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“Le manifeste modernitaire et démocratique”
Publié dans La Gazette du Maroc le 31 - 07 - 2006

La période de mutation que nous vivons n'est rien d'autre qu'une confrontation historique entre l'image (périmée) que nous nous faisons de nous-mêmes et la modernité qui nous submerge. Les Musulmans qui constituent la majorité écrasante de notre peuple arrivent difficilement à s'insérer dans un universalisme torrentiel de type occidental. Notre droit d'aînesse, nos codes sociaux seigneuriaux, notre charia, nos réflexes patriarcaux et, d'abord, notre conception du monde sont mis à rude épreuve. Du coup, la concorde intercivilisationnelle nous semble hors de portée. Depuis la liquidation du communisme, les dénominateurs communs cèdent la place aux dominateurs. Les premiers tombent les uns après les autres ; les seconds ne reconnaissent que la guerre des parts de marché. Fin de l'histoire ? ? Clash des civilisations ? Bien sûr qu'il y a affrontement entre la sphère musulmane et la galaxie occidentale ! Bien sûr que les clashs se répètent et ne se ressemblent pas. Mais, acceptera-t-on jamais de reconnaître le fait que nous n'ayons à en vouloir qu'à nous-mêmes ?
Les décadences intermittentes accumulées par le monde musulman depuis le XIIIème siècle, c'est-à-dire depuis que nous eûmes claqué la porte au nez de l'ijtihad, sont seules coupables de notre déconfiture actuelle. Nous avons collectionné les forfaits et les forfaitures culturels en collectionnant les pensées uniques. Dans une anthologie méritoire, Ismaïl Larbi dénombre pas moins de 298 groupes (foroq) et doctrines ont existé tout au long de l'histoire musulmane (1). Malgré les claques reçues aux XIXème et XXème siècles, nos programmes scolaires continuent à véhiculer une lecture arbitraire – parce qu'ethnocentriste – de l'histoire des hommes. Que savent nos gamins du bouddhisme, du confucianisme, des substrats civilisationnels incas, hindous ou tout simplement pharaoniques ? « Si nous avons été colonisés, c'est bien parce que nous étions colonisables ». Une certitude historique à laquelle nous continuons à opposer négation et fausse fierté. Lorsque l'Orient avait conquis, parfois sauvagement, le Nord, des millions de femmes, d'enfants et d'hommes virent leurs destins individuels et collectifs virer parfois à l'apocalypse. On a exposé les têtes de cadavres aux portes de Bagdad, de Damas, du Caire, du Kossovo…etc. C'est, depuis les Lumières, au tour de l'Occident opulent, conquérant et arrogant d'humilier le reste de l'humanité. Est-ce de bonne guerre pour autant ? Cela l'était jusqu'au jour où ce même Occident nous a gratifié de sa Déclaration universelle des Droits de l'homme au lendemain de la seconde guerre mondiale. N'est-ce pas l'Occident qui s'est imposé à lui-même, jusqu'à l'extérieur de ses frontières, le fameux «devoir d'ingérence» ? Une ingérence qui passe par les interstices du droit international pour assouvir la rapacité des intérêts militaro-industriels, pétroliers, gaziers et maintenant hydrauliques. Le dialogue de sourds a duré durant les cinq derniers siècles avant de se convertir en deux monologues l'un aussi suffisant que l'autre. Quand l'Occident nous parle de dignité, nous invoquons la fierté. Quand il privilégie les choses de la terre, nous nous référons à celles du ciel. Nous en sommes là.
En fait, l'Occident et le monde musulman sont prisonniers chacun de ses propres certitudes. Le premier est piégé depuis plus de deux siècles par le tourbillon du tout rationnel. Le second l'est par le fatalisme. Le premier s'est embourbé dans la «dictature technocratique» des classes moyennes, au point d'avoir parfois perdu de vue ses Lumières. Le second reste figé dans une configuration dogmatique de type pastoral ou agraire, ou les deux. Le premier s'est auto-encaserné dans un refuge méthodologique – le rationalisme – en croyant inventer une morale plus exigeante. Cinglé par la réussite matérielle occidentale, l'islam s'est cramponné à une vision intemporelle de l'homme. Armé d'illusio cognitus, le premier s'est drapé de traumas jouissifs, élevant ainsi le cynisme au rang du bon sens. Fatigué par ses ratés culturels et civilisationnels, le second s'est réfugié dans une gnose dépressive, victimologique et, de plus en plus, paranoïaque. L'un est ainsi soumis aux servitudes de la jouissance et l'autre aux jouissances de la servitude.
