Elles répondent aux besoins d'informations formulés tant par les organismes financiers que les actionnaires et fournisseurs de l'entreprise. Elles rapprochent la comptabilité de la réalité économique. Mais entre la «juste valeur» et les nombreuses options prévues, d'aucuns craignent l'introduction de plus de volatilité dans la présentation de l'information financière. C'est en 2001 et 2002 que les failles du système financier international ont été mises à nu, avec notamment la multiplication des scandales financiers (Enron, Worldcom…). A la suite de ces scandales, il était donc devenu urgent pour les régulateurs de fixer des règles et principes clairs et homogènes permettant d'agréger des comptes émanant d'entreprises basées dans différents pays suivant un même référentiel. Il s'agissait ainsi de rechercher à harmoniser les règles dans le cadre d'un processus de consolidation où l'on intègre, sous un même chapeau, des comptes établis suivant différents référentiels nationaux. C'est dans ce cadre qu'ont été adoptées, en Europe, les normes IFRS (International Financial Reporting Standards) pour les groupes cotés et les entités entrant dans le périmètre de ces groupes. Bien entendu, l'Union européenne étant l'un des premiers partenaires économiques des pays africains, il était normal que ces normes soient également progressivement adoptées comme standard d'un pays comme le Maroc. Les premières entreprises marocaines qui ont publié leurs comptes en adoptant les normes IFRS sont les filiales de groupes étrangers. Maroc Telecom a ainsi été la première société à s'inscrire dans cette voie, du fait notamment de sa double cotation dans les places casablancaise et parisienne. Les comptes au titre du premier semestre 2005 ont ainsi été établis pour la première fois selon les normes IFRS. Les normes IFRS, à travers les nouvelles règles de consolidation qu'elles impliquent, ainsi que la prééminence de la réalité économique sur l'apparence qu'elles mettent en avant, rendent l'information sur le Groupe plus transparente et plus pertinente. Cette information reflète encore mieux la cohérence de la stratégie d'ensemble ou encore les synergies dégagées. La mise en œuvre des normes IFRS permet donc à ces sociétés cotées de neutraliser les effets déformants du morcellement provoqué par l'existence, dans un même groupe, d'une pluralité de sociétés jouissant juridiquement d'une autonomie patrimoniale (et soumis à des référentiels différents). Ce qui permet donc de rétablir ainsi une certaine réalité économique, tout en donnant aux investisseurs en Bourse par exemple une meilleure visibilité à propos de la vraie valeur économique de l'entreprise. La qualité de l'information comptable est donc devenue un enjeu fondamental pour les économies de marché. Revue des règles comptables Grâce aux normes IFRS, les informations fournies par les groupes cotés à la Bourse de Casablanca sont non seulement plus abondantes, mais elles ont également fait un saut qualitatif important. Si ces groupes ont choisi d'être transparents en s'introduisant en Bourse, les normes IFRS les confortent dans ce sens, au regard de la multiplicité des informations fournies. Dans ce cadre, l'un des grands apports de la mise en place des normes IFRS a été la revue de l'ensemble des règles et principes comptables de l'entreprise. Ainsi, relève Abdou Diop, expert-comptable, associé-directeur au cabinet Mazars, «les méthodes de provisions ont été revues; elles ont fait l'objet d'une analyse détaillée et certaines provisions forfaitaires non admises en normes IFRS, ont dû être annulées ». «Par ailleurs, des engagements à long terme de l'entreprise, qui n'étaient pas provisionnés, ont dû être évalués et constatés dans les comptes (retraites, fin de carrière, médailles du travail, avantages postérieurs à l'emploi, etc), tandis que pour les immobilisations, les entreprises ont dû réfléchir sur les durées d'utilité ainsi que leur décomposition et les plans de maintenance préventive», poursuit-il, et d'ajouter, dans le même sens, que pour effectuer les tests de dépréciation (impairment test), il a fallu se poser des questions sur des valeurs d'utilité ou de marché des actifs et sur les besoins de provisions». Bien entendu, ces différentes règles revisitées ont donné lieu, conformément aux exigences des normes IFRS, à une explication détaillée des méthodes retenues dans les notes annexes, ce qui a pour effet de renforcer la transparence de l'information financière. «Plus globalement, en poussant à revisiter les règles, en rendant la lecture des états financiers plus économiques, en exigeant une bonne description des règles et principes comptables dans les annexes, les normes IFRS ont forcément amélioré la qualité de l'information financière ainsi que leur transparence, et ceci, malgré les critiques qu'on peut faire à la place laissée aux options. En effet, dans la pratique, on se rend compte que pour l'application des règles offrant plusieurs options, des positions de place se dégagent et limitent l'incidence de ces options. Ces positions de place renforcent par ailleurs la comparabilité des états financiers présentés par les entreprises d'un secteur», précise Diop. Et pour les entreprises cotées sur des places financières internationales ou ayant recours à des marchés financiers extérieurs, le passage aux IFRS a également permis de présenter des comptes selon un référentiel reconnu et accepté par ces différentes places. Au-delà de la crédibilité que cela pourrait procurer à leurs états financiers, l'adoption des IFRS leur a permis de présenter des états financiers plus facilement comparables. Remise en question Aujourd'hui, pratiquement 6 ans après leur adoption, la question de la pertinence des normes IFRS et leur apport pour le marché financier marocain se pose avec acuité. Selon Abdou Diop, «un tel débat se pose au niveau de la place financière où la nécessaire mise en place de ces normes n'est pas toujours perçue comme une évolution positive. Certains dirigeants sont encore sceptiques quant à la faculté des nouvelles normes à faciliter les comparaisons des états financiers ou à l'introduction de plus de transparence». «D'autres craignent, avec l'adoption de la «juste valeur» et les nombreuses options prévues dans les normes, l'introduction de plus de volatilité dans la présentation de l'information financière», poursuit-il, non sans préciser que «s'il y a un consensus sur le fait que les normes IFRS rapprochent la comptabilité de la réalité économique, beaucoup dénoncent la complexité des normes et, ipso facto, la quantité de travail exigée pour leur mise en œuvre rigoureuse». En cela, les professionnels attendent beaucoup des interprétations de l'IFRIC (International Financial Reporting?Interpretations Committee), lequel, pour rappel, élabore des interprétations des IFRS pour assurer une application homogène de ces normes, y apporter des précisions et trouver des solutions pratiques. Cela, en plus des pratiques de place, permettrait notamment de réduire les larges possibilités d'interprétation offertes aujourd'hui par les normes. Il reste à relever, en définitive, que ces normes n'ont pas changé le mode de gestion des opérations financières de l'entreprise et les investisseurs du marché financier marocain n'ont pas eu de changement de comportement suite à la publication de comptes consolidés des sociétés cotées ayant opté pour les IFRS. Pour Abdou Diop, c'est clair : «les IFRS, qui ont voulu introduire plus de transparence, fiabilité et comparabilité, n'ont pas révolutionné le marché». Ce qui le pousse à poser trois questions pertinentes : Les investisseurs au Maroc se fient-ils réellement aux états de synthèse publiés pour orienter leurs décisions d'investissement ? Quelle est la réelle incidence de la publication en IFRS sur les recommandations des sociétés de Bourse et analystes financiers de la place casablancaise ? Les acteurs du marché sont-ils réellement outillés pour comprendre les subtilités introduites par les IFRS ? Le débat est ouvert.