L'expérience de François Prieur en tant que grande figure de l'urbanisme du XX ème siècle l'a mené à collaborer dans des pays d'Afrique du Nord comme le Maroc et l'Algérie. De 1972 à 1989, parallèlement à son activité en France, François Prieur fera plusieurs séjours au Maroc où il participera à des projets de logements collectifs. Il y a eu la parenthèse algérienne entre 1970 et 1975, où le ministère de l'Intérieur algérien a confié à François Prieur, le contrôle des projets concernant les nouvelles préfectures. Il y réalise le plan d'urbanisme de plusieurs villes et de bâtiments publics qui sont toujours parmi les fleurons de l'architecture en Algérie et qui jouissent d'une qualité de préservation impeccable. Mais c'est en 1972 que François Prieur débarque au Maroc. Il est précédé d'une renommée et d'une réputation qui en font l'un des maîtres dans son domaine. Il est alors chargé d'étudier l'urbanisation de la côte méditerranéenne, dans le secteur de Restinga, au Nord du pays. C'était son premier projet marocain. Effectué pour le compte du ministère du Tourisme, Prieur y réalise un équipement sportif, à la fois innovant et avant-gardiste. Les années 80 sont une période charnière pour les plans d'aménagement de quelques villes au Maroc. La priorité allait naturellement à une mégapole comme Casablanca. C'est là que le Maroc fera appel aux services de l'architecte et urbaniste français, François Prieur. Entre 1980 et 1987, il est appelé par Michel Pinseau, qui était l'architecte attitré du roi Hassan II pour établir le schéma directeur d'aménagement urbain de Casablanca et l'étude de rénovation de l'ancienne médina. Deux projets de grande envergure. Deux grands chantiers de première importance, dans le cadre d'une vision nouvelle, à la fois de l'espace urbain tourné vers l'avenir et le patrimoine comme sujet de préoccupation nationale. A Casablanca, l'étude réalisée dans le cadre du schéma directeur intégrait une ceinture verte, pour doter la ville d'un réel poumon naturel qui pourrait, croissance économique et industrie obligent, protéger la ville des risques de la pollution. C'est dire à la fois la vision du futur et le souci de la protection de l'environnement à une époque où les discours écologiques n'étaient pas encore monnaie courante. Un autre projet tout aussi important était celui du quartier d'Anfa. Là, il s'agissait d'amorcer l'urbanisation future, en implantant des équipements et en dessinant les principaux espaces urbains. Autrement dit, prévoir l'expansion de la ville et étudier toutes les possibilités pour faire de cet agrandissement une suite logique de la croissance de la ville, s'inscrivant dans l'homogénéité globale du site. Les études réalisées sont alors d'une très grande précision. Il faut signaler que Pinseau n'avait pas choisi n'importe qui, mais la référence type dans ce style de projets, un architecte dont les travaux faisaient déjà l'objet d'études et de thèses un peu partout en Europe. Aïn Chock et Nassim François Prieur se préoccupait du cadre de vie des populations dans leur milieu d'origine. Compte tenu des modes de vie locaux et des moyens limités, Il devait ajuster ses visions aux exigences du pays où il travaillait. Pour la médina de Casablanca comme pour Aïn Chock, il était pour lui évident qu'il avait là affaire à une forme urbaine de l'avenir et non pas du passé, «d'où sa volonté de travailler quartier par quartier, en créant des murs d'enceintes et d'intégrer les espaces verts, les équipements et des jardins familiaux. Son travail de recherche sur les nouvelles médinas intégrait toute une typologie de voies économiques bien codifiées et très opérationnelles. » lit-on dans la préface aux travaux de Prieur dans le cadre de plusieurs thèses d'études en France. Nous sommes donc en 1983 quand il réalise le complexe administratif d'Ain Chock et l'étude de la ville nouvelle de Nassim-Ain Chock pour le logement de 120 000 habitants. Prieur est dans son élément : le logement de masse, l'habitat économique et collectif. Ce qu'il faut noter ici, c'est que la préfecture d'Ain Chock s'inscrit dans le cadre d'un projet plus général de réorganisation et de contrôle de la ville, avec des préfectures délibérément surdimensionnées. Elle est située au Sud-Ouest de la ville, sur la route menant à l'aéroport, dite «route des préfectures » puisqu'elle relie la préfecture d'Ain Chock à celles de Ben m'sik et d'Ain Sebaa construites par Marty et Deneuil. C'est là l'exemple type d'une vision globale de l'espace d'une ville. Des axes routiers pour créer des liens naturels entre plusieurs établissements capitaux de la même ville, une technique déjà expérimentée en France, et qui a donné des résultats spectaculaires en termes d'agencement urbain. L'exemple d'Aïn Chock sera étendu à d'autres quartiers à Casablanca. François Prieur réalise alors dans les mêmes années 80, le plan d'urbanisme des communes de Hay Hassani, Dar Bouaàzza, Sidi Belyout, Bouskoura et Hay Mohammadi. Presque un tour d'horizon de la ville, pour justement veiller à préserver une vue d'ensemble harmonisée. L‘expérience casablancaise inspirera les décideurs pour d'autres villes, et c'est là que le choix se porte sur la ville de Fès. Entre 1987 et 1992, c'est donc le schéma directeur de la ville de Fès, qui va le mobiliser pendant cinq ans, pour donner à la ville une image spécifique, une étiquette, un