Malgré tout, l'histoire aurait pu « faire un geste » en réunissant les deux galaxies autour d'une belle complémentarité. Il n'en a rien été. L'Occident a choisi l'arrogance et il en eut pour son grade. Il a ainsi formé, financé et armé l'extrémisme religieux musulman et s'en mord aujourd'hui les doigts. L'Asie musulmane, peu regardante quant aux subtilités stylistiques du corpus corano-hadithique, a pu contaminer la sphère arabo-musulmane de ses approximations. La promesse de Mohamed Ilyas, l'inventeur du mouvement des «Frères Musulmans» en Inde (1927), a été tenue : l'islamisme radical s'amplifie à la vitesse d'une infection virale.
Le casus belli permanent
En vérité, je vous le dis, l'Islam activiste tient mordicus à l'exclusivité de sa conception du destin humain sur notre planète. Il s'est emparé de quelques sourates politiques, essentiellement médinoises et, somme toute, conjoncturelles, pour imposer le casus belli permanent. L'Occident sort d'une foultitude de guerres dévastatrices qui l'ont forcé à se faire violence en faisant de la démocratie le point nodal de toute gouvernance. Il a ainsi gagné la guerre des idées et tient à le faire savoir. L'universalisme moderne n'a plus rien de transculturel ; il est nécessairement, obligatoirement, forcément, occidental. Nous sommes donc en face de deux mundis imaginalis diamétralement opposés, parce que farouchement exclusivistes. Deux textes, écrits par deux somptueux islamologues, illustrent assez brillamment les visions croisées islamo-occidentales. Fatima Mernissi et Maxime Rodinson méritent, en effet, d'être cités à cet égard.
Voici ce qu'a écrit la Marocaine Mernissi : «Gharb, le nom arabe pour Occident, est aussi le lieu des ténèbres et de l'incompréhensible, et celui-ci est toujours effrayant. Gharb est le territoire de l'étrange, du gharib. Tout ce qu'on ne comprend pas effraie. L'étrangeté en arabe a une connotation spatiale très forte. Car Gharb est le lieu où le soleil se couche et où les terreurs sont alors permises. C'est là que la gharaba, l'étrangeté, a élu domicile» (2)
Quant à Maxime Rodinson, il écrivit : «Les Occidentaux ont tendance à juger de toutes les religions sur le modèle de celle qui leur est (de beaucoup) la plus familière, le christianisme. Or (…) l'islam diffère du christianisme comme, également, du bouddhisme. La différence vient de ce que l'islam se présente non seulement comme une association de fidèles reconnaissant une même vérité, mais comme une société totale (…) Le Fondateur du christianisme n'entendait nullement fonder un Etat et insistait sur la nécessité de respecter les cadres étatiques existants. Il voulait enseigner aux hommes de faire leur salut et cela seulement », écrit Maxime Rodinson (3).
Le déphasage aurait pu en rester là. Mais les images sont arrivées par la télévision satellitaire et l'Internet. Ceux qui sont frappés par la malédiction de l'ignorance ou – ce qui est encore plus insupportable – par la paresse intellectuelle ont pêché par simplisme en croyant pouvoir s'approprier la destinée du monde par la violence. Le «totalislamisme» terroriste est venu en ce début de siècle rappeler aux démocraties leurs fragilités nées de l'utérus même de la liberté.
