L'offensive israélienne ciblant récemment les installations sensibles du régime iranien ne relève pas d'un simple réflexe de sécurité ou de prévention nucléaire. Elle s'inscrit, selon l'analyste géopolitique Hicham Mouatadid, dans une dynamique beaucoup plus profonde : celle d'une tentative d'ingénierie stratégique visant à remodeler l'ordre régional au Moyen-Orient. Entre guerre psychologique, recomposition des alliances et retour des logiques de blocs, cette opération militaire pourrait bien marquer le début d'un cycle de déstabilisation aux ramifications globales. Joint par Hespress FR, Hicham Mouatadid souligne que la frappe israélienne ne peut être interprétée uniquement à l'aune de la lutte contre la prolifération nucléaire. Elle répond à une vision élargie : affaiblir durablement les fondements idéologiques, militaires et symboliques du régime iranien. En ciblant les hauts gradés du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC) – véritable colonne vertébrale du pouvoir clérical iranien – Tel-Aviv semble viser bien plus qu'un simple objectif tactique. L'objectif : provoquer une faille dans la cohésion interne du régime entre les institutions sécuritaires, l'armée régulière et la population civile. Cette offensive est donc à lire comme un pari stratégique risqué mais calculé : désarticuler la structure du pouvoir en misant sur des vulnérabilités sociales et politiques internes. C'est dans cette logique qu'il faut comprendre l'invocation, par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, du slogan « Femme, vie, liberté ». Il ne s'agit pas d'un geste rhétorique, mais d'un levier de guerre cognitive, destiné à réactiver les traumatismes collectifs et à amplifier le fossé entre gouvernés et gouvernants. Au-delà de la symbolique et des objectifs internes, le véritable basculement pourrait survenir dans l'arène régionale. Le risque, selon l'analyste, est que l'Iran réponde non pas frontalement, mais en activant son réseau d'alliés non étatiques : le Hezbollah libanais, les Houthis yéménites, les milices chiites opérant en Irak et en Syrie. Ce maillage de forces asymétriques – déjà bien rodé dans le cadre du "croissant chiite" – offre à Téhéran une profondeur stratégique et une capacité de nuisance redoutable, capable d'étendre la conflictualité à plusieurs fronts simultanément. Dans un tel scénario, le conflit deviendrait asymétrique, éclaté et déterritorialisé, brouillant les lignes classiques de front et compliquant toute réponse militaire conventionnelle. La Méditerranée orientale, le Golfe et même la mer Rouge pourraient alors devenir les nouveaux théâtres d'une guerre hybride aux multiples visages. Pour Washington, la situation est d'une extrême complexité. L'administration américaine, traditionnellement alignée sur la doctrine de sécurité israélienne, est désormais confrontée à un dilemme stratégique : soutenir son allié régional tout en évitant une confrontation directe avec l'Iran, qui pourrait dégénérer en conflit par procuration avec la Russie. En effet, bien que focalisée sur le front ukrainien, Moscou garde un œil attentif sur le Moyen-Orient, région dans laquelle elle a investi massivement ces dernières années – notamment en Syrie, mais aussi via des partenariats énergétiques avec l'Iran. Toute implication accrue des États-Unis pourrait ainsi réactiver la logique du contrepoids russo-iranien, inscrivant ce conflit dans une dynamique de guerre froide réactualisée. Face à cette montée en tension, les instruments traditionnels de régulation des crises apparaissent inopérants. Le Conseil de sécurité des Nations Unies est paralysé par les vétos croisés des grandes puissances, tandis que les organisations régionales – à commencer par la Ligue arabe – peinent à incarner une médiation crédible. Cette absence de pare-feu diplomatique ouvre la voie à des initiatives bilatérales fondées sur les rapports de force et les intérêts immédiats. Ce vide stratégique est particulièrement préoccupant dans un Levant nucléarisé, fragmenté, et traversé de lignes de fracture confessionnelles, où les équilibres sont précaires et la moindre provocation peut servir de catalyseur à une déflagration. Dans ce nouveau laboratoire géostratégique, chaque puissance joue ses cartes. Pour les États-Unis, il s'agit de contenir l'Iran, de sécuriser le marché pétrolier, et de renforcer l'axe israélo-golfe pour faire face aux menaces transversales. Pour la Russie, ce conflit représente l'opportunité de réaffirmer son rôle international, de gêner les intérêts occidentaux par effet de levier iranien, et de conserver ses positions au Levant. Quant à la Chine, elle adopte une stratégie plus subtile et silencieuse. Pékin, très dépendant des ressources énergétiques du Golfe, cherche à préserver ses intérêts économiques tout en capitalisant sur le désengagement occidental. Son ambition semble être celle d'un médiateur alternatif, capable de proposer une approche diplomatique non alignée face à la militarisation croissante des enjeux régionaux. Si le conflit devait s'élargir, la Chine serait contrainte d'ajuster sa posture pour protéger ses routes énergétiques et sa réputation de puissance pacificatrice. Au terme de cette analyse, une certitude se dégage : la question n'est plus de savoir si un embrasement global est possible, mais à quel moment les puissances concernées jugeront que l'inaction devient plus coûteuse que l'engagement. Car au fond, une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie sur le sol moyen-oriental n'est plus une hypothèse académique. Elle constitue un scénario latent, activable à tout moment, dès lors que l'Iran vacillerait ou que certaines lignes rouges géostratégiques seraient franchies. Dans ce climat d'incertitude généralisée, l'équilibre mondial semble suspendu au moindre signal de rupture.