culture et de transmettre à ses enfants un double héritage. Le rôle du sport et de la JSK En 2020, M. Akli fonde avec des amis l'Amicale internationale des supporters de la JSK (Jeunesse sportive de Kabylie), club mythique surnommé «Les Canaris». Pour la diaspora, ce club est bien plus qu'une équipe : «La JSK est le porte-voix de notre identité.» Cette amicale collecte des fonds, finance les déplacements de l'équipe et mobilise la diaspora. L'article précise qu'elle a permis de couvrir le voyage de la JSK au Bénin pour une finale de Coupe d'Afrique. Un projet avait même envisagé l'achat d'un complexe sportif dans les Vosges, avec l'appui d'anciennes figures comme Mustapha Dahleb et Smail Zidane. Une solidarité sans frontières La solidarité s'exprime aussi dans les crises. Lors de la pandémie de Covid-19, les réseaux associatifs ont organisé des collectes de fonds, avec le concours de DJ Snake, permettant l'envoi de dizaines de concentrateurs d'oxygène vers la Kabylie. Lors des incendies meurtriers d'août 2021, trois conteneurs de médicaments ont été expédiés depuis la France. M. Akli résume cette mobilisation : «C'est un élan de solidarité indispensable, une façon de rendre à cette terre ce qu'elle nous a donné.» Transmission et reconnaissance en France Le Point rapporte aussi le témoignage de Mme Lynda, consultante, dont la mère avait quitté l'Algérie en 1959. Elle rappelle que, pour cette génération, il y avait «de la peur, une gêne et de l'embarras à revendiquer et à assumer ouvertement leur identité.» Aujourd'hui, la situation est différente : «Ce n'est plus le cas aujourd'hui grâce à l'immense travail fait par les associations auprès de notre communauté et auprès des Français.» Elle se réjouit de voir le Yennayer, nouvel an berbère, célébré officiellement à Paris, ou encore une rue de la capitale baptisée du nom de Matoub Lounès. Mme Lynda conclut : «J'ai planté mes racines comme on plante un olivier et érigé mes montagnes dans ce coin du Val-de-Marne.» L'enquête de Farid Alilat, publiée par Le Point, évoque une communauté kabyle de France riche de sa culture et solidaire de ses racines, mais aussi hantée par la peur d'un régime qui guette le moindre signe de dissidence. À travers les récits de M. Akli, de Mme Lynda, de Jugurtha ou de M. Micipsa, se dessine une réalité complexe : une diaspora célébrant ses héros et ses traditions à Paris, tout en craignant d'être suspectée dès qu'elle franchit la Méditerranée. «Le régime algérien envoie des gens en prison pour un simple commentaire», rappelle l'article, soulignant la fragilité de cette identité assumée. La mémoire de Matoub Lounès, elle, reste un repère intangible, résumé par la devise scandée à Paris : «Assa azeqqa, Matoub yella yella.»