La sacralisation de la haine
L'islamisme activiste est nourri de haine envers l'autre, tous les autres, coreligionnaires pacifistes compris. Au Maroc, ses tenants ont décrété que le Royaume était devenu une «dar al harb», un territoire de guerre. Cette «fatwa» figure en bonne place dans les derniers messages codés de Zawahiri et Ben Laden. Le dernier en date désigna l'Afrique du Nord comme future cible. L'heure est donc grave et les démocrates de ce pays ne peuvent esquiver leur devoir patriotique de résistance à l'abjection. Car, pour ceux qui ne le savent pas encore, la désignation par les jihadistes d'une contrée comme étant «Dar al harb» n'est pas une clause de style. Ces derniers font appel à une batterie de versets médinois particulièrement circonstanciés pour prôner la « fitna » (l'anarchie). «La vérité au service du mensonge ». Ils zappent le contexte très précis de la «promulgation» de ces versets pour procéder à leur universalisation forcée. Il n'est que lire ces quelques versets de la «Sourate des Femmes» pour s'en convaincre : «Les Croyants qui s'abstiennent de combattre – à l'exception des infirmes – et ceux qui combattent dans le chemin d'Allah avec leurs biens et leurs personnes, ne sont pas égaux ! Allah préfère ceux qui combattent avec leurs biens et leurs personnes à ceux qui s'abstiennent de combattre. Allah a promis à tous d'excellentes choses ; mais Allah préfère les combattants aux non combattants et leur réserve une récompense sans limites. Il les élève, auprès de Lui, de plusieurs degrés en leur accordant pardon et miséricorde –Allah est Celui qui pardonne, Il est miséricordieux – Au moment de les emporter, les anges disent à ceux qui se sont fait tort à eux-mêmes : «En quel état étiez-vous ?» Ils répondent : « Nous étions faibles sur terre » Les anges disent : « La terre d'Allah n'est-elle pas assez vaste pour vous permettre d'émigrer ? » Voilà ceux qui auront la Géhenne pour refuge : Quelle détestable fin ! (…) Celui qui émigre dans le chemin d'Allah trouvera sur la terre de nombreux refuges et de l'espace. La rétribution de celui qui sort de sa maison pour émigrer vers Allah et Son Prophète, et qui est frappé par la mort, incombe à Allah » (IV, 95-100)
Comment peut-on empêcher un psychopathe, adroitement manipulé par quelque mouvance obscurantiste, de prendre ces versets au mot, étant lui-même incapable d'y voir l'empreinte d'un discours motivant les troupes à la veille d'un grand rendez-vous guerrier (ghazwat Badr) ? Faire du Maroc une «Dar al harb», c'est lui appliquer le jihad guerrier tel qu'il est énoncé dans les versets cités. D'autant que le choix modernitaire du Royaume tel qu'il a été courageusement affirmé et, maintes fois, confirmé par Mohammed VI implique l'insertion du Maroc dans le mouvement du monde. Cela veut dire que nous sommes appelés à trouver notre place parmi tous nos frères de l'espèce, Gens du Livre en premier. Et c'est bien cette approche humaniste qui dérange nos «transformistes». Que dire alors des versets suivants, lorsqu'on s'abstient sciemment de les contextualiser ? « Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les Chrétiens ; ils sont alliés les uns des autres. Celui qui, parmi vous, les prend pour alliés, est des leurs. Allah ne dirige pas le peuple injuste » (V, 51). Deux versets plus loin, le Coran émet la sentence suivante à l'encontre des Juifs : «Ceux-là, Allah les maudit ; Celui qu'Allah maudit ne peut trouver quelque allié que ce soit» (V, 53). Doit-on considérer que c'est le nom générique du Juif, où qu'il se trouve, quelles que soient son époque ou son extraction, qui est visé par cette sentence ? Dans son ouvrage « Contextes de la révélation » (asbab annouzoul), le cheik et imam Aboul Hassan Ali Bnou Ahmed Al Wahidi Annisabouri établit – citant la chaîne des rapporteurs dignes de foi dont Saïd Ibn Qatada – les conditions dans lesquelles ce verset fut révélé. Les voici : Kaâb Ibn Al-achraf et Haïi Ibn Akhtab, deux juifs de la tribu des Bani Nadir, rencontrent des associateurs qoraïchites lors de la foire annuelle. Ces derniers leur posent la question : «Sommes-nous plus près de la vérité que Mohammad?» Les deux Juifs répondent : «Certainement, vous l'êtes ». Le Prophète récita alors le verset en question. Revenus dans leur tribu, les deux Juifs reconnurent avoir agi par jalousie.
Tous les versets évoquant négativement les Juifs et les Chrétiens désignent des adeptes des religions mosaïque et chrétienne qui ont été les contemporains, parfois les voisins, du Prophète et qui ont pu entraver, à un moment ou un autre, la propagation de la nouvelle religion. Sinon, comment expliquer la glorification des « Enfants d'Israël » à maintes reprises dans le texte coranique? Les jihadistes ne veulent pas y souscrire parce que cela contredit leurs plans…diaboliques.
