Après la mort de Qassem Soleimani, l'homme fort iranien du Moyen-Orient, par les forces américaines l'ayant éliminé dans une opération militaire assistée par drone, le spectre d'une vengeance a été agité de la part de Téhéran. Pourquoi une opération aussi inattendue de la part de Washington ? Et quelles réelles implications aura cette attaque ? Pour répondre à ces questions, Hespress FR a joint Mohammed Benhamou, expert international sur les questions de sécurité et de terrorisme. Aussitôt l'attaque américaine annoncée, les alliés chiites des Iraniens dans le Moyen-Orient et l'Iran lui-même se retrouvent dans l'obligation de riposter à la hauteur de la perte engendrée et subie. Celle d'un haut gradé militaire qui était la tête pensante des opérations militaires officiellement iraniennes et des actions des alliés dans la région du Moyen Orient depuis de nombreuses années. Mais, malgré que l'Iran ne cache pas être scandalisée et promet des représailles militaires face à cette attaque américaine d'une rare ampleur qui fait suite aux débordements au sein de l'ambassade américaine en Irak et la perte d'un ressortissant lors d'une attaque, l'armée iranienne ne saurait faire le poids contre les Etats-Unis. « Cette liquidation physique du général Soleimani intervient au moment où les Etats-Unis ont essuyé quelques attaques qui ont touché leurs intérêts. La dernière en date est celle de l'ambassade américaine en Irak. A côté de cela on a l'assassinat d'un citoyen américain », avance notre interlocuteur. Et d'ajouter que cette attaque visant le général iranien n'était pas attendue. « C'était le stratège du Guide suprême dans son action à l'international », a-t-il affirmé en référence au garant des intérêts iraniens en Irak. « Il est surtout l'artisan de l'ensemble des actions iraniennes non seulement en Irak mais aussi en Syrie et au Liban et même au-delà », nous dit-il. Concernant cette attaque aérienne qui l'a visé directement après que les Américains aient pris connaissance des déplacements du cortège, l'expert affirme que les véhicules du cortège ont été visés d'une manière « volontaire » rappelant qu'il s'agit d'une décision du président américain Donald Trump. Les américains se préparent à la riposte « C'est un gros poisson qui a été visé. Maintenant quelles vont être les conséquences ? L'Iran a promis une vengeance, le Hezbollah aussi », poursuit Mohammed Benhamou, rappelant qu'il est impossible de savoir à l'heure actuelle « qui va être ciblé ». Néanmoins, les Américains s'attendent à une riposte et cela se traduit par l'envoi de militaires en renfort dans la région du Moyen-Orient. « Beaucoup d'opérations seront mises en place », assure le politologue. « Cette attaque ne semble pas avoir été préparée à l'avance, elle est qualifiée par certains d'une opération opportuniste », fait-il remarquer, notant que la mise en place d'une opération militaire de cette envergure visant un homme du rang et du calibre de Qassem Soleimani aurait supposé l'évacuation au préalable des citoyens américains. Et de fait, estime-t-il, «les Américains doivent surtout veiller à leurs intérêts et se considérer comme une cible, en ce sens qu'il y a des ressortissants américains dans la région, notamment au Liban et des intérêts stratégiques essentiellement la flotte américaine dans le Golfe« . Quelle menace de la part de l'Iran? « On voit que les Iraniens ont quelques possibilités. La première est représentée par les milices et l'ensemble des partisans chiites qui peuvent lancer des assauts contre les ambassades. Ça peut se traduire par des attaques contre les ressortissants ou les intérêts américains », explique encore Benhammou, qui précise que sur le plan militaire, « on pourrait voir le recours au drones comme on l'a vu avec les attaques en Arabie Saoudite, certains missiles en direction des navires américains… ». « Qassem Soleimani reste un grand artisan et un pilier de l'armée iranienne, durant les quarante dernières années chez Gardiens de la Révolution dont il a été le chef. C'est aussi l'homme qui, de par son pragmatisme et sa vision, est associé aux Américains dans leur guerre contre les talibans et c'est lui aussi qui était avec les Russes dans l'intervention en Syrie. Soleimani, qui a une réputation de +tueur+, est pratiquement le sauveur du régime de Bachar Al Assad », rappelle notre interlocuteur. Avec cette attaque, « les Etats-Unis décapitent une tête du carré des stratèges iraniens », assure Mohammed Benhamou, affirmant que les Etats-Unis ont jugé que Soleimani et l'Iran, avec la succession de ces actes, commençaient à menacer les intérêts des Américains d'une manière directe et, «il semble que ça allait aller crescendo. Une action pareille ne se décide pas facilement, mais il y a dû y avoir évidemment des renseignements, des informations qui suggéraient qu'il y avait des risques, des projets en préparation », déclare le politologue. Selon notre interlocuteur, « ce déplacement de Soleimani avec un cadre du Hezbollah libanais dont on ne parle toujours pas et avec la présence de certains de ses pelotons irakiens, tout ça, pour les Américains peut être interprété comme une phase de préparation d'action conte les intérêts américains encore plus grave que ce qui a été exécuté jusqu'à présent ». Une action américaine réfléchie « Même si c'est une opération qui a le caractère d'opportunité ou de dernière minute, elle doit s'appuyer sur des renseignements solides. Le pour et le contre ont été mesurés », détaille l'expert en référence à cette opération militaire américaine qui s'est caractérisée par son caractère inattendu alors que l'armée américaine avait déjà abattu plusieurs membres de milices pro-Iran. « Les Etats-Unis savent qu'une telle opération peut avoir des répercutions très graves dans la région qui peut très vite s'embraser dans toutes les organisations satellites de l'Iran. Je pense que les Américains ont pris en considération tout cela », affirme-t-il concernant la décision de Washington de s'engager dans une confrontation avec Téhéran. Pour l'universitaire, cette attaque prouve que les Américains ont une bonne couverture dans la région et qu'ils se préparent d'ores et déjà à « toutes les options qu'ils estiment peuvent être menées comme représailles directement ou indirectement commandées par l'Iran ». Enfin, pour les répercussions de cette attaque, Mohammed Benhamou affirme qu'il s'agit « d'une phase qui va ouvrir la voie à beaucoup de violences et les heures et les jours à venir, s'annoncent difficiles, je pense, par la rue qui va être le théâtre de la colère des Iraniens ou des pro-iraniens attendus pour s'exprimer, et bien sûr, ce qui risque d'être des réponses iraniennes ». Et d'ajouter que la carte sur laquelle ces réponses peuvent être apportées se présente comme « très large » et la nature de la menace iranienne est « diffuse ». « Le pouvoir iranien a sans doute pris cette opération comme une humiliation et va devoir mener une réponse à la hauteur de la perte qu'ils ont eue. Et cette attaque va devenir le mythe Soleimani, puisque tous les ingrédients pour parler d'un martyr sont réunis, y compris le fait qu'il ait été tué un vendredi, il y a tous les éléments pour le hisser au rang de mythe iranien », conclut-il.