Les préoccupations environnementales et sanitaires autour de l'utilisation des eaux usées en agriculture prennent une nouvelle dimension à la suite de l'ouverture d'une enquête judiciaire par le parquet de Casablanca. Cette décision fait suite à une vaste opération menée par les autorités locales dans la région de Nouaceur, où plusieurs agriculteurs ont été surpris en train d'irriguer leurs terres avec des eaux usées non traitées. Face à la pénurie d'eau qui touche le Maroc, certains agriculteurs se tournent vers des solutions illégales pour assurer la survie de leurs cultures. L'utilisation d'eaux usées, bien que proscrite sans traitement, se banalise dans certaines zones agricoles. C'est dans ce contexte que les autorités de la province de Nouaceur, sous les directives du gouverneur Jalal Benhayoun, ont mené une campagne de contrôle rigoureuse dans la localité d'Ouled Saleh. Cette opération a permis la saisie de dizaines de pompes d'irrigation et de bouteilles de gaz utilisées pour l'extraction des eaux usées. Le rapport transmis à la justice a conduit à l'ouverture d'une enquête judiciaire par le procureur du roi au tribunal de première instance de Ain Sebaa. Les services de la gendarmerie royale ont été chargés de mener des investigations approfondies et d'auditionner les agriculteurs concernés. Un risque sanitaire avéré Cette pratique illégale présente des risques considérables pour la santé publique. Selon Mohamed Benata, expert agricole et militant environnemental, l'eau usée contient des agents pathogènes et des métaux lourds susceptibles de contaminer les cultures. « Les légumes à feuilles comme la laitue, le persil et la menthe sont particulièrement vulnérables, car ils absorbent directement les contaminants, mettant ainsi en danger la santé des consommateurs« , alerte-t-il. De son côté, Kamal Aberkani, enseignant à la faculté pluridisciplinaire de Nador, souligne que cette situation résulte aussi d'un manque d'alternatives pour les agriculteurs. « Certains exploitants, après avoir investi dans les semences et les engrais, se retrouvent dans l'obligation d'irriguer leurs cultures par tous les moyens disponibles, malgré l'illégalité de ces pratiques« , explique-t-il. Face à cette situation, l'expert préconise la mise en place de campagnes de sensibilisation pour informer les agriculteurs des dangers de cette pratique, accompagnées de solutions alternatives pour un accès à une eau irriguée sécurisée. L'urgence d'une réglementation adaptée Alors que le Maroc est confronté à une crise hydrique persistante, la réutilisation des eaux usées est un sujet de plus en plus débattu. Si certains pays comme les États-Unis ou l'Espagne ont mis en place des systèmes avancés de traitement permettant leur usage agricole, le Maroc peine encore à structurer une réglementation efficace sur cette question. Mohamed Benâta insiste sur la nécessité de développer des stations d'épuration spécifiques à usage agricole. « Plutôt que de rejeter ces eaux polluantes en mer, il serait plus judicieux de les traiter pour qu'elles deviennent une ressource viable et sans danger pour les cultures« , suggère-t-il. Par ailleurs, Kamel Aberkani plaide pour un renforcement des contrôles et des analyses biologiques et chimiques des produits agricoles mis sur le marché. « Un suivi rigoureux de la qualité des fruits et légumes permettrait d'identifier les exploitations fautives et de préserver la santé publique« , estime-t-il.