Oui, les menaces jihadistes sont sérieuses. Notre destin doit s'armer de vigilance en ces temps de « coranisation » du crime, de justification de l'horreur. Toutes les enquêtes menées sur l'identité et le statut des salafistes activistes ont dessiné un profil socioprofessionnel type : il évolue au sein de l'économie informelle, exècre les procédures normatives, fait de l'espace public une terra nullus. Cela signifie que ces derniers ne sont liés à aucun service administratif, fiscal ou judiciaire de l'Etat. Leurs revenus sont donc indétectables. Ils peuvent vendre des figues de barbarie (120 à 160 DH/jour) comme des gadgets chinois (600 à 1100 DH/jour) sans que l'Etat ne puisse, à aucun moment, évaluer la masse de liquidités ainsi véhiculée. De plus, il est aujourd'hui établi que la mouvance jihadiste s'est inspirée de sa cousine afghane pour sceller des liens étroits avec la mafia de la drogue.
A-t-on le droit de laisser ainsi se développer, à la marge de la société, des revenus, puis des plans de déstabilisation, puis l'anarchie ? A-t-on le droit de laisser ainsi insulter nos aspirations les plus naturelles ? Aussi, les dernières menaces terroristes nous acculent-elles à un questionnement majeur : Existe-t-il, oui ou non, des acquis tangibles à défendre dans ce pays ? Si la réponse est oui, alors quels sont-ils ? Avant de tenter une esquisse de réponse, rappelons cette évidence établie depuis les attentats crapuleux du 16 mai 2003 : Les islamodélinquants visent prioritairement notre choix modernitaire. Les takfiristes/salfistes/jihadistes l'ont eux-mêmes vomi devant les enquêteurs et gueulé à la face de leurs juges. Ces analphabètes de la doxa islamique sont incapables de fonder une réflexion intelligible sur les injustices engendrées par la suprématie stratégique, technologique, financière, économique et politique de l'Occident. Ils n'en possèdent ni le background culturel ni les moyens méthodologiques. Tout au plus la sempiternelle extrapolation jouissive et malhonnête d'une petite fournée de versets grossièrement instrumentalisés et d'un minuscule coffret de hadiths apocryphes. Un fatalisme servile qui vient chapeauter une démarche piteusement surfacique pour aller défier par les armes les plus lâches les «lumineuses» valeurs d'ici-bas. Pour ces sales «purs», la liberté, la responsabilité, l'autonomie individuelle, la créativité, la compassion, la tolérance…ne valent pas un clou au regard de la négation de l'autre, de l'idéologie de la mort. Rien, pour ces malfrats du plastic, ne vaut la peine d'être retenu ici-bas, rien ! L'honnêteté, la création, le bonheur…ne peuvent être du domaine de l'humain. Le ciel doit avaler la terre, faite synonyme de terreur. Car, pour eux, seule la terreur est prompte à endiguer les «hogras» du passé, du présent et du futur.
La raison et le mimétisme (Al âaql wa naql)
En fait, ces brebis égarées ne sont rien d'autre que le produit d'une époque où l'on a longtemps nourri et entretenu la divinisation du quotidien des citoyens. On a neutralisé leur sens de l'analyse au lieu de les prendre par la main sur le chemin de la raison. Parce que la raison (al âaql) constitue le rhizome de tout humanisme, elle ne saurait s'accommoder au mimétisme dogmatique (an naql). Le débat est d'ailleurs dépassé depuis plusieurs siècles. Il a été tranché au contact des contrées pénétrées et des populations « visitées ». Notamment en Perse, en Andalousie, en Afrique de l'ouest et partout où des étants civilisationnels pouvaient coexister avec la nouvelle religion. Marocains nous sommes, certes. Mais qui sommes-nous vraiment, sinon un alliage multiculturel riche en sensibilités ethniques, linguistiques et même cultuelles ? Quel dieu « clément et miséricordieux » a-t-il donc osé missionner « pour notre salut » des constipés de l'âme aussi ignares que ces marchands ambulants du prosélytisme explosif ? A quelle légitimité terrestre et même céleste ces maquereaux du Malin peuvent-ils jamais se référer pour ôter à chacun de nos concitoyens le droit de disposer de son temps, de son espace, de son corps, de ses sentiments, de sa libido, de son destin personnel, et – plus grave encore – de sa vie ? Derrière leurs discours passéistes, simplistes, abracadabrantesques, anti-contextuels, exclusivistes et exclusionnistes, il n'y a que ruine de l'âme et indigence de la raison. Ces « fils de puces » n'ont pas vu venir l'ère des puces, intelligentes celles-là. Le couteau, l'épée, la nitroglycérine, le plastic et la dynamite sont plus proches à chacun d'eux que son propre père ou sa propre sœur. Là-dedans, il n'y a même pas de rancune de classe, pas même de colère plus ou moins saine. Tout connement une sainte haine pour l'être humain. Ceux qui vont masturber le logos en invoquant le désespoir à leur sujet sont les serviteurs d'une rhétorique aberrante, foncièrement malhonnête. Comment oser justifier la décimation de laborieuses populations urbaines à Casablanca, à Madrid et à Londres, au nom de Celui-là même qui leur a offert la vie ?
