À Abidjan, le président de la BAD a fait son bilan. Dans une Afrique de défis et un contexte international particulier, le nouveau président de la BAD réussira-t-il à opérer les réformes nécessaires ? Portée par des figures visionnaires comme Kwame Nkrumah, la BAD, dans son essence, ne devait pas être qu'un simple prêteur d'argent. Elle se voulait être un acteur intellectuel, un laboratoire d'idées pour modeler les prémisses d'une Afrique qui a les moyens de réussir sa transformation dans le concert des nations. Six décennies plus tard, à Abidjan, lors de ces assemblées annuelles, cette ambition résonne encore dans l'imaginaire collectif. Débouchant sur un renouvellement de ses instances de gouvernance, beaucoup attendent une réforme de la BAD. Si les chiffres globaux des financements décaissés par la Banque pendant dix ans ne sont pas encore disponibles, et que certaines critiques émergent autour de la concrétisation de certains projets, en attendant, par la voix de son président sortant, l'institution défend un bilan reluisant avec ses réalisations dans plusieurs domaines, dont l'agriculture – pour construire la sécurité et la souveraineté alimentaires du continent –, les infrastructures en tout genre – pour favoriser la circulation des biens et des personnes –, ou encore l'énergie. Fuite des capitaux, difficultés de mobilisation financière, absence de doctrine : le navire BAD fait face à des défis. Lire aussi | Le Maroc a accompli « des avancées majeures », assure le président de la BAD « La dynamique mondiale actuelle et son évolution soulignent plus que jamais que la dépendance extérieure n'est pas une bonne stratégie de développement », indique Akinwumi Adesina dans les Perspectives 2025 de la Banque africaine de développement (BAD). Selon ce rapport, l'Afrique pourrait mobiliser chaque année 1 430 milliards de dollars supplémentaires en ressources domestiques à partir de ses diverses formes de capital – fiscal, naturel, financier, commercial et humain – afin d'accélérer une croissance inclusive et durable. « Ce montant dépasse le déficit de financement annuel de l'Afrique, estimé à 1 300 milliards de dollars, pour atteindre les objectifs de développement durable d'ici à 2030 », indique le rapport. Contacté par Challenge, l'économiste Mehdi Fakkir précise : « Aujourd'hui, l'on ne peut occulter la réalité institutionnelle de la BAD. Cette réforme, pour l'heure, ne peut se faire car les ingrédients ne sont pas réunis. » L'Afrique, qui a besoin de capitaux, perd pourtant 587 milliards $ Alors que les Etats-Unis ont sonné l'heure du repli avec la fin des aides au développement, l'Afrique devra, plus que jamais, compter sur ses propres forces pour financer sa croissance. Pour Kevin Chika Urama, économiste en chef et vice-président de la Banque africaine de développement, la grosse manne financière qui échappe au continent pourrait être un véritable levier d'auto-financement. Selon des chiffres de 2022, l'Afrique perdait plus de 587 milliards de dollars par an en raison de la fuite des capitaux. Dans le détail, ces capitaux perdus proviennent entre autres des flux financiers illicites, des transferts irréguliers de bénéfices par les multinationales, qui exportent jusqu'à 275 milliards de dollars, constituant ainsi la source de fuite de capitaux la plus significative sur le continent. Lire aussi | BAD-Maroc : une revue de la performance du portefeuille pour optimiser 2,9 Md€ d'investissements structurants Des sommes qui pourraient être en partie « canalisées vers l'investissement dans des secteurs favorisant la croissance [notamment les infrastructures], ce qui augmenterait encore les exportations et les réserves », dans un « cercle vertueux », plaide la BAD. Un contexte international pesant Le monde est aujourd'hui plongé dans un contexte économique particulier, marqué par des instabilités et des incertitudes accentuées par la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, et qui ne laisse pas en reste les autres régions du monde, y compris l'Afrique. Les institutions du continent, comme la BAD, sont prises en plein vortex. Lors d'une récente conférence de presse, le secrétaire général de la BAD, Vincent Nmehielle, a mis en évidence le mindset actuel de la Banque. « Nous avons peut-être l'opportunité de tracer notre propre voie », a-t-il déclaré, soulignant les atouts du continent tels que son capital humain, naturel et commercial, ainsi que l'appui de ses partenaires. Le prochain président de la BAD devra, en tout cas, composer avec toutes ces réalités.