cachet. Ce schéma prévoyait le développement de l'agglomération pour 20 ans, en décrivant ses modes opératoires. Encore une fois, nous sommes face à une réflexion qui s'étend dans le temps, une vision qui prend en compte les changements et les évolutions, dont peuvent faire objet les villes qui sont des entités en constante mutation. Selon les plans établis par François Prieur, une liaison Est-Ouest devait desservir la médina de Fès, l'une des plus prestigieuses au monde. Voici donc en somme, quelques aspects du travail de François Prieur au Maroc. Il aura laissé après sa disparition, plusieurs empreintes qui attestent de son sens humain de l'architecture. Qui est François Prieur ? rançois Prieur est né le 29 décembre 1921 à Paris IV. Nommé membre de l'Académie d'Architecture le 4 juin 1987, il est décédé en février 2002. Il est l'une des rares figures à avoir marqué la ville de Casablanca sur le tard, participant à plusieurs projets qui témoignent toujours de son sens de l'utile. Durant tout son parcours, il s'est engagé par son travail d'architecte et d'urbanisme dans les villes de l'Ile de France ou du Maroc, en militant toujours pour soutenir un projet, aider à fructifier les idées des autres. Il a aussi marqué par son dévouement comme maire de Milon la Chapelle et co-fondateur du parc naturel de la vallée de Chevreuse. Père de trois enfants, il avait aussi adopté une petite laotienne réfugiée politique. C'est dire toute l'humanité d'un homme qui n'était pas uniquement un grand urbaniste doué d'un sens aigu du détail, mais surtout un humaniste pour qui l'habitat était aussi une philosophie de la vie. Entré à l'Atelier Lecomte de l'Ecole des Beaux Arts après la guerre, il fréquente les conférences de Le Corbusier à une époque où tant d'étudiants préfèrent les fastes du concours de Rome. C'était un choix des plus judicieux, puisqu'il a appris aux côtés du maître tant de nouvelles techniques qui lui serviront plus tard pour des projets très ambitieux. C'est lui qui sollicitera Pingusson pour qu'il monte un atelier à l'Ecole. Parallèlement, il gagne sa vie en travaillant chez un jeune patron, Claude Meyer Levy, qui deviendra un ami. Ce même Claude Meyer qui verra en lui un visionnaire et un urbaniste de classe mondiale. C'est en 1950, après avoir obtenu son diplôme, qu'il participe à plusieurs projets de construction en tant qu'adjoint de Georges-Henri Pingusson, qui est alors architecte en chef du département de la Moselle. C'est d'ailleurs à cette époque où Pingusson construit plusieurs églises et participe aux plans d'urbanisme de Metz, et où il invite Le Corbusier à construire une unité d'habitation. Une date très importante pour le jeune urbaniste, qui se voit entouré de plusieurs grosses pointures, qui lui prodiguent à la fois leur savoir et surtout leurs rêves fous d'architectes avant-gardistes. Ce sont pour Prieur des années très formatrices et il conservera toujours la photo de Pingusson sur son bureau jusqu'à sa mort, lui témoignant une telle gratitude qu'il en parlait aussi comme un père spirituel. Acquis architecturaux C'est à cette période que François Prieur reconstruit le village sinistré de Walwis, où il se rend compte que le contact avec le monde rural peut être très brutal, d'où son approche plus humaine, qui marquera son passage au Maroc comme à Aïn Chok dans les années 80. On peut ici citer une anecdote qui aurait pu tourner au drame car, dans ce village, l'un de ses clients qui avait du mal à renoncer à sa cabane au fond du jardin, tente de le tuer à la hache, parce qu'il voulait lui installer des WC à l'intérieur. Fait drôle, mais qui dénote de deux choses importantes : Prieur bousculait les acquis architecturaux de son époque, et il pouvait se projeter des décennies en avant pour prévoir ce qui fera office de nouveautés ou d'archaïsme. C'est aussi à cette époque que François Prieur commence à s'intéresser au logement social dans le cadre du mouvement Castor notamment. Et là, nous touchons du doigt le fin fond du legs de Prieur : une lecture de l'espace urbain comme finalité sociale. De 1955 à 1961, il dirige pour le ministère de la Construction, l'Atelier d'Urbanisme du Service d'Aménagement de la Région Parisienne, qui deviendra l'IAURIF. Il dresse les plans des principaux développements urbains de la Région Ile de France, intervenant sur près d'une centaine de communes à Mantes et dans la vallée de Chevreuse notamment. Toujours avec le même principe de mettre en avant l'habitat social, le logement collectif en l'inscrivant dans un cadre urbain agréable loin des images des ghettos, que d'autres voulaient imposer. De 1963 à 1979, François Prieur réalise en tant qu'architecte en chef et en association avec Robert Camelot, le plan de la ville nouvelle des Ulis dans l'Essonne (35 000 habitants). Prieur y travaillera pendant de longues années, réalisant en tant qu'architecte, les opérations les plus signifiantes : poste, école, centre commercial, chaufferie, etc. C'est dans un sens ce qu'il rééditera au Maroc, à Aïn Chok à Casablanca, quelques années plus tard. Jusqu'à sa mort en 2002, François Prieur fera le tour du monde pour s'imprégner de nouvelles technicités, rencontrer d'autres styles, étudier d'autres approches architecturales en vue de passer le flambeau à toute une génération d'architectes, dont il était à la fois le formateur, la référence et le maître.