L'examen profilistique des terroristes condamnés et des jihadistes récemment arrêtés révèle le niveau intellectuel infra scolaire des meneurs comme des exécutants. Ces créatures à l'âme noire ont grandi dans un environnement cultuel où l'on prônait copieusement, allègrement et impunément l'antisémitisme, l'antioccidentalisme et le fascisme religieux. Des tonnes de diatribes de ce type, directement influencées par le salafisme rigoriste, ont été servies aux citoyens marocains durant plus d'un quart de siècle. La mobilisation saoudienne des jeunesses musulmanes contre la pénétration soviétique a accouché d'un homowahhabus particulièrement prolifique qui a conquis les périphéries miséreuses de l'Indus au détroit de Gibraltar. Les « émirs » autoproclamés viennent tout droit de cette culture morbide. Aucune institution marocaine n'avait daigné réagir à temps face la pernicieuse progression de ce péril. Pas même la «Commanderie des croyants». Certains y ont même vu la parade appropriée aux «menaces» de la gauche marxiste-léniniste, maoïste. Le ministère des habous et des affaires islamiques a mis le paquet. Comment ne pas accuser de ce forfait celui qui en était le titulaire durant plus d'un quart de siècle et qui a fait montre d'un anachronisme militant dont le Royaume paie aujourd'hui les frais ? Qui plus au détriment de sa sécurité collective. Du temps de l'ex-ministre zélateur du rigorisme, la logomachie wahhabiste a pénétré les foyers, les mosquées et l'imaginaire marocain de l'altérité. Durant les décennies 80 et 90, ledit ministère a copiné avec les ténors de l'obscurantisme salafiste, allant jusqu'à les inviter à sermonner à travers les mosquées du pays. Je plains l'enfant de Marigha, le talentueux Ahmed Attawfiq, qui doit promptement accomplir une véritable œuvre de salubrité publique pour venir à bout du «catéchisme» anti-innovationnel de l'ère m'daghriste. Souvenez-vous du fameux prélude récurent des causeries ramadanesques hassaniennes : « Koullou bidâatine dhalalah, wa koullo dhalalatine fin-nar » («toute innovation est hérésie, et toute hérésie conduit à l'enfer»). Plus anti-modernitaire tu meurs ! Qu'on ne vienne surtout pas prétendre que Hassan II gérait, à un sourcillement près, le planning des sermons quotidiens et hebdomadaires programmés, tolérés ou même validés par l'ancien ministre !
Cessons aussi de charger les élites d'Al Adl et d'Al Adala des déviations commises par d'autres, qui plus est à partir de leurs positions privilégiées au sein du Sérail. Jusqu'à preuve du contraire, l'association des Yassine (père et fille) n'a jamais eu recours à la violence sanguinaire. Quelles que soient les arrière-pensées qu'on puisse lui prêter, cette association sous-marine ne cesse de condamner la culture takfiriste et en prôner le rejet. Quant aux ténors d'Al Adala wa Tanmia, ils se sont insérés dans le moule démocratique et ne tarderont guère à nous étonner par leur sens de l'opportunisme politique.
