Dans les couloirs de l'Université Mohammed V, l'annonce fait grincer des dents. À partir du 1er juillet, prendre le tram coûtera plus cher. Beaucoup plus cher pour certains. Alors que Nada glisse machinalement sa carte d'abonnement dans son portefeuille usé, elle fait mentalement ses comptes : « Dix dirhams de plus par semaine, ça peut paraître dérisoire, mais quand on survit avec 1.500 dirhams par mois, chaque centime compte ». La nouvelle grille tarifaire dévoilée par Transdev ne passe décidément pas. Le ticket unitaire bondit de 6 à 7 dirhams – soit une envolée de 16,7 % qui fait mal au portefeuille des usagers quotidiens. Mais c'est surtout l'augmentation de l'abonnement étudiant « Irtiah Talib » qui cristallise les frustrations : de 150 à 160 dirhams mensuels, une hausse qui peut sembler symbolique mais qui pèse lourd dans le budget déjà serré des moins de 26 ans. « On nous demande d'être écoresponsables, de délaisser nos voitures au profit des transports collectifs, et en parallèle, on nous pénalise financièrement », s'insurge Omar, étudiant à l'ISTA. Ce jeune homme de 22 ans effectue quotidiennement le trajet Témara-Rabat, un aller-retour de plus d'une heure qui rythme ses journées depuis trois ans. « Le tram, c'est notre ligne de vie. Sans lui, impossible de suivre les cours, de décrocher un stage ou même d'avoir une vie sociale digne de ce nom ». La réalité des campus marocains, c'est celle d'une jeunesse en quête d'ascension sociale mais confrontée à des contraintes budgétaires de plus en plus serrées. Entre les frais de logement qui flambent – comptez minimum 2.000 dirhams pour une chambrette décente à Rabat –, l'alimentation, les fournitures scolaires et les loisirs réduits à leur plus simple expression, l'équation devient vite intenable. « Mes parents m'envoient 2.000 dirhams par mois depuis Fès. Avec 160 dirhams d'abonnement tram, ça fait 8 % de mon budget mensuel juste pour me déplacer », calcule Farah, étudiante en journalisme. Une proportion qui peut sembler raisonnable sur le papier, mais qui, additionnée aux autres postes de dépenses incompressibles, grignote dangereusement les finances familiales déjà tendues. Du côté de Transdev, on met en avant les réalités économiques : hausse des coûts énergétiques, inflation sur les pièces détachées, revalorisation salariale du personnel. Des arguments recevables dans un contexte d'envolée généralisée des prix, mais qui peinent à convaincre une population étudiante déjà échaudée par les difficultés du quotidien. L'exploitant introduit également de nouveaux services, comme l'offre « tram + parking » à 14 dirhams, ciblant une clientèle plus aisée capable de posséder un véhicule personnel. Une stratégie de diversification qui interroge : le tramway tend-il vers un modèle à plusieurs vitesses ? Inauguré en grande pompe en 2011, le tram de Rabat-Salé était présenté comme un vecteur d'égalité territoriale et sociale. Ses deux lignes structurantes – Karima/Cité universitaire et Moulay Abdellah/Yaâcoub El Mansour – ont effectivement révolutionné les déplacements urbains, offrant une alternative crédible à la voiture individuelle et aux transports informels. Mais cette success story risque de connaître un coup d'arrêt. Car au-delà des chiffres, c'est toute une philosophie de service public qui est questionnée. Comment concilier impératifs de rentabilité et mission d'intérêt général ? Comment maintenir l'accessibilité d'un service essentiel sans compromettre son équilibre financier ? Pour les milliers d'étudiants qui empruntent quotidiennement ces rames bleu et blanc, l'enjeu dépasse la simple considération tarifaire. C'est leur droit à la mobilité, et in fine à l'éducation, qui se joue dans cette équation économique de plus en plus complexe.