Défendre vaillamment les acquis
Maintenant, quels sont les acquis concrets qu'il nous est vital de défendre, s'il le faut au prix de notre sang ? Viennent en premier lieu les libertés récemment acquises et que nous ne pouvons laisser périr par le venin des «pisseurs de fatwas» salafistes ou alors laisser brader par les adeptes du tout sécuritaire au nom de la sûreté de l'Etat. Suit la première de ces mêmes libertés qui se trouve être précisément – second acquis – la sécurité, au sens le plus large. Comment se mouvoir, s'exprimer, aimer, créer, entreprendre…etc. si la sécurité des biens, des personnes et des institutions régulatrices n'est pas assurée au moyen des prérogatives constitutionnelles et régaliennes de l'Etat ? Parlons-en donc de l'Etat ! Ghazali en souligne l'«impérieuse nécessité» en considérant « les avantages procurés et les inconvénients évités » (4). Hegel ne dit pas autre chose en écrivant : «Par rapport à la famille et à la société civile, l'Etat constitue une nécessité extérieure et une force ascendante. Les lois et les intérêts de cette nécessité et de cette force s'adaptent à la nature de l'Etat, mais celui-ci demeure le but. Sa forme émane du degré de concordance du bien public avec les intérêts particuliers». Abdellah Laroui, qu'on ne peut accuser d'amateur de certitudes anhistoriques, place l'intégrité de l'Etat à la tête des agrégats de toute modernité, post-modernité incluse.
La sécurité est aussi collective. Le Roi Mohammed VI a démontré sa capacité à la produire sur le champ géostratégique. En attestent son ingéniosité institutionnelle et sa créativité diplomatique dans la gestion du dossier saharien. La neutralisation des velléités hégémoniques algériennes est devenue une réalité palpable.
Il faut donc défendre l'acquis central qu'est l'Etat. Quand il est de droit ou s'il est en voie de le devenir, comme dans notre cas, il mérite qu'on aille jusqu'à sacrifier une partie de son confort institutionnel pour, en l'occurrence, empêcher que le fascisme pileux n'en vienne à le désintégrer. Qui protègerait ma famille, cette cellule de base de la société, si l'Etat est affaibli, défié, déstabilisé ou carrément démantelé, qui ? Prenons garde à ne pas confondre gouvernement et Etat. Le premier passe et le second doit demeurer. Fragiliser loyalement une équipe ministérielle, quelle que soit la teneur de sa gestion en termes de bonne gouvernance, dans le but de transcrire sur le terrain, en son lieu et place, une autre démarche programmatique, n'est qu'une péripétie naturelle du jeu démocratique. Mais fragiliser l'Etat, qui plus est au moyen d'actes sanguinaires, participe d'un pathos périlleux que ce même Etat se doit d'éradiquer avec le soutien résolu de chaque citoyen. Point de débat quand les épées et les bâtons de dynamite sont brandis !
Malgré cela, le droit doit continuer à pénétrer l'Etat. Et c'est là le troisième acquis. Depuis son accession au Trône, Mohammed VI n'a pas cessé de solder le passé peu glorieux du Maroc en matière de respect des droits humains. CCDH, IER et société civile ont été mobilisés à cet effet. Le « nouveau concept de l'autorité » conquiert chaque jour des marges significatives au sein des administrations centrales et territoriales. La pérennisation des différents rendez-vous électoraux a été consacrée. Le droit positif investit des domaines aussi sensibles que le statut des terres collectives, la gestion des mosquées, la moudawana…etc.
Le quatrième acquis concerne ce que Dominique Strauss Kahn a appelé « la lutte contre l'insécurité économique ». A cet égard, le Souverain a transformé le pays en un immense chantier. Les projets structurants ne se comptent plus ; une vingtaine de villes nouvelles sortiront de terre ; le réseau routier et autoroutier sera comparable, en termes de vitesse de correspondance connective (VCC), à ceux des nations européennes ; le rail se modernise pour pouvoir accueillir plus de 3 millions de voyageurs et 10 millions de tonnes de marchandises ; le «chantier majeur» qu'est l'habitat social compte déjà à son actif des centaines de milliers d'unités. Le Roi, à lui seul, peut s'enorgueillir d'avoir procédé au lancement ou à l'inauguration de plus de 200 projets totalisant 360.000 logements avec un investissement approchant les 40 milliards de dirhams. Sur ce même registre, il n'est pas vain d'évoquer le programme «Villes sans bidonvilles» lancé en juillet 2004 par le Souverain. Mobilisant un investissement d'une vingtaine de milliards de DH, ce programme vise la résorption de 1.052 bidonvilles dans 72 villes en 2010. Si la «la lutte contre l'insécurité économique» constitue un acquis majuscule, l'INDH en est l'articulation chiffrée. Des milliers d'opportunités d'entreprendre sont créés par les appels à projets de l'INDH. Et cela se perpétuera parce que l'Initiative est bel et bien structurelle et non conjoncturelle.
La «Monarchie constitutionnelle de fait»
Le cinquième acquis est ce que nous appellerons la «monarchie constitutionnelle de fait» qui se déploie, subrepticement, modestement, mais avec beaucoup d'application, sous nos yeux. Le Roi ne se mêle plus des procédures judiciaires ; Il n'interfère plus dans les chicaneries politiciennes ; Il utilise massivement le droit de grâce dans la décrispation de l'atmosphère sociale et politique du pays ; Il n'hésite pas à débarrasser les institutions constitutionnelles des éléments qui empêchent leur évolution ; Il refuse l'interprétation passéiste de la «Commanderie des croyants» et en fait, au contraire, une institution mobilisée contre les extrémismes et les intégrismes ; Il lève le voile sur sa condition d'époux, de père et, somme toute, de citoyen ; Il se comporte en gestionnaire avisé de la dimension sociale de notre devenir et, pour cela, il épouse les attributs du manager sourcilleux quant au choix des «conducteurs de travaux»…
Le sixième acquis s'apparente à la modestie que le Roi a érigée en mode de gouvernement. Cette modestie se manifeste lors de ses visites aux différentes régions du Royaume. Il écoute tout, note tout, revient tout vérifier, suit l'avancement des projets, fixe les dates butoirs des inaugurations et assure même le «service après-vente» auprès des responsables, des élus comme des citoyens. Par ailleurs, cette disponibilité Royale s'en va souvent rassurer, panser les blessures, réconforter et faire hospitaliser les gens de peu, s'inquiéter du sort des victimes de catastrophes naturelles…etc.
Le septième acquis est la multiplication et la dynamisation des recours. Jusqu'à remettre au goût du jour et institutionnaliser «Diwan al madhalim». Les tribunaux administratifs et de commerce se multiplient vertigineusement. Les chambres matrimoniales aussi. La réactivité aux doléances et aux indignations populaires publiées par la presse est de plus en plus pratiquée…
Que d'acquis peuvent être cités ici ! Ils sont tellement nombreux et variés qu'il faudrait un espace éditorial bien plus ample pour les énumérer. Tout cela en si peu de temps ! Que valent sept années au regard de l'histoire ?
En réalité, ce Roi-ci a choisi de privilégier l'action à la parole. Sa doctrine faite de proximité, de modernité et de discipline socioéconomique est assise sur le factuel, le tangible, le concret. Non les envolées verbeuses qui peuvent anesthésier un temps sans influer sur le vécu quotidien des sujets/citoyens. Nous sommes, disons-le ! en face d'un véritable manifeste modernitaire qui emprunte exclusivement l'action comme mode de communication. S'il ne ressentait point l'obligation de conforter les choix et rendre compte de leur mise en musique à la faveur des rendez-vous médiatiques pluriannuels, Mohammed VI aurait peut-être préféré travailler en silence. Mais la politique est ainsi faite : vulgarisation des initiatives, déclinaison des perspectives, fixation de la hiérarchie des priorités. La modernité prônée par Mohammed VI n'est, par conséquent, pas un vain concept de circonstance. Elle ne lui a pas été imposée ou soufflée, parce qu'elle porte l'estampille de la marocanité. Ni française, ni espagnole, ni américaine, ni indienne, ni japonaise, elle se présente comme un choix stratégique majeur visant prioritairement le salut d'une nation assoiffée de bien-être et de démocratie. Que les amis, les adversaires et les ennemis du Royaume le veuillent ou non, le «manifeste modernitaire et démocratique » de Mohammed VI est tout simplement synonyme de son règne. Et que les marchands du paradis et les sceptiques professionnels se rhabillent !
1 - « Dictionnaire des groupes et des doctrines islamiques », Dar al afaq al jadida,1993
2 - « La peur-modernité », Albin Michel, 1992
3 - « Islam politique et croyance », Fayard, 1993
4 - « Ihya oloum addine », Dar al